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France TV : « Le code n’est plus perçu comme une finalité mais un moyen »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier spécial Achats Publics : Particularités et vertus des achats publics

Jérémy Pégard, directeur des achats du groupe France TV, passé dans son parcours par les achats privés et les achats publics, passe en revue les particularités du cadre du code de la commande publique, en particulier ses bienfaits dont l’obligation de travailler très en amont le besoin avec les prescripteurs. Il sera grand témoin de l’atelier-débat « Codes des marchés publics : quand la contrainte génère de la performance », lors des HA ! Days Achats publics les 3 et 4 décembre, à Deauville.

Jérémy Pégard, directeur des achats, France TV. - © D.R.
Jérémy Pégard, directeur des achats, France TV. - © D.R.

Votre expérience vous a permis de connaître à la fois le contexte des achats privés et des achats publics. Comment percevez-vous la comparaison entre les deux cadres ?

Le cadre de la commande publique est souvent perçu comme un frein. Cette perception est plus marquée lorsque la direction achats est orientée uniquement sur le juridique. Toutefois, j’observe que désormais les entreprises soumises au code investissent de plus en plus dans le category management et renforcent leurs compétences en sourcing stratégique. Ainsi, elles se détachent d’une vision jusqu’ici exclusivement orientée conformité juridique et réussissent peu à peu à faire des Achats un levier de performance et d’innovation. Le code n’est plus perçu comme une finalité, mais un moyen.

La commande publique est un outil qui nous pousse à travailler beaucoup plus en anticipation des projets d’achats

En réalité, les frontières entre privé et public sont de plus en plus minces. Les outils e-achat ont énormément structuré et harmonisé nos processus de sourcing. Les achats privés sont soumis à des obligations de transparence et exigences de conformité toujours plus élevée qui deviennent similaires à celles des marchés publics. En fait, la différence majeure reste la liberté, notamment de choix des fournisseurs. Mais cela n’empêche pas de créer de la valeur à condition que l’acheteur soit positionné en amont pour donner de la visibilité à son panel. En définitive, le code de la commande publique est un outil qui nous pousse à travailler beaucoup plus en anticipation des projets d’achats, à être le plus au contact de la prescription en amont des appels d’offres.

Considérez-vous que le cadre du code promeut une approche TCO ?

Le législateur nous pousse en effet à ne pas sélectionner nos marchés exclusivement sur des critères financiers ou techniques. Cela ouvre plus de possibilités d’évolution sur le déploiement des politiques achats responsables. Nous intégrons des critères RSE dans l’ensemble de nos consultations avec un poids très conséquent dans les exigences des cahiers des charges et dans la sélection des fournisseurs. Dans certains de nos marchés le critère RSE pèse 30 %. C’est une contrainte qui devient une opportunité, en nous forçant à repenser nos stratégies achats en fonction de l’obligation d’attribuer par défaut, à toutes les catégories d’achats, un poids minimum de 10 % aux critères RSE sur tous les marchés. Cette obligation nous incite à innover avec nos fournisseurs.

L’absence de négociation après la réception des offres dans les achats publics n’est-elle pas un frein à la performance achats ?

Au contraire, cela nous oblige à travailler les leviers de performance en amont, en particulier les leviers acheter moins et acheter mieux au lieu d’être focalisé sur le seul levier négociation, comme cela peut être le cas dans le privé. Nous passons beaucoup de temps, dans le public, à repenser le besoin avec la prescription pour définir le juste besoin en cohérence avec les standards du marché et vérifier que nous ne risquons pas d’acheter de la sur-qualité. Cela permet de générer des économies parfois beaucoup plus importantes. Dans le cadre de notre nouveau campus, nous avons par exemple réutilisé 50 % de notre mobilier, plutôt que d’acheter du neuf, ce qui nous a permis de générer 2,5 millions d’euros d’économies, sans compter le gain pour la planète.

Avez-vous suffisamment de latitude pour acheter de l’innovation ?

Le code a évolué de telle sorte que nous pouvons désormais faire des négociations de gré à gré jusqu’à 100 000 euros pour acheter de l’innovation. Il est aussi possible de recourir à des procédures spécifiques comme le partenariat d‘innovation ou le dialogue compétitif qui permettent plus de souplesse dans l’évolution de notre besoin.

La commande publique a cet avantage de la liberté d’accès, l’équité et la transparence

Voyez-vous d’autres dispositions propres au code de la commande publique qui favorisent la performance achats ?

La pratique de la commande publique consistant à publier un marché et laisser venir vers soi le marché réserve parfois la bonne surprise de voir se manifester des fournisseurs auxquels nous n’aurions pas pensé, contrairement aux achats privés où l’on sélectionne ses fournisseurs. La commande publique a cet avantage de la liberté d’accès, l’équité et la transparence. Cela nous pousse à mettre en œuvre des processus et des outils qui assurent une très grande traçabilité.

Une autre disposition du code de la commande publique est intéressante : celle qui nous permet de constituer des groupements pour massifier nos volumes. Nous montons ainsi des accords-cadres communs avec les autres entreprises de l’audiovisuel Radio France, TV5 Monde, l’INA, ou même les télévisions belge et italienne, en nous appuyant sur une directive européenne commune.

Les fournisseurs ont-ils conscience de ces capacités ouvertes par la réglementation des marchés publics ?

Beaucoup de fournisseurs connaissent encore mal cette réglementation, elle reste perçue pour certaines entreprises de petite taille comme assez complexe et trop administrative. Notre responsabilité est de communiquer et d’accompagner nos futurs partenaires dans son appropriation.

Et au niveau des recrutements ?

Il y a de plus en plus de passerelles entre les achats privés et les achats publics. Les organisations soumises au code ont compris l’importance d’attirer de bons profils pour apporter une vision plus stratégique et business. Notre principale contrainte demeure le niveau de rémunération, en particulier sur la part variable qui reste globalement inférieure à celle pratiqué dans le privé ; mais les choses sont en train de changer progressivement.