Aptar : « Ces projets industriels sont une excellente occasion de rationaliser nos bases fournisseurs »
Laurent Kuboj, directeur des achats EMEA d’Aptar, géant américain spécialisé dans la conception et fabrication de dispositifs d’administration pour la pharmaceutique et la cosmétique, revient sur les enjeux qui entourent les achats capex au sein du groupe. À l’aune de l’activité industrielle de l’entreprise et de leur poids dans le portefeuille achats, les capex sont pour le moins stratégiques. Pour les optimiser, Laurent Kuboj et ses équipes actionnent plusieurs leviers. Le directeur des achats nous les présente.

Que représente la direction des achats EMEA du groupe Aptar ?
La direction des achats EMEA est construite autour de quatre pôles : les achats site ; les achats directs ; les achats indirects et capex ; et enfin les achats projets. Le fait de séparer le category management en tant que tel, direct comme indirect, des achats projets résulte d’un choix fort. Au regard de notre activité et des nouveautés que nous lançons chaque année, il nous paraissait important et logique d’avoir une équipe projet pleinement dédiée aux achats. L’équipe que je pilote est composée par 5 personnes et gère un peu plus de 320 millions d’euros d’achats.
Quel est le poids de capex dans votre portefeuille achats ? Comment se décomposent-ils ?
Compte tenu de leur nature, les capex évoluent évidemment d’année en année. Ils sont inséparables des projets en cours, mais aussi du capital disponible
Les capex représentent environ 10 % du périmètre total Achats EMEA. Si l’on considère seulement les achats indirects, ils pèsent même 15 à 20 %. Compte tenu de leur nature, les capex évoluent évidemment d’année en année. Ils sont inséparables des projets en cours, mais aussi du capital disponible.
Les programmes attachés au capex sont de deux ordres, d’une part la maintenance et la compliance et d’autre part les nouveaux projets. Les premiers peuvent ainsi être liés au remplacement de machines industrielles, tandis que les deuxièmes concernent les lancements de nouveaux produits ou encore la construction ou l’agrandissement d’usines.
Quels enjeux entourent ces achats ?
À l’aune de notre activité industrielle et de leur poids dans notre portefeuille, les capex sont essentiels. Le niveau de production de notre industrie est particulièrement élevé ; dans les grandes lignes, Aptar transforme, injecte du plastique et assemble diverses pièces plastiques et en métal pour concevoir et fabriquer des solutions de packaging pour les marchés de la parfumerie et la cosmétique (pompes, airless systems, maquillage…), des industries pharmaceutiques, boissons, Food, Personal care et Home care.Pour que celui du groupe le reste, les capex sont incontournables.
Les enjeux concernant les achats capex sont aujourd’hui de trois niveaux : l’optimisation du ROI, le délai de mise en œuvre des nouveaux produits ainsi que la définition du besoin et l’optimisation des spécifications.
Comment y répondez-vous ?
Pour améliorer la performance financière de notre entreprise, nous activons principalement deux leviers : diminuer nos dépenses d’investissement quand cela est possible ou acheter moins cher
Pour améliorer la performance financière de notre entreprise, nous activons principalement deux leviers : diminuer nos dépenses d’investissement quand cela est possible ou acheter moins cher, en usant du sourcing et de la mise en place d’accord-cadre. Le sourcing dans des low cost country, la rationalisation de la base fournisseurs et la recherche de standardisation peuvent constituer des réponses, tout comme peut l’être la négociation.
En outre, lorsque l’on cherche à acheter moins, nous tâchons d’être inventifs et de challenger le besoin des prescripteurs autant que faire se peut. Par exemple, à défaut d’acheter trois machines pour un procédé donné, nous pouvons en acheter deux à plus grande cadence. Cela nous permet d’économiser des coûts tout en répondant au besoin industriel initial.
La définition et la consolidation des besoins ainsi que l’optimisation des spécifications représentent une étape clé.
En ce sens, la définition et la consolidation des besoins ainsi que l’optimisation des spécifications représentent une étape clé. La réussite d’un achat se joue ici. C’est d’ailleurs la première chose à attaquer dans le processus et une étape stratégique en matière d’achat capex. C’est pourquoi les Achats doivent se saisir des besoins, les comprendre afin de bien challenger les spécifications et exigences ingénieries. Le tout est d’avancer une pluralité d’options de sourcing dans le but d’améliorer le ROI. In fine, tous ces enjeux sont intimement liés.
Et comment appréhendez-vous la dimension liée au délai de mise en œuvre que vous évoquiez ?
À cet égard, chercher des délais de livraison plus court permet à l’entreprise de mettre ses nouveautés sur le marché bien plus rapidement. Gagner quelques jours, voire quelques semaines sur un délai d’investissement et de mise en œuvre, est souvent une source de gains supplémentaires. L’entreprise peut ainsi générer des ventes plus tôt, plus vite et ainsi dégager davantage de profitabilité.
En 2023, Aptar a annoncé un investissement de plus de 40 millions d’euros sur son usine d’Oyonnax, dans l’Ain (01). Ces projets d’agrandissement ou de construction d’usine donnent-ils un écho supplémentaire à la fonction achats ?
Assurément. Les volumes et portefeuilles à intégrer sont de fait plus importants dans notre stratégie achats. Mais les économies d’échelle peuvent aussi s’en trouver plus importantes. Charge à nous d’actionner les bons leviers pour les trouver.
Ces projets viennent répondre à la bonne santé du marché. Cela impose donc d’importants moyens, des capex notamment et donc une attention particulière des Achats, mais aussi envers les Achats. C’est toute l’entreprise et son écosystème qui doivent bénéficier de ces projets. C’est pourquoi Aptar investit régulièrement dans ses usines, pour les muscler, les agrandir et leur offrir des moyens de productions supplémentaires.
Le groupe a également ouvert une nouvelle usine en 2023, à Granville. Le site est spécialisé dans la fabrication de composants élastomères pour l’industrie pharmaceutique (bouchons, pistons, protège-aiguilles). D’autres, à Leeds en Angleterre, ou encore à Bahreïn - à travers une acquisition - suivront.
Est-ce justement ces projets qui vous poussent à redéfinir vos stratégies de sourcing ?
La croissance organique et externe pousse les achats à s’adapter en permanence
L’élargissement de notre empreinte industrielle vient effectivement questionner nos stratégies en la matière. Ces projets industriels sont une excellente occasion de rationaliser notre base fournisseurs et de redéfinir nos stratégies de sourcing. La croissance organique et externe pousse les achats à s’adapter en permanence.
Ne craignez-vous pas de voir votre empreinte carbone augmenter en éloignant certains de vos bassins de sourcing ?
C’est un sujet sur lequel le groupe porte une attention toute particulière. S’agissant des achats, le global sourcing a justement parfois été un moyen de réduire les kilomètres parcourus. Nous appliquons un principe simple, celui de sourcer au maximum dans les zones géographiques de nos sites : en France et en Europe pour nos sites français et européens, en Asie pour nos sites du Moyen-Orient … Nous tâchons d’acheter dans les pays où nous sommes établis. C’est une règle à laquelle nous ne voulons pas déroger. Le recours au best cost country sourcing - dans les pays d’Europe de l’Est, du Sud ou en Chine - ne vient pas contredire cette approche. Tout est question d’ajustement et de dosage, par rapport à nos contraintes économiques et nos engagements ESG.
En matière de décarbonation, ceux-ci sont très importants. Le groupe s’est fixé pour objectif de réduire de 82 %, en valeur absolue, ses émissions carbones sur les scopes 1 et 2, et de 14 % sur le scope 3 d’ici à 2030. Notre industrie est particulièrement gourmande en énergie, polluante aussi et c’est pourquoi le groupe, côté à la bourse de New-York, veille depuis plusieurs années à développer des packagings durables qui répondent aux besoins du marché. Certifiée EcoVadis Platinum, Aptar présente désormais de nombreuses solutions respectueuses de l’environnement et travaille sur les questions de gestion de l’énergie, les certifications de non-enfouissement des déchets et l’évaluation du cycle de vie des produits. Une attention toute particulière est accordée à l’économie circulaire.
La direction des achats a par exemple travaillé à identifier des fournisseurs et des matériaux susceptibles de remplacer les résines fossiles standard. Grâce à son action, le groupe a derrière intégré dans ses procédés des résines post-consommation (PCR), post-industrielles (PIR) et a travaillé sur des bioplastiques testés dans ses centres R&D. La première est un mélange de résines recyclées qui seraient autrement devenues des déchets urbains, tandis que les secondes consistent en un mélange de résines recyclées provenant de déchets industriels.
Par ailleurs, 90 % de notre énergie provient de sources renouvelables (PPA et moyens propres) et notre transport a fait l’objet de plusieurs actions de report modal, dont l’usage du fret ferroviaire depuis la Chine.
Compte tenu de la conjoncture et des différents épisodes inflationnistes qui se sont succédé, certains capex ont-ils fait l’objet d’une bascule vers des opex ?
Nous n’avons pas substitué nos capex en opex, tout simplement parce que nous faisons le choix d’immobiliser tous nos achats d’équipements. Certaines entreprises peuvent effectivement s’orienter vers cette approche, qui peut vraiment être intéressante pour alléger sa charge financière, mais nous n’avons pas fait ce pari.
En revanche, nous avons considérablement travaillé sur la gestion de l’inflation ; au point même où nos acheteurs se sont métamorphosés en gestionnaire d’inflation et du risque en 2021, 2022 et, dans une moindre mesure, 2023. Tout a été fait pour réagir très rapidement, préserver les finances de l’entreprise et protéger nos marges.
Plus globalement, dans quelle mesure êtes-vous concernés par les décisions qui touchent au schéma industriel de l’entreprise ?
Le degré d’exposition des achats est plus important qu’il ne l’était il y a encore un peu moins de dix ans.
Nous y sommes pleinement associés. À mon arrivée dans l’entreprise il y a sept ans, les Achats étaient rattachés à Supply Chain. Désormais, ils le sont à la direction générale. Le groupe a opéré une profonde transformation et a accordé aux Achats une place que l’on peut qualifier de stratégique. Le degré d’exposition des achats est de fait plus important qu’il ne l’était il y a encore un peu moins de dix ans. La performance achats, les problématiques et enjeux achats font d’ailleurs l’objet de revues mensuelles au sein du comité de direction.
Au demeurant, l’inflation qui a frappé tous les acteurs économiques ces dernières années, et évidemment Aptar, a donné une certaine résonance à la fonction achats. Nous avons resserré nos liens en interne, avec nos équipes commerciales et notre direction générale pour réagir rapidement à l’environnement inflationniste et assurer la protection de nos marges.