DAE : « L’acheteur public dispose d’une boîte à outils réglementaire au service de la performance »
Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha
Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier spécial Achats Publics : Particularités et vertus des achats publics
Olivier Bérard, Chef du département analyse de données, performance et projets transverses à la Direction des Achats de l’Etat (DAE) décrypte la boîte à outils que constitue le code de la commande publique pour permettre une performance globale de l’achats public. Il sera grand témoin de l’atelier-débat : « Code des marchés publics : quand la contrainte génère de la performance » lors des HA Days Achats publics des 4 et 5 décembre à Deauville.
Dans quelle mesure le code de la commande publique est-il un cadre propice pour dégager de la performance achats ?
Depuis longtemps déjà, la réglementation de la commande publique indique que ses grands principes - liberté d’accès des prestaires, égalité de traitement et transparence - contribuent à l’efficacité de la commande publique et à la bonne utilisation des deniers publics. L’accès des PME à l’achat public et le soutien à l’innovation dictent également certaines règles désormais anciennes, comme que l’obligation d’allotir les marchés publics.
le code de la commande publique comporte des dispositions de plus en plus précises sur l’atteinte des objectifs de développement durable
Ces dernières années, l’utilisation du droit de la commande publique comme instrument des politiques publiques a été élargi. A travers différents textes, tels que la loi dite Climat et Résilience de 2021, le code de la commande publique comporte des dispositions de plus en plus précises sur l’atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Ces obligations peuvent être assorties d’objectifs chiffrés, comme la présence obligatoire de considérations environnementales dans 100 % des marchés publics d’ici à 2026. Ce cadre général oriente donc en effet les acteurs de l’achat public lors de l’élaboration des stratégies achat.
Mais le code de la commande publique n’est pas le seul instrument qui fixe des objectifs de performance achat. Les entités publiques peuvent se fixer d’autres objectifs complémentaires. Tous les ans, des objectifs chiffrés d’économies achat sont par exemple fixés aux ministères. En 2023, les économies achat réalisées par l’ensemble des ministères ont été évaluées à plus de 330 millions d’euros. Deuxième exemple, dans le domaine de la transition écologique : la circulaire de la Première ministre du 21 novembre 2023 relative à l’engagement pour la transformation écologique de l’État comporte de nombreux objectifs chiffrés, dont une partie concerne directement les achats des ministères et des établissements publics de l’Etat.
Le code de la commande publique prévoit en outre de nombreux dispositifs qui permettent aux acheteurs publics de mettre en œuvre les objectifs de performance. En matière d’ingénierie procédurale, on peut citer le sourçage amont bien sûr, mais aussi les dispositifs concernant les critères d’évaluation des offres, l’ouverture aux offres variantes, etc. Sous l’angle de l’ingénierie contractuelle aussi l’acheteur public dispose d’une boîte à outils réglementaire au service de la performance : modalités de définition des prestations dans les cahiers des charges, recours à des montages multi-attributaires lorsque les circonstances le nécessitent, mais aussi possibilité de prévoir des dispositifs d’intéressement aux résultats des titulaires des marchés publics, etc.
Il faut cependant combattre le mythe d’un acheteur public que la réglementation obligerait à acheter au moins-disant
Ces dispositions sont-elles de nature à pondérer le seul critère de moins-disance ?
Évidemment, dans le contexte budgétaire actuel, la performance économique demeure importante. Il faut cependant combattre le mythe d’un acheteur public que la réglementation obligerait à acheter au moins-disant : ce n’est pas le cas. Au contraire, les acheteurs publics sont encouragés à choisir « l’offre économiquement la plus avantageuse » - c’est l’expression qui figure dans le code de la commande publique - en s’appuyant sur une pluralité de critères, dont le prix ou le coût en effet, mais aussi les aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux, ou encore les délais de réalisation. Ces critères doivent être non discriminatoires et liés au marché et présentés en amont aux candidats pour garantir la transparence des procédures et leur indiquer les priorités stratégiques de l’acheteur.
Mais l’offre économiquement la plus avantageuse n’est pas l’offre la moins-disante. Et ne s’intéresser qu’aux prix ne serait pas compatible avec les objectifs énoncés par le code de la commande publique évoqués précédemment.
Percevez-vous le formalisme imposé par le code comme une chance ou comme une rigidité à assouplir ?
Comme vous l’avez compris, il me semble que la boîte à outils est relativement complète. Lorsque l’on se trouve dans des situations particulières, les instruments spécifiques existent. Je ne pense pas que la réglementation de la commande publique constitue un carcan empêchant d’atteindre les objectifs de performance.
L’Etat est passé de 22 % des marchés intégrant une considération environnementale en 2022 à 54 % en 2023
En ce qui concerne la dimension environnementale par exemple, l’Etat est passé de 22 % des marchés intégrant une considération environnementale en 2022 à 54 % en 2023, sans réforme réglementaire. Les explications sont plutôt à rechercher dans le renforcement des objectifs et de la prise de conscience collective, conjugués à un large mouvement de formation des acheteurs, toujours plus nombreux à maîtriser les possibilités offertes par la réglementation. Si l’on prend le temps de sourcer, si l’on anticipe et si l’on programme ses achats, il est moins risqué pour un donneur d’ordres de mettre en place des considérations environnementales, car il disposera d’éléments d’éclairage au moment d’arrêter la stratégie achat en arbitrant en connaissance de cause.
Comment jugez-vous ce cadre en comparaison avec celui des acheteurs du privé ?
Il existe des process internes structurants dans toutes les structures privées de tailles comparables à des ministères ou de grands établissements publics. Notre ADN est à 95 % le même : anticiper, programmer, maîtriser la palette des leviers de la performance achat - standardiser, mutualiser ou massifier quand c’est possible, négocier, mettre en place un véritable contract management, etc. - adapter les stratégies aux politiques fixées, être transparents sur les process vis-à-vis des fournisseurs et se mettre en situation de rendre compte sur les résultats obtenus.
Le droit de la commande publique impose peut-être quelques obligations supplémentaires. Mais les directeurs et responsables achats du secteur privé subissent aussi des contraintes que leurs homologues des achats publics ne connaissent pas.
Les blocages ne sont peut-être pas essentiellement juridiques, mais aussi dans les esprits et dans la capacité des acheteurs à convaincre les prescripteurs et les décideurs de l’intérêt de ces outils
Le code de la commande publique a notamment été modernisé pour faciliter les achats d’innovation. Est-ce efficace ?
Ces dispositifs ne sont peut-être pas encore suffisamment connus. Le partenariat d’innovation, qui peut être mis en place depuis le milieu des années 2010, n’est par exemple pas encore très répandu. Autre illustration, l’autorisation des variantes, encore rare dans les procédures supérieures aux seuils européens. De nouveaux aménagements sont sans doute imaginables. Cependant, les blocages ne sont peut-être pas essentiellement juridiques, mais aussi dans les esprits et dans la capacité des acheteurs à convaincre les prescripteurs et les décideurs de l’intérêt de ces outils.
Le contexte dans lequel évolue l’acheteur public détermine donc grandement la manière dont le code de la commande publique est perçu…
En effet, certains acheteurs vont être proactifs au sein de leur organisation pour expliquer tout ce qui peut être entrepris dans le cadre du code de la commande publique, prendre des initiatives, proposer des approches nouvelles, même sans attendre qu’on les interroge. Cela renvoie à leur capacité de leadership… Et aussi aux marges de manœuvre qu’on leur laisse et donc, finalement, à ce que les directions générales attendent de leur fonction achat.
Personnellement, j’observe que, de plus en plus, lors des recrutements sur des postes de direction des achats dans le secteur public, la capacité à intégrer la dimension mutlidimensionnelle de la performance dans les stratégies achat, à mesurer la performance et à rendre compte des résultats, font partie intégrante des compétences recherchées.
La DAE a-t-elle un rôle pour populariser cette boîte à outil ?
Les missions de la DAE peuvent être regroupées autour de trois grands axes. Une activité opérationnelle d’abord. La DAE définit les stratégies à suivre par les ministères sur certains segments d’achat. Dans plusieurs domaines, elle met elle-même en place des accords - cadres interministériels mutualisés que les ministères (voire les établissements publics de l’Etat qui le souhaitent) utiliseront pour répondre à leurs besoins.
Une rôle d’appui et de soutien ensuite, à travers des bureaux spécialisés en appui des ministères ; sur les achats responsables, les PME et l’innovation, la professionnalisation des acteurs de l’achat au sein de l’Etat et de ses établissements publics à travers une offre interministérielle de formation et la diffusion de guides, le conseil juridique, … La DAE anime également le réseau des plateformes régionales des achats au sein des régions et assure la maîtrise d’ouvrage du système d’information achat de l’Etat.
Le troisième grand axe relève du pilotage à travers la cartographie annuelle des achats des ministères, la définition des indicateurs de performance et d’activités suivis à l’échelle interministérielle et la mesure des résultats de performance sur l’ensemble des axes évoqués plus haut : économique, environnementale et sociale, accès des PME et des entreprises innovantes à la commande publique.