METRO France : « La direction des achats indirects vient challenger les habitudes »
Depuis un peu plus d’un an, Sandra Lévy assume le rôle de directrice achats indirects et énergie de METRO France, premier fournisseur de la restauration indépendante et des commerces. Elle a structuré le service : professionnalisation des acheteurs, mise en place d’une procédure d’achats internes, digitalisation…

Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
Depuis fin 2023, vous êtes la nouvelle directrice des achats indirects et énergie de METRO France. Mais cela fait 17 ans que vous travaillez pour le groupe. Quel a été votre parcours avant votre mission actuelle ?
J’ai débuté chez METRO en tant qu’acheteuse, responsable de l’Image, du Son et de la communication. Après deux ans, j’ai saisi l’opportunité de rejoindre le secteur « Food », véritable cœur de métier de METRO. Dans un premier temps, j’ai travaillé sur l’épicerie sèche, puis j’ai dirigé l’ensemble du pôle sucré, pilotant une équipe d’une dizaine de collaborateurs.
En 2017, j’ai participé à la création de la direction des achats Internes en tant qu’acheteuse chef de groupe, avec pour mission d’accompagner les clients internes dans leurs projets d’achats liés au Mobility management, à la sûreté et sécurité, à la finance, aux prestations intellectuelles, aux RH (notamment pour les vêtements de travail et EPI), au marketing, etc. Jusqu’en 2017, ces achats étaient gérés de manière décentralisée par les opérationnels de chaque département.
Comment est organisée la direction achats indirects de METRO France ?
Je travaille avec 10 collaborateurs, répartis sur deux pôles : le pôle Energie, avec un Energy Manager, deux chefs de projet Energie, et un stagiaire, et le pôle Achats, composé d’un acheteur chef de groupe, de trois acheteurs, d’une assistante, d’une experte Ariba et d’une alternante IT et Achats durables. Notre service dépend directement de la direction finance et informatique.
Étant donné que notre direction est encore jeune, il était indispensable de développer sa notoriété et d’asseoir sa légitimité
Vous êtes en poste depuis un peu plus d’un an désormais. Quelles ont été vos priorités immédiates ?
Ma priorité initiale a été de professionnaliser l’équipe. Nous disposions jusqu’alors de collaborateurs aux profils très généralistes. J’ai profité de plusieurs départs (retraite, reconversion) pour procéder à un renouvellement ciblé en recrutant de nouveaux acheteurs spécialisés par catégorie, ainsi que des experts en Énergie. Cette démarche vise à renforcer notre efficacité et notre crédibilité auprès des clients internes, facilitant ainsi une meilleure collaboration. Étant donné que notre direction est encore jeune, il était indispensable de développer sa notoriété et d’asseoir sa légitimité, ce qui n’est pas toujours facile !
Grâce à cette spécialisation, nous comptons désormais : un acheteur chef de groupe focalisé sur les travaux, la supply, l’énergie et Ariba ; un acheteur dédié à la maintenance, au nettoyage et à la sûreté/sécurité ; un acheteur qui a repris une partie de mon ancien spectre, incluant le Mobility management/Travel, le MICE, les prestations intellectuelles, les RH etc… ; et une acheteuse spécialisée dans l’IT. De plus, une alternante intervient sur les volets IT et Achats durables.
Vous parlez de besoin de se faire reconnaître par les clients internes. Après six ans d’existence, il est encore nécessaire d’asseoir la légitimité de ce service ?
Nous avons déjà bien progressé en démontrant aux différents services la valeur ajoutée de la direction des achats internes. Alors que nous ne couvrions qu’environ 5 % des achats généraux à nos débuts, nous gérons aujourd’hui près de 30 % de ces achats. Bien que nous ayons beaucoup communiqué pour atteindre ce niveau, il reste une marge de progression importante. Mon objectif est d’atteindre 80 % d’ici à 2030.
Notre mission : questionner les habitudes d’achat et les stratégies qui n’ont parfois pas été remises en cause depuis de nombreuses années
Quels sont les freins ?
Nous venons challenger et bouleverser les habitudes. Mais c’est précisément notre mission : questionner les habitudes d’achat et les stratégies qui n’ont parfois pas été remises en cause depuis de nombreuses années. Est-ce qu’on ne peut pas faire différemment ? Est-ce qu’on ne peut pas faire mieux avec moins ? Parfois, les opérationnels peuvent avoir l’impression que nous venons empiéter sur leur périmètre. Souvent, le frein à lever est celui de la contrainte du timing. Les opérationnels peuvent être pressés de réaliser leurs objectifs, et c’est bien normal. Or, mettre en place une stratégie d’achat, dénoncer un contrat existant, gérer le sourcing, co-écrire le cahier des charges, lancer un appel d’offres etc…, demande du temps, mais cela reste indispensable pour sécuriser nos achats, intégrer l’innovation et la RSE, et optimiser nos coûts.
Professionnalisation de vos équipes, renforcement de la légitimité de la direction des achats indirects…, à quelles autres priorités vous êtes-vous attachée depuis votre arrivée à ce poste ?
J’ai également travaillé à structurer notre direction en déployant de nouveaux outils pour mieux contrôler et mesurer nos actions. Par exemple, nous avons implanté SAP Ariba en octobre dernier sur l’ensemble de nos halles afin de sécuriser nos processus d’achats internes, cartographier et optimiser nos dépenses.
J’ai aussi instauré une procédure spécifique pour les dépenses en achats internes au-delà d’un certain seuil. Ce dispositif, qui faisait auparavant défaut, permet désormais de rappeler aux directions l’obligation de passer par notre service, facilitant ainsi les échanges avec les opérationnels.
Comment mesurez-vous les retombées de ce travail de structuration et de professionnalisation que vous avez mené ?
Pour mesurer l’impact de nos actions, nous avons mis en place un questionnaire de satisfaction adressé aux clients internes à la fin de chaque appel d’offres. Par ailleurs, quelques temps après le démarrage d’une prestation, un second questionnaire est envoyé afin de s’assurer que celle-ci respecte bien les négociations et le contrat établi. En cas d’écart, l’acheteur concerné prend immédiatement l’initiative d’organiser une réunion d’urgence avec le client interne pour identifier les problématiques et convoquer le fournisseur afin de trouver des solutions. Ces démarches ont déjà porté leurs fruits, avec une note de 4,9/5 sur le monitoring interne et de 5/5 sur le suivi d’une vingtaine de fournisseurs audités ces derniers mois. Nous envisageons de capitaliser sur ces résultats pour renforcer notre communication interne et inciter davantage les opérationnels à solliciter notre service.
Suivre l’évolution de nos performances et de s’assurer que nos impacts sont correctement pris en compte par le contrôle de gestion dans les prévisions budgétaires, tout en valorisant nos savings
Afin de valoriser la performance de nos acheteurs et de mesurer l’évolution de notre footprint, nous avons co-construit un tableau de suivi de nos impacts achats. Cet outil recense à la fois les gains réalisés et les coûts évités, tout en intégrant des indicateurs qualitatifs (intégration de la RSE, services additionnels, innovations génératrices de valeur, etc.). Cela permet de suivre l’évolution de nos performances et de s’assurer que nos impacts sont correctement pris en compte par le contrôle de gestion dans les prévisions budgétaires, tout en valorisant nos savings, qui se chiffrent déjà à plusieurs millions d’euros sur un an.
Qu’attendez-vous de vos acheteurs ?
Pour moi, un bon acheteur ne se limite pas à être un « cost killer ». Il doit endosser le rôle de chef de projet, capable de constituer une équipe, d’impliquer les différentes parties prenantes et, pourquoi pas, de lancer de nouvelles initiatives. Par exemple, dans le cadre d’un projet concernant les vêtements de travail, nous avons constitué en interne une équipe pluridisciplinaire (Qualité, Juristes, Ressources Humaines, Opérations) pour co-construire un cahier des charges, avec l’acheteur jouant le rôle de leader.
L’acheteur a également pour mission de sécuriser les risques en alertant sur d’éventuels problèmes de dépendance économique ou de solidité financière chez un fournisseur. Il doit remettre en cause le statu quo pour identifier le besoin primaire, plutôt que de se focaliser sur un produit en particulier. Par exemple, l’opérationnel n’a pas besoin d’une veste polaire, mais d’une veste adaptée aux contraintes de températures dans les zones froides de la Halle, résistant à un univers humide pour la Marée, et esthétique pour avoir une image professionnelle auprès de nos clients métiers de bouche. C’est donc la veste Softshell qui a été retenue, doublée polaire et déperlante ! Se concentrer sur le besoin permet d’ouvrir le champ des possibilités et de choisir le produit le plus approprié, au meilleur prix et avec la qualité recherchée.
Enfin, je souhaite que mes acheteurs ne se cantonnent pas exclusivement à METRO France. Contrairement aux achats directs, où la réglementation limite les échanges avec des concurrents, les achats indirects offrent la possibilité de partager les meilleures pratiques, d’identifier de nouveaux fournisseurs et d’aborder des problématiques communes avec des professionnels d’autres entreprises.
Nous allons déployer SAP Ariba au siège, notamment sur la partie Procure-to-Pay, afin de mieux cartographier nos dépenses
Quels sont les prochains jalons ? Vos projets pour 2025 ?
Nous allons déployer SAP Ariba au siège, notamment sur la partie Procure-to-Pay, afin de mieux cartographier nos dépenses. À cet effet, nous avons déjà organisé de nombreux ateliers avec les différentes directions du siège afin d’analyser l’existant, de comprendre leurs pratiques d’achat actuelles et de définir ensemble les évolutions nécessaires. Ce travail de conduite du changement est essentiel : actuellement, ce sont souvent les assistantes de direction qui passent les commandes et gèrent la facturation. À l’avenir, je pense que chaque collaborateur devra être davantage responsable de ses propres coûts. Bien que cela ne concerne pas l’ensemble des 9 000 collaborateurs, chaque directeur devra nommer plusieurs référents au sein de son service pour prendre en charge ce volet, permettant ainsi une meilleure visibilité des dépenses et du budget restant, tout en responsabilisant chaque acteur de l’entreprise. Autre gros projet : l’optimisation de nos coûts…
C’est-à-dire ?
Actuellement, notre structure de coûts est supérieure à 10 % de notre chiffre d’affaires (dont 90 % d’opex), un niveau supérieur aux standards de notre marché. Nous souhaitons réduire ces opex en repensant et en challengeant continuellement nos prestations, notamment en tirant partie de notre envergure internationale et en rendant désormais incontournable notre procédure achats. Pour ce projet, j’ai l’appui total du Codir.
Metro en France Effectif : 9 000 personnes 400 000 clients, dont 200 000 professionnels de la restauration hors domicile 99 halles 4 000 fournisseurs Montant des achats opex et capex : + de 10 % du chiffre d’affaires