Club Planète Sourcing : Les Achats, spécialistes du risque par la force des choses
Le Club Planète Sourcing, a réuni une vingtaine de directeurs et de directrices achats de grands groupes au Fouquet’s à Paris, le 10 avril pour faire le point sur la capacité des directions achats à répondre à l’avalanche de risques qui déferlent sur les supply chain.

Par la force des choses, les acheteurs sont en train de devenir des spécialistes de la gestion du risque mais avec une conscience aigüe de leurs lacunes en la matière. Le directeur achats d’un grand groupe du luxe présents au dîner du Club Planète Sourcing du jeudi 10 avril résume bien ce sentiment : « la culture du risque sur la supply chain est un peu le parent pauvre et c’est nous, directions achats, qui en sommes devenus les spécialistes, presque par défaut. »
Les Achats sont sollicités par de multiples fonctions pour évaluer les risques. Il y a dix ans, on sollicitait les Achats pour évaluer essentiellement le risque de dépendance
Une entreprise doit en effet se prémunir contre beaucoup d’autres risques que ceux qui pèsent sur sa chaine d’approvisionnement, mais ceux-là sont déjà extrêmement variés. « Les Achats sont sollicités par de multiples fonctions pour évaluer les risques. Il y a dix ans, on sollicitait les Achats pour évaluer essentiellement le risque de dépendance, aujourd’hui on nous demande d’estimer au moins dix risques différents. Cela demande une expertise différente d’un risque à l’autre, avec des outils différents », note le directeur achats d’un grand groupe de service à la personne.
Des différences de maturité flagrante entre entreprises
Dans certains secteurs d’activité comme l’agroalimentaire, l’aéronautique ou encore la banque-assurance, la maturité des entreprises en matière de risque rejaillit sur les Achats, mais globalement tous les convives s’entendent pour reconnaître que, sur les achats indirects en particulier, la maturité des acheteurs reste faible en matière de gestion des risques.
L’avenir de l’automobile viendra-t-il des Chinois, des Européens, de l’électrique ou pas ? Il y a un réel problème de visibilité
Et pourtant les risques qu’ils doivent anticiper sont en effet de plus en plus nombreux. Le directeur supply chain d’un équipementier automobile commence par pointer le risque technologique qui pèse sur son écosystème industriel. « L’avenir de l’automobile viendra-t-il des Chinois, des Européens, de l’électrique ou pas ? Il y a un réel problème de visibilité », alerte-t-il. Incertitudes existentielles auxquelles s’ajoute une concurrence à l’achat de l’automobile par rapport à d’autres industries aux marges plus larges sur les fournitures électroniques. « Nous sommes dépriorisés par les fournisseurs », remarque-t-il.
Il existe des risques de pénurie à long terme et des risques de disruption à court terme
La directrice achats responsables d’un industriel évoque pour sa part les risques de tension sur les approvisionnements de certaines matières telles que le plastique ou encore l’aluminium. « Nous avons 90 usines à approvisionner en matière avec des matières sur lesquelles il existe des risques de pénurie à long terme et des risques de disruption à court terme », explique-t-elle. En parlant de pénurie, d’autres évoquent le risque de voir des fournisseurs détenteurs de savoir-faire unique disparaître faute de repreneur.
Pour les entreprises globales cela va être de plus en plus difficile de travailler avec tout le monde
Les risques géopolitiques qui font la Une au rythme des sorties médiatiques de Donald Trump sont bien sûr également revenus dans tous les témoignages. « Nous sommes aujourd’hui plutôt en train de mettre des frontières que lever des frontières », constate ainsi un directeur achats d’un grand groupe du luxe frappé de plein fouet par la fermeture des marchés américains et chinois. « Pour les entreprises globales cela va être de plus en plus difficile de travailler avec tout le monde. Il va falloir faire des choix », prophétise un confrère du secteur de l’électronique qui comptent parmi ses clients des Etats qui lui imposent depuis déjà quelques années de bannir certains pays pour ses achats.
Difficile équilibre entre business, éthique et contraintes politiques
Pour la plupart des convives autour de la table, il reste toutefois probable que le pragmatisme et la real politik seront de mise encore longtemps. « Où est la frontière entre mon éthique, le monde un peu perturbé dans lequel nous sommes et le fait qu’il faut que nos entreprises continuent à tourner », interroge un directeur achats.
Au chapitre des solutions, la directrice des achats indirects d’un constructeur automobile apporte deux réponses : entretenir des partenariats forts avec ses fournisseurs et développer de nouveaux services pour créer des opportunités de croissance commune. « En se développant sur de nouveaux business, nous apportons une solution à valeur ajoutée que nous emportons dans nos véhicules », explique-t-elle.
Un autre directeur achats impliqués dans le secteur de la micro-électronique rappelle que, lui-même étant en concurrence avec l’automobile sur les achats de semi-conducteur, il a pu compter sur le développement d’une expertise métier de la part de ses acheteurs pour affronter cette concurrence à l’achat de donneurs d’ordres aux marges, certes plus faibles que les siennes, mais aux volumes d’achats incomparables.
Nous sommes extrêmement vigilants sur l’analyse de risques de nos fournisseurs entrants
Concernant les mauvaises surprises que peuvent réserver certains fournisseurs lointains en termes de compliance, une directrice achats rappelle l’importance de maîtriser la création de fournisseurs. « Nous sommes extrêmement vigilants sur l’analyse de risques de nos fournisseurs entrants pour s’assurer que nous n’aurons pas mauvaises surprises avec eux et être sûr qu’ils travaillent à notre niveau d’exigence », explique-t-elle.
Avec 280 000 fournisseurs en base sur plus de 55 géographies et plus d’une centaine d’ERP différents, notre challenge consiste à mettre en place un process homogène
Malheureusement, sur ce point, pour la grande majorité des convives du Club Planète Sourcing, tous issus de grands groupes, la masse des fournisseurs actifs est en soit un problème. Le directeur excellence achats d’un grand groupe du secteur énergie et environnement, rappelle que la question de la gestion des risques est directement liée à celle de la maîtrise de la data fournisseurs : « Avec 280 000 fournisseurs en base sur plus de 55 géographies et plus d’une centaine d’ERP différents, notre challenge consiste à mettre en place un process homogène qui permette a minima de pouvoir faire ressortir quelques signaux faibles sur des risques majeurs. »
Concentrer son énergie sur les sujets critiques, déléguer le reste
Pour tous, la solution consiste à déléguer les risques les moins critiques. « Quand on a des fournisseurs à rallonge, on se retrouve à devoir gérer des risques à rallonge. L’objectif est plutôt de trouver un mix entre des outils qui peuvent nous permettre d’éliminer des risques standards afin de nous concentrer sur l’essentiel. Sur des partenariats et des fournisseurs qui peuvent être à risques soit parce qu’ils gèrent une grande partie de nos dépenses, soit parce qu’ils gèrent des achats à risque », suggère le directeur achats d’un grand groupe du secteur communication et média.
Il faut mettre en œuvre des talents d’orchestrateur avec un système décentralisé avec des supply chain un peu partout
Sa consœur d’un groupe spécialiste des services marketing pointe pour sa part le risque inhérent à la tendance centralisatrice de l’acheteur. « Il faut mettre en œuvre des talents d’orchestrateur avec un système décentralisé avec des supply chain un peu partout », propose-t-elle.
Il faut un alignement des incentive en ayant comme CFO un businessman qui fait de la finance et pas un financier qui s’essaye au business
Arrivé sur ce sujet de l’organisation elle-même, le terme de chef d’orchestre, souvent évoqué pour définir le rôle de directeur achats, s’impose à nouveau. Mais, la direction des achats est seulement contributrice sur ce genre de sujets, la solution du problème vient de la direction générale. « Il faut avoir beaucoup plus de manettes pour répondre à ce genre de problème », constate un directeur achats. Le directeur achats peut ainsi travailler avec un grand nombre de collègues de départements variés (Supply Chain, juridique, taxe, etc…) encore faut-il que la stratégie d’entreprise soit claire. « Il faut un alignement des incentive en ayant comme CFO un businessman qui fait de la finance et pas un financier qui s’essaye au business », affirme une directrice achats.
Une grande expérience acquise lors du Covid
En fin de compte, notre débat s’achève sur une note d’espoir et un appel au sang-froid. Espoir né de la manière dont les crises passées ont été surmontées. « Nous sommes plutôt sortis de la pandémie par le haut et depuis cinq ans, nous avons à gérer une crise par an tous les cinq ans. Nous devons capitaliser sur la manière dont nous avons géré les crises passées », propose le directeur achats d’une grande entreprise d’ameublement.
En ce qui concerne les risques géopolitiques, ce n’est peut-être pas la peine d’aller voir les fournisseurs pour leur demander où ils en sont, parce que cela risque de générer une sur-crise
Avec un peu de perspective, les crises font en effet moins peur. « La culture de crise, c’est aussi savoir basculer en mode gestion de crise le moment voulu et le faire en toute lucidité. La crise appelle la crise. Donc, là, en ce qui concerne les risques géopolitiques, ce n’est peut-être pas la peine d’aller voir les fournisseurs pour leur demander où ils en sont, parce que cela risque de générer une sur-crise », explique le directeur méthodes, risques et RSE achats d’un grand groupe énergéticien.
Ne manquait plus qu’une invitation au stoïcisme d’une directrice achats présente autour de la table pour conclure ce dîner de manière apaisée. « La seule constante c’est le changement. Lorsque l’on a intégré cela ça change tout, on devient confortable avec l’incertitude »