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France TV : « L’anticipation est vraiment la clé pour identifier les risques de pénurie »

Par Guillaume Trecan | Le | Prestations intellectuelles

Prescillia Blin, responsable achats indirects du groupe France Télévisions éclaire les leviers déployées par la chaine pour contrer les risques de pénuries de ressources qui frappent les achats de prestations humaines. Elle sera Grand Témoin lors des HA ! Days indirects des 7 et 8 octobre à Deauville, sur le thème : « services : co-construire les prestations pour contrer la pénurie de ressources ».

Prescillia Blin,  - © D.R.
Prescillia Blin, - © D.R.

Sur quels types de prestations ressentez-vous une situation de pénurie ?

Dans la famille des achats indirects on retrouve principalement des prestations humaines, qui sont toutes plus ou moins et pour des raisons différentes actuellement sujettes à la pénurie. Les évolutions technologiques nécessitant une expertise technique spécifique et rare, le vieillissement démographique, ou encore la pandémie qui a changé les états d’esprit et incité les salariés à rechercher de meilleures conditions professionnelles, sont pour chacun responsable d’une raréfaction des ressources. Cela se traduit, côté Achats, par une pression inflationniste et un amenuisement des réponses aux besoins, côté fournisseurs, par des difficultés à recruter et à fidéliser les salariés, engendrant un développement de l’activité ralenti et complexe.

Cette pénurie ne varie pas seulement en fonction du secteur d’activité mais aussi selon la zone géographique. Concrètement, il est dans certaines zones géographiques parfois impossible de sourcer en local des prestataires en capacité de répondre à nos besoins, pour exemple les marchés de travaux précisément pour la rénovation de régies seront plus difficile à pourvoir dans les zones à faible densité plutôt qu’en Ile de France. Cette situation est tout à fait transposable à des marchés de sécurité ou de maintenance technique.

Comment intégrez-vous ce risque dans la préparation de vos stratégies d’achat ?

L’anticipation est vraiment la clé pour identifier les risques de pénurie et les éviter autant que possible. Dans un portefeuille achats indirects, l’éventail des prestations et des risques associés est très vaste. Une stratégie de gestion du risque est à élaborer pour l’ensemble des prestations. Le niveau d’investissement sera à adapter en fonction du niveau de criticité. Plus une prestation est considérée comme stratégique et critique plus le risque de défaillance fournisseur est à anticiper et à encadrer. A noter que le degré de criticité est évolutif d’une entreprise à une autre et volatile en fonction du contexte et de l’environnement de l’achat.

Durant la période des Jeux Olympiques, les entreprises ont souhaité renforcer leur dispositif de sécurité, ce qui a naturellement accru le risque de pénurie de main d’œuvre

Pour exemple : je citerai une actualité avec nos contrats de gardiennage, prestation critique de part la cible que représente France Télévisions. Sur la plan structurel, le secteur de la sécurité est très atomisé, bien que les organisations professionnelles aient obtenu des accords de branche sur la revalorisation de l’ensemble des salaires minimaux conventionnels pour les trois années 2024, 2025, 2026. Ce secteur reste confronté à une importante pénurie de main d’œuvre. De plus, Les revalorisations salariales, conjuguées aux tensions inflationnistes, pèsent sur les marges des entreprises du secteur. Fort de ces constats, notre vigilance est accrue sur ces contrats, et celle-ci s’est renforcée durant la période des Jeux Olympiques, les entreprises ont souhaité renforcer leur dispositif de sécurité, ce qui a naturellement accru le risque de pénurie de main d’œuvre. Ces risques ont été partagés avec notre co-contractant et un plan d’action a été construit. De manière plus générale, les conditions d’exécution de la prestation sont optimisées et une révision des prix contractuels est intégrée dans le marché permettant une juste rémunération de la prestation. L’objectif étant la construction d’une relation partenariale pérenne.

Il faut standardiser au maximum le besoin pour le rendre compréhensible par le marché

Quelles sont vos solutions de recours à ces pénuries ?

Les solutions sont multiples, cette réponse ne se veut pas exhaustive mais pour commencer il faut standardiser au maximum le besoin pour le rendre compréhensible par le marché. Plus ce que nous recherchons correspond à ce que propose le marché, plus le prestataire sera susceptible de disposer d’un vivier de profils. Lorsque vous disposez d’un maillage territorial à l’image de celui de France Télévisions, il est également nécessaire de faire correspondre sa stratégie d’achat à l’implantation géographique des fournisseurs. On peut aussi inciter les prestataires à élargir leur potentiel de recrutements en intégrant des clauses d’insertion par exemple. Pour pouvoir y répondre, le prestataire va ainsi devoir recruter dans le marché de l’insertion par l’activité économique et élargira de fait son potentiel de candidats.

Evidemment, il faut aussi s’assurer que nos exigences de prix sont cohérentes avec les standards du marché. Dans le secteur du nettoyage et du gardiennage, secteurs dans lesquels les sociétés margent peu et où les rémunérations ont récemment augmenté en vertu d’accords de branche, il est aujourd’hui inconcevable de garder des prix contractuels fermes pendant quatre ans ou plus. Ceci se maîtrise par la mise en place de formules de révision indiciaires. Proposer un prix juste permet aussi au prestataire, de se projeter sur le long terme.

On peut également essayer d’améliorer les conditions de la prestation. Certaines entreprises de nettoyage refusent par exemple de répondre à des appels d’offres dans lesquels le cahier des charges stipule des prestations en dehors des heures travaillées.

Chaque catégorie manager anime ses prescripteurs qui communiquent lors des instances sur leurs besoins à venir

L’anticipation nécessite que les Achats soient impliqués très en amont de l’acte d’achats. Est-ce le cas chez France TV ?

Le positionnement de la fonction achats dans l’entreprise est un facteur déterminant. La Direction des Achats Hors Programme de France Télévisions est aujourd’hui rattachée à la Direction Financière, elle-même rattachée à la Direction Générale. Les Achats ont gagné en maturité avec la mise en place d’une organisation catégorielle et un repositionnement de la relation avec les prescripteurs permettant d’être mis dans la boucle en amont des besoins. Chaque catégorie manager anime ses prescripteurs qui communiquent lors des instances sur leurs besoins à venir. Un cercle vertueux s’engage ainsi, car cette anticipation nous permet de nous benchmarker avec d’autres entreprises et de faire une veille sur le marché fournisseur.

Jusqu’où avez-vous pu instaurer une relation partenariale avec vos prestataires ?

L’idée générale est d’ouvrir la communication, des points d’échange réguliers sont organisés autour de l’exécution de la prestation, des revues de performance annuelles sont également organisées avec pour objet une amélioration continue et commune. De manière plus pragmatique, nous nous efforçons d’instaurer un dialogue qui permet de réfléchir ensemble à une solution conjointe dans le cas de problématiques systémiques, soit en amont de l’appel d’offres, soit pendant l’exécution du contrat.

Lors de la période de pandémie, nous avons par exemple dû inventer, à chaud, un grand nombre de solutions pour nous adapter au contexte, fluidifier les échanges, les passations de commandes, de facturation, de réactivité, etc. Lorsque la situation s’est apaisée, nous avons rencontré ces prestataires, en premier lieu pour les remercier de leur implication à nos côtés, et en second lieu, pour enrichir les prestations à venir des retours d’expérience faits pendant cette période particulière. Désormais des bonnes pratiques inspirées de cette période sont pérennisées telles que la mise en place d’une GMAO par exemple.

Avez-vous également mis en place un chantier sur la maîtrise des délais de paiement fournisseurs ?

C’est un des points clés de la charte RFAR et c’est une donnée que nous contrôlons. Nous ambitionnons en effet d’être labellisés en 2025. Les acheteurs ont un rôle à jouer dans le respect des délais de paiement. Le repositionnement de la fonction achats va nous aider à aller dans ce sens. L’implication plus systématique des acheteurs permet de standardiser les process de création de fournisseurs, de rationaliser le panel et cela simplifie grandement le travail de la comptabilité.

Des fournisseurs nous ont proposé des solutions de robots de nettoyage pour palier à d’éventuelles défaillances ponctuelles d’un agent de nettoyage

Les innovations techniques du marché fournisseur peuvent-elles apporter une solution ?

Ma réponse concerne exclusivement les achats indirects, des fournisseurs nous ont proposé des solutions de robots de nettoyage pour palier à d’éventuelles défaillances ponctuelles d’un agent de nettoyage. De même que des sociétés de gardiennage ont proposé des caméras de surveillance ou des drones pour compléter une prestation de gardiennage. Mais il reste difficile d’investir dans ce type de solutions, sachant qu’elles s’appliquent à des prestations sur lesquelles nous n’avons pas de ROI.

Les questions de pénurie peuvent aussi concerner des achats de matière. Dans quelle mesure les achats indirects sont-ils concernés ?

En effet c’est un point intéressant à prendre en compte. Pour des raisons économique et écologique, il est important de prendre en compte la raréfaction des ressources dans nos achats. Les acheteurs étant à la genèse du besoin, ils sont les mieux à même de challenger la pertinence de l’existence du besoin, une fois celle-ci vérifier d’en calibrer la juste quantité (en privilégiant le réemploi), et enfin de proposer des solutions responsables. Prenons l’exemple d’achats de mobilier de bureau, le marché offre de plus en plus de solutions de mobilier de seconde main. Il est également possible de procéder à la revalorisation pour récupérer la valeur associée à la matière du mobilier non réutilisable.

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