Stratégie ha

UniHA : « Coopération est le maître-mot du groupement »

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier spécial Achats Publics : Particularités et vertus des achats publics

Walid Ben Brahim, directeur général d’UniHA, revient dans un entretien sur les origines du réseau coopératif d’achats hospitaliers, sa raison d’être et son fonctionnement. Il défend également l’intérêt de ce type de structure et les nombreux apports d’UniHA pour les établissements hospitaliers. Il sera Grand Témoin de l’atelier-débat « l’achat coopératif, ses leviers et ses enjeux » des HA ! Days - Achats Publics, qui se tiendront les 3 et 4 décembre prochains à Deauville.

Walid Ben Brahim, directeur général d’UniHA - © D.R.
Walid Ben Brahim, directeur général d’UniHA - © D.R.

Dans quel but est né UniHA et pourquoi précisément sur ce modèle de groupement de coopération de santé (GCS) ?

Au début des années 2000, une cinquantaine d’établissements décidaient de se regrouper pour opérer ensemble certains de leurs achats, en particulier de médicaments, partant du principe que l’union fait la force. Dans un marché mondialisé, ces établissements de santé avaient jugé nécessaire de s’unir pour peser face aux acteurs de l’industrie pharmaceutique et augmenter leur force de frappe ainsi, évidemment, que leur puissance d’achats.

Par ailleurs, à cette période, la pression des pouvoirs publics sur les finances hospitalières a commencé à s’accentuer, la tarification de l’activité (T2A) était lancée dans le cadre du plan « Hôpital 2007 » et le dispositif ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) était déployé. De fait, ces établissements hospitaliers ont vu dans le modèle du groupement de coopération de santé un atout et une réponse. La mission d’UniHA a donc été de permettre à ces établissements de réaliser d’importantes économies.

Sur quels principes de fonctionnement et de prise de décision vous fondez-vous ?

Soignants, techniciens, ingénieurs, acheteurs… tous les acteurs sont associés à l’élaboration des marchés par l’intermédiaire de groupes experts.

“Coopération“ est le maître-mot du groupement. C’est le fondement d’UniHA. Travailler ensemble est ce qui nous a amenés là où nous sommes aujourd’hui. À titre d’illustration, soignants, techniciens, ingénieurs, acheteurs… tous les acteurs sont associés à l’élaboration des marchés par l’intermédiaire de groupes experts.

Ainsi, plus de 10 000 experts hospitaliers sont invités à travailler à nos côtés pour adresser les enjeux et besoins des établissements de santé en matière d’achat et construire les marchés. Ils participent à leur élaboration, en quantifiant, en définissant les besoins et en nous informant sur les tendances du secteur. La co-construction ne s’arrête pas là. Nos équipes achats étant dans les hôpitaux, elles sont au plus près du terrain et participent, là encore aux côtés des hospitaliers, au suivi de l’exécution de l’ensemble des marchés. Une telle proximité est un atout et une chance. Nous sommes vraiment au plus près des préoccupations des établissements. Nos équipes de relation adhérents sont d’ailleurs elles aussi sur le terrain et engagent diverses démarches de co-constructions. C’est pour nous un moyen de récolter les ressentis et retours des experts. Le fait d’être réparti sur le territoire, avec nos 14 sites, est également très précieux. Cela nous permet d’être au cœur des réalités hospitalières.

Nos instances de gouvernance se basent également sur ce même mode de fonctionnement. La présidence d’UniHA, qu’occupe depuis la fin d’année 2023 Pascale Mocaër, directrice générale du CHU de Limoges, est toujours exercée par un directeur d’hôpital. C’est d’ailleurs une présidence dite exécutive. À ce titre, la présidence prend donc la responsabilité de l’ensemble des décisions prises par la direction générale dont je suis à la tête. Le comité de direction et le conseil d’administration comptent eux aussi dans leurs rangs des personnalités du monde de la santé : des directeurs d’hôpitaux, des spécialistes de l’achat hospitalier, des pharmaciens … Tous connaissent les problématiques du secteur et sont en prise directe avec le monde de l’hôpital.

Quel est l’intérêt de ce modèle mais aussi sa complexité ?

Les hôpitaux sont sociétaires et mandataires du groupement. C’est une chose qu’il est important de souligner et de rappeler pour comprendre le fonctionnement d’UniHA. Les établissements de santé ont souhaité piloter sa destinée et ne pas laisser le groupement dans la main d’un tiers. Ainsi, ils peuvent opérer ensemble, conjointement, un certain nombre d’achats ; les produits de santé donc, mais bien d’autres familles désormais. En un peu plus de 20 ans, le groupement a beaucoup évolué.

Sur le plan du management, la structure est telle que coopérer demande évidemment des efforts, de l’adaptabilité et du temps. Pour mettre autant de personnes d’accord, il nous faut multiplier les échanges afin de trouver les bons compromis, faire les bons arbitrages. Cela peut être chronophage, mais c’est aussi cela qui fait notre richesse et notre particularité. Le tout est de bien travailler en amont et de ne laisser personne de côté afin de légitimer notre action auprès des acteurs de la santé. Cette complexité, nous n’y renoncerons pour rien au monde.

Ce qui est important dans notre organisation, c’est d’avoir des hospitaliers au service du monde hospitalier

Ce qui est important dans notre organisation, c’est d’avoir des hospitaliers au service du monde hospitalier. Cet ancrage est primordial. UniHA est une structure qui a été créée par les établissements de santé, pour les établissements de santé et qui fonctionne grâce au travail quotidien d’hospitaliers. Notre ADN est là.

Comment parvenez-vous à instaurer un climat de confiance et d’équité entre les adhérents ?

Nous comptons 1 400 adhérents, dont certains sont évidemment plus grands que d’autres. Il n’en demeure pas moins que nous sommes attachés à ne privilégier aucun d’entre eux. Tous sont égaux. Il faut faire preuve de diplomatie finalement, veiller à recueillir les plus larges consensus possibles. Notre travail est de les amener à prendre les bonnes décisions, pour tous. Cela demande un niveau d’écoute et d’attention sur de nombreux détails. On touche finalement à l’Humain, ses besoins, ses habitudes de travail et ses sensibilités. La chose est complexe, mais là encore, c’est ce qui fait le sel de notre métier.

C’est à nous de créer les conditions du dialogue et de coopération. Nous avons d’ailleurs mis sur pied des instances pour cela. Notre conseil d’administration, notre bureau et le comité de direction sont très attentifs à ces questions.

Cette année et c’est une nouveauté, nous avons instauré un comité médical pour travailler davantage avec les médecins et les impliquer encore plus dans le processus de prise de décision sur des sujets achats complexes. En ce moment, nous travaillons par exemple sur l’achat de solutions d’IA à destination des médecins. Il en existe de nombreuses et il nous faut les mettre d’accord pour choisir la ou les plus appropriées.

Le levier massification a-t-il démontré toute sa performance en matière économique ? Ne représente-t-il pas un risque pour une partie de votre tissu fournisseurs, notamment les plus petits ?

Bien au contraire. Pour les TPE et PME, c’est une chance de travailler avec des opérateurs d’achats comme le nôtre. Le fait d’avoir de tels volumes et de présenter des acheteurs aussi experts de leur marché, connaisseurs du secteur, est une opportunité pour ce tissu fournisseurs. Le sourcing est un outil puissant qui est utilisé par nos acheteurs et qui permet de révéler les innovations de ce même tissu éparpillé sur le territoire. Nous sommes disponibles et cherchons à échanger, toujours dans un esprit de collaboration, avec nos fournisseurs et ceux qui pourraient le devenir.

Pas moins de six entreprises sur dix qui travaillent avec nous et nos adhérents sont aujourd’hui des TPE et des PME. J’y vois une preuve de notre attractivité. La massification est un incroyable levier d’accès aux TPE, PME et startups

Pas moins de six entreprises sur dix qui travaillent avec nous et nos adhérents sont aujourd’hui des TPE et des PME. J’y vois une preuve de notre attractivité. La massification est un incroyable levier d’accès aux TPE, PME et startups. C’est d’ailleurs un indicateur que l’on suit, en lien avec le ministère de la Santé et le ministère de l’Économie et des Finances, de façon précise. Il est en progression constante depuis des années ; et de plus en plus de petites et moyennes entreprises répondent et remportent nos marchés. UniHA se veut d’ailleurs très connecté aux programmes d’accompagnement des startups, “Je choisis la French Tech“, et des ETI, “ETIncelles“.

Nous sommes plus que vigilants et attentifs les concernant. Nous faisons tout pour ne pas les exclure au profit de plus gros acteurs. Nous veillons à ne pas créer par nos marchés les conditions d’un oligopole, voire, d’un monopole. Ce n’est évidemment pas dans notre intérêt. En tant que groupement d’achats, nous poussons justement à la concurrence car c’est de la sorte que l’on peut capter des innovations, les bons dispositifs médicaux et les bonnes solutions qui accompagnent la transformation des hôpitaux et qui redonnent du temps médical au personnel hospitalier.

Comment intégrez-vous les fournisseurs dans votre modèle collaboratif ?

En tant que premier acheteur public du secteur de la santé en France, nous disposons d’un pouvoir d’animation certain. Nous nous plaçons toujours dans une logique partenariale avec nos fournisseurs. Une fois qu’ils sont choisis, nous basculons en suivi d’exécution, avec nos équipes dédiées, sur un pilotage fin de la relation fournisseurs. La priorité pour nous reste, qu’une fois conclu, le marché doit être correctement exécuté par les établissements de santé ; sans accroc, ni pour l’adhérent d’une part, ni pour le fournisseur d’autre part.

Notre politique de gestion en la matière est structurée. Nous ne traitons évidemment pas de la même façon une startup qui démarre et une multinationale de la pharmaceutique ou entreprise importante qui fournit des dispositifs médicaux. Cela n’aurait aucun intérêt. Nous prenons en compte leurs particularités, les traitons en fonction de leur taille, de leur poids stratégique pour nos adhérents. Nous organisons, là encore selon les mêmes critères, des points plus ou moins réguliers pour adresser ce qui doit l’être.

Quels sont les enjeux achats de vos adhérents et comment y répondez-vous ?

Le sujet économique continue et continuera de persister. Nos adhérents ont besoin que nous achetions au meilleur prix et avec le bon niveau de qualité. Ni plus ni moins. Après deux années d’inflation marquée et dans un contexte tendu des finances publiques, nos adhérents nous demandent, et ils l’ont toujours fait d’ailleurs, de dénicher des gains de performance économique forts.

Toutefois, désormais, de nombreux autres enjeux sont venus s’ajouter à cet impératif de performance financière. Le premier est sans doute celui de la sécurité des approvisionnements. Nous avons fait de ce sujet une priorité absolue. La crise sanitaire a révélé ce besoin. Nos hôpitaux avaient du mal à s’approvisionner en masques, en fournitures, en dispositifs médicaux, en médicaments … En tant que premier acheteur public en produits de santé, nous devions apporter des réponses à nos adhérents. Nous avons une vraie responsabilité, aussi bien dans les discussions avec les fournisseurs, de médicaments plus particulièrement, que sur l’ingénierie contractuelle. Nous avons donc multiplié nos efforts pour construire cette sécurisation des approvisionnements, qui est devenue d’ailleurs partie intégrante des critères de choix exprimés dans nos appels d’offres.

Selon les données récoltées, les achats hospitaliers représentent plusieurs millions de tonnes d’équivalent CO2, et au moins 50 % des émissions du secteur. Or, les achats ne représentent que 30 % des dépenses d’un hôpital en moyenne

L’autre enjeu majeur que nous abordons est celui lié à la durabilité. Selon les données récoltées, les achats hospitaliers représentent plusieurs millions de tonnes d’équivalent CO2, et au moins 50 % des émissions du secteur. Or, les achats ne représentent que 30 % des dépenses d’un hôpital en moyenne. De fait, les hôpitaux nous demandent d’avoir de la visibilité sur l’empreinte carbone de ce qu’ils achètent. Nous avons donc fait du développement durable et, plus précisément, de la décarbonation des hôpitaux des enjeux prioritaires de notre politique d’achats. La question sociale est elle aussi adressée. Les achats sont en effet des leviers de responsabilité sociale des établissements de santé. Nous avons en ce sens récemment publié de nombreux marchés avec des lots réservés pour des entreprises adaptées.

De votre point de vue, la collaboration est-elle forcément un gisement majeur d’avantage concurrentiel, de performance et de réussite ?

Mieux vaut coopérer que d’agir chacun dans son coin

Au risque de me répéter, l’union fait la force. Lorsqu’une communauté d’acteurs, qui ont des besoins similaires, manifeste son envie de travailler ensemble, elle ne doit pas laisser échapper cette occasion. Et le sujet des achats s’y prête parfaitement. Mieux vaut coopérer dans ce cas que d’agir chacun dans son coin, d’autant que les externalités positives - performance économique, performance extra-financière - surgissent très vite. Nous arrivons également aussi bien à parler, échanger et travailler dans d’excellentes conditions avec des grands industriels que des TPE et PME locales. La coopération favorise également la recherche d’expertise thématique. Pour adresser les besoins au mieux, c’est précieux, mais cela réclame un certain degré de maturité en matière de coopération.