Telehouse : « Le risque est un sujet transverse qui dépasse le seul cadre des Achats »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Hanane Pelissier, directrice des achats et budget control de Telehouse France, filiale et marque datacenter du géant nippon des télécommunications KDDI, détaille les grands axes de sa feuille de route. Avec son équipe, elle porte notamment une attention toute particulière à l’approvisionnement en électricité. Entretien :
Quel est votre périmètre de responsabilité ?
En France, nous exploitons cinq sites situés en Île-de-France, en banlieue parisienne et à Paris intra-muros ainsi qu’à Marseille. Pour s’assurer de leur bon fonctionnement, nous conduisons et développons la stratégie d’achats, tout en soutenant la transformation et la croissance de Telehouse France. Cela passe par la définition d’une politique et stratégie d’achats, mais aussi le pilotage de la performance ainsi que la gestion et le contrôle financier. L’équipe achats est aujourd’hui composée de trois personnes, dont une vient tout juste d’être recrutée. Un autre collaborateur pourrait également être embauché prochainement. Notre périmètre d’action enveloppe la totalité des achats du groupe en France, allant aussi bien des petites fournitures de bureaux à des prestations plus complexes tel que l’achat et la transformation de bâtiments, la construction de nouveaux centres de données en passant par le renouvellement de gros matériels d’exploitation ainsi que l’achat de l’énergie.
Notre rôle est d’accompagner au mieux les clients internes dans l’ensemble du processus d’achat de la définition et l’optimisation de leurs besoins jusqu’à la gestion des contrats et des risques en passant par la sélection et l’évaluation des fournisseurs ; cela pour leur simplifier la vie et leur apporter les meilleurs engagements qui soient, en termes de qualité, coût et délai. Nous apportons à chaque département de l’entreprise le support nécessaire et recourons de manière régulière au sourcing. Notre valeur ajoutée démarre ici. Il ne faut pas que nous nous trompions, c’est pour cela qu’il est impératif d’aider les métiers à formaliser leurs attentes sur le papier. Nous avons une stratégie d’achat par catégorie, partant, si nous y sommes obligés, sur une source d’approvisionnement unique ou alors un appel d’offres, avec une ouverture plus large aux fournisseurs. La négociation reste un levier de choix pour générer de la performance. Vient ensuite la partie engagement et la gestion de la chaîne d’approvisionnement, le contrôle de l’expédition et de la réception des commandes et prestations achetées. La gestion de la relation fournisseur, opérée avec le métier, est un axe charnière de notre succès. Nous tâchons de construire avec nos fournisseurs des relations solides et de confiance. Sans eux, nous ne pourrions pas avancer et atteindre nos objectifs. Nous portons en ce sens un regard appuyé sur les délais de paiement.
Nous nous appuyons pour cela sur un outil P2P porté par Coupa, qui nous a permis de digitaliser dans les grandes largeurs nos actions. Nous avons gagné de fait en agilité et en productivité, éliminant toute la paperasse. Au-delà de cette considération, l’accès à une donnée de qualité est facilité, les process sont quant à eux fluidifiés. Le contrôle du budget par département et l’avancement des projets sont aussi communiqués plus clairement. C’est une richesse inestimable.
Vous revendiquez une couverture achats complète. Comptez-vous des outils spécifiques pour gérer les tails spend ?
Ces achats sont de faible valeur mais sont réalisés à forte fréquence. Pour les gérer efficacement, nous recourons à l’automatisation du processus achat, à l’allégement du cycle de validation, à la négociation et la mise en place d’e-catalogues et de price list. Nous utilisons notamment Amazon Business, connecté à Coupa, destiné à mieux gérer les petits produits de nos tail spend et comptons également d’autres outils pour les administrer.
Vous êtes membre du Comex. Comment est perçue votre action au sein de l’organisation ?
Avant la création de la direction achats au milieu des années 2010, chaque direction achetait à sa guise. Notre mission première était de définir les objectifs, la politique, la stratégie du service, composer l’équipe, établir les processus adéquats et développer les outils ainsi que la culture d’achat. Cela s’apparentaient à un véritable challenge.
La valeur ajoutée de la fonction est aujourd’hui largement démontrée grâce à ses résultats et l’adhésion de tous les départements métiers à notre action se ressent. En tant que membre du Comex, je contribue à la création de valeur et à la maitrise des risques. Je suis un véritable business partner. Notre fonction n’est plus une simple fonction administrative et de support, elle a progressivement évolué pour devenir un véritable levier de performance et de croissance.
Comment se décomposent vos achats ?
Nos achats sont décomposés en plusieurs familles regroupés en deux catégories : les capex et les opex. Les capex représentent une grande partie de notre portefeuille achats. Ces investissements visent à maintenir le patrimoine existant - renouvellement de pièces ; remises en fonctionnement de gros matériels. Les datacenters réclament tout une gamme de matériels et prestations très lourds pour fonctionner comme il se doit. Nous avons d’autres investissements, dits d’extension cette fois, comme l’achat de bâtiments que nous transformons ou de terrain, que nous exploitons pour construire de nouveaux datacenters à l’aide de designers bien connus sur le marché.
L’énergie représente aujourd’hui près de 20 % de notre chiffre d’affaires
Nous comptons également des opex. Ces dépenses d’exploitation relèvent principalement des contrats de de prestations de service et de maintenance. Ce sont des centres de coûts particulièrement importants pour une entreprise telle que la nôtre. D’autres dépenses d’exploitation entrent en jeu, comme l’énergie, qui représente aujourd’hui près de 20 % de notre chiffre d’affaires, évalué à près de 100 millions d’euros. C’est un achat très stratégique tant l’énergie est un levier d’efficacité dans notre secteur. C’est aussi un levier de négociation important au moment de délivrer notre datacenter. À cela s’ajoutent des achats de diverses prestations intellectuelles (avocats, consulting, designers).
Compte-tenu de son poids grandissant, comment appréhendez-vous l’achat d’énergie ?
Notre industrie requiert un niveau de disponibilité énergétique constant et conséquent. Nous nous engageons à offrir un service continu, 24h/24, 7j/7, peu importe les circonstances. Nous devons donc nous assurer d’avoir en capacité suffisante de l’énergie pour faire tourner nos datacenters. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en manquer, au risque de voir le réseau s’immobiliser. Nous comptons des générateurs de secours si un jour, le réseau venait à s’arrêter. Nous multiplions également les contacts avec les distributeurs du marché et avons des accords avec des fournisseurs de fioul pour se parer à des cas exceptionnels.
Le poids de l’énergie sur notre P&L ne fait que croître
Nos dépenses en matière énergétique ont par ailleurs évolué fortement ces dernières années. Le poids de l’énergie sur notre P&L ne fait que croître. Les datacenters est une industrie électro intensive, ce qui fait, qu’avec la crise, nous étions dans l’œil du cyclone. Dans ce contexte, notre mission première est d’accompagner nos clients et de faire en sorte que cette crise soit la moins impactante pour eux. Nous travaillons donc sans cesse sur la réduction de nos consommations. Nous alignons nos objectifs environnementaux et économiques. Au demeurant, moins nous consommerons, plus nous serons vertueux et plus nous générerons des économies pour nos clients. Cela implique de monter un plan d’action pour maîtriser et réduire notre consommation. Nous avons pour cela mis en place un plan de sobriété qui suit son cours.
Nous nous appuyons par ailleurs sur des stratégies d’achats d’énergie à moyen, voire long terme, de manière à sécuriser sur un certain nombre d’années notre approvisionnement en électricité. Pour limiter notre empreinte environnementale, la totalité de l’énergie que nous consommons provient aujourd’hui de sources renouvelables, que nous payons volontairement plus cher. Dans le même sens, nous pensons recourir à l’avenir à d’autres sources d’énergie renouvelables, sur le moyen terme, via des PPA. C’est pour nous un vrai sujet d’actualité et nous travaillons actuellement sur des projets de parcs photovoltaïques. Au-delà de profiter d’un prix relativement stable, nous pourrons continuer à sécuriser nos appros dans un contexte plus qu’incertain, avec cette crise sans précédent.
Derrière cet enjeu capacitaire en matière d’énergie, il y a la notion de risque. Comment la pilotez-vous ?
Le management du risque est un thème phare pour Telehouse. Le risque est un sujet transverse qui dépasse le seul cadre des Achats et que nous abordons au Comex. Au regard de notre activité et de ses exigences, nous devons être au fait de tous les risques. Le service design va se focaliser notamment sur les risques sécuritaires et opérationnels. Chaque département, appuyé du service qualité, réalise sa cartographie des risques, l’analyse de façon à caractériser leur degré d’importance et leurs sources potentielles pour les éviter ou, au moins, les mitiger. Tout est étudié au millimètre près pour garantir le bon fonctionnement de nos datacenters.
Pour limiter le risque, nous fonctionnons avec un panel de fournisseurs que nous avons voulu aussi large que ce qui est souhaitable
Aux Achats, cela consiste en la mise en place d’une stratégie de gestion de risques complète pour les limiter. Nous fonctionnons avec un panel de fournisseurs que nous avons voulu aussi large que ce qui est souhaitable. N’étant pas vraiment rassurée par les situations de mon-sourcing, j’invite mes équipes et les métiers à travailler par pools de fournisseurs pour chacune de nos catégories d’achat. Cela afin d’éviter des rapports de force qui nous sont défavorables ou, a contrario, des situations de dépendance marquées, assurer notre approvisionnement et être en mesure de délivrer, toujours, en temps et en heure. Encore une fois, nous ne pouvons pas nous permettre d’être en rupture, faute de quoi, comment pourrions-nous assurer une continuité de service à nos clients ?
Quelles sont les autres particularités de votre secteur d’activité auxquels votre direction doit impérativement se plier ?
Notre premier challenge reste le time to market. La gestion du temps est un vrai enjeu, une contrainte aussi. Le marché du datacenter monte en puissance et réclame que nous allions toujours plus vite. Le besoin se veut toujours plus pressant. La pandémie de Covid a d’ailleurs accéléré ce besoin et nous devons derrière suivre. Nous devons sortir nos solutions tel que cela a été planifié devant nos actionnaires. Nous ne pouvons dès lors pas nous permettre de prendre du retard.
Le délai de production ou de livraison a toujours été un critère majeur de choix. Mais la conjoncture actuelle accentue significativement l’importance de ce critère. C’est un vrai différenciateur, qui peut même devancer le critère prix, car il impacte directement notre time to market. La mise en place de partenariats solides avec des fournisseurs phares et leur consolidation nous aident dans notre quotidien.
Quels autres leviers actionnez-vous pour accompagner la croissance du groupe ?
Nous avons de grandes ambitions en matière environnementale et Telehouse perçoit cette donnée comme un facteur de croissance. Notre objectif est simple : construire des datacenters vertueux. Pour cela, nous ambitionnons de ne plus utiliser, ou presque, d’eau pour notre prochain datacenter, qui sera inauguré en octobre prochain sur le campus « Telehouse 3 », situé dans les Yvelines (78), à Magny-les-Hameaux. Nous cherchons sans relâche des moyens de réduire et limiter notre empreinte environnementale et pas seulement carbone. Avant de lancer nos projets de datacenters, nous veillons à ce qu’ils s’insèrent durablement et solidement dans son environnement local.
En outre, Telehouse s’efforce d’obtenir des certifications pour exercer au mieux notre activité. Nous avons obtenu la certification ISO 5001 pour notre modèle de management énergétique et ISO 14001 qui couvre nos actions environnementales ; la certification 9001 portant sur la mise en place d’un système de management de qualité, la certification ISO 27001, norme internationale certifiant de la sécurité de nos systèmes d’information.
Quels sont vos prochains chantiers ?
L’un des projets phares sur lequel nous sommes actuellement impliqués est l’extension de notre campus à Magny-les-Hameaux. Ce projet se déroule sur cinq phases distinctes. La première, sur laquelle nous travaillons, consiste en la construction du datacenter, indépendant de celui existant. Le projet se pose sur un terrain de 12 000 m2 et une puissance de 18MW. Pour sa construction, nous sommes partis sur un design et une architecture écoresponsables, avec l’intégration de nouvelles technologies, afin de répondre aux enjeux de transition écologique. Les quatre autres phases démarreront très rapidement.
Telehouse en quelques mots :
Telehouse est prestataire international et acteur incontournable de l’industrie du datacenter pour l’hébergement neutre d’infrastructures informatiques et télécoms critiques. Fondée en 1988, Telehouse possède 45 datacenters dans 24 métropoles de 12 pays dans le monde.
La marque du groupe japonais KDDI compte quelque 3 000 clients sur le Vieux continent, parmi lesquels des représentants majeurs du numérique, des opérateurs télécoms et cloud, des GAFAM, des acteurs de la finance, du gaming ou encore des médias.