Région Île-de-France :« Notre politique d’achats est pensée pour décliner une politique publique »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier spécial Achats Publics : Particularités et vertus des achats publics
Séverine Fletcher-Colombel, directrice des achats de la région Île-de-France et son adjoint, Jérémy Bakkalian, expliquent en quoi les Achats de la collectivité constituent, dans le respect du droit, un instrument de développement économique du territoire francilien. Ils seront Grands Témoins de l’atelier-débat « achats publics, levier de dynamisme économique et d’inclusion sociale » des HA ! Days - Achats Publics, qui se tiendront les 3 et 4 décembre prochains à Deauville.
Que vous inspire la notion « d’achats publics, levier de dynamisme économique et d’inclusion sociale » ?
Séverine Fletcher-Colombel : Beaucoup de choses à vrai dire. Le montant d’achats de la Région est particulièrement important et nous offre de larges perspectives, en termes de sourcing, de captation d’innovations et de performance. Les marchés d’innovation, partie intégrante du Code de la commande publique, nous permettent d’alimenter l’économie et de se projeter vers l’avenir. Notre exécutif est d’ailleurs très demandeur et attend que les Achats soient une sorte d’instrument de développement économique du territoire francilien. Sur le sujet de l’inclusion, nous travaillons de concert avec Sylvie Mariaud, vice-président de la région chargée de l’ESS et des achats responsables, pour faire avancer le sujet et développer l’insertion dans les marchés de la Région. En quatre ans, nous avons d’ailleurs multiplié par trois nos marchés réservés.
Les achats et la commande publique, deux versants du processus achat, sont des outils et non une finalité
Jérémy Bakkalian : Les achats et la commande publique, deux versants du processus achat, sont des outils et non une finalité. Notre rôle est de stimuler les acteurs économiques, de contribuer au renforcement du tissu économique local et à la création d’emplois, en utilisant tous les moyens qui peuvent nous aider à répondre aux besoins des franciliens et aux ambitions de la collectivité. C’est en cela que les achats publics constituent un levier de dynamisme.
Quel est le poids des achats dans le budget de la région Île-de-France ?
SFC : Le budget de la région s’élève à cinq milliards d’euros et la direction des achats adresse un milliard d’euros de dépenses, soit 20 % dudit budget. Nous administrons de nombreuses familles et typologies d’achats. L’immobilier - construction, rénovation et maintenance du parc - représente pas moins de 50 % de nos achats ; la formation, qui pèse 150 millions d’euros d’achats, est aussi un poste important de dépenses. Depuis la loi du 5 mars 2014, les compétences de la Région en matière de formation professionnelle se sont largement renforcées et cela explique le poids de cette famille dans nos achats. La Région est désormais chargée de la définition et de la mise en œuvre de la politique d’accès à la formation professionnelle des jeunes et adultes à la recherche d’un emploi ou d’une formation professionnelle.
La transformation numérique, les fournitures et certains autres services constituent quelques autres postes de dépenses. Le périmètre d’intervention de la direction des achats est donc très large. Notre enjeu est de répondre pour le mieux aux besoins de nos administrés, notamment les lycéens. À titre d’exemple, nous livrons quelque 125 000 PC chaque année pour couvrir la rentrée des élèves de seconde dans la région ; cela sans oublier les opérations liées à la construction et à la rénovation des lycées pour améliorer les conditions d’accueil, de vie et d’études des centaines de milliers de lycéens franciliens.
Quelles sont vos principales missions ?
SFC : La Région a souhaité faire la distinction entre achats et commande publique. Elle compte ainsi une direction des achats et une direction de la commande publique, lesquelles travaillent main dans la main aux côtés des différentes directions opérationnelles. Pour ce qui nous concerne, nous nous concentrons davantage sur la phase amont du process : mise en place des projets d’achats, sourcing, choix de la procédure … La direction des achats comprend aujourd’hui 28 personnes pour adresser ces sujets et rapporte au pôle financier.
En quoi justement les achats constituent un levier de dynamisme économique et comment cela se traduit-il sur le terrain, aussi bien pour le tissu fournisseurs que pour les administrés ?
SFC : La Région dans son ensemble agit pour être un vecteur de dynamisme économique. Les achats ont, à leur échelle, un rôle : la mise en œuvre et l’accompagnement, de façon opérationnelle, des politiques publiques établies par cette dernière. De fait, les achats effectués par la Région participent à stimuler l’activité économique, notamment au sein même de la collectivité.
Aujourd’hui, plus de 75 % de nos fournisseurs sont basés en Île-de-France. Conséquemment, pour les opérateurs économiques de la Région, les achats sont un contributeur plus qu’important de leur activité au quotidien
Aujourd’hui, plus de 75 % de nos fournisseurs sont basés en Île-de-France. Conséquemment, pour les opérateurs économiques de la Région, les achats sont un contributeur plus qu’important de leur activité au quotidien.
En outre, au regard du nombre de familles d’achats que nous gérons, nous sommes en mesure de faire travailler et d’animer une multitude d’entreprises qui œuvrent sur des secteurs totalement différents. Le recours à la sous-traitance par les titulaires de nos marchés, qui peuvent, s’ils le souhaitent, confier à une ou plusieurs entreprises tierces l’exécution d’une partie de leur contrat, contribue également à faire vivre l’activité économique sur nos territoires. En s’appuyant sur des compétences et des moyens extérieurs pour postuler à l’attribution de marchés publics, nos fournisseurs favorisent et facilitent l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique.
Nous travaillons d’autre part avec le pôle entreprises et emploi de la Région, laquelle a déployé un incubateur et accélérateur de startups - le Perqo. La Région en abrite de nombreuses en mesure de répondre à certains de nos besoins d’achats, les aidant à concrétiser leurs idées, analyser la demande ou encore définir un modèle économique viable…
JB : Avec notre puissance d’achats d’un milliard d’euros à destination des entreprises, nous pouvons décliner de multiples politiques d’attractivité. La Région, en s’appuyant sur sa fonction achats, contribue au financement de pilotes et de prototypes qui permettent de soutenir les entreprises innovantes. De plus, les achats soutiennent largement les TPE et PME - qui représentent près de ¾ de notre base de fournisseurs - ainsi que les territoires de la Région. Nos dépenses auprès des TPE et PME s’élèvent à 450 millions d’euros et, plus largement, sur le milliard d’euros d’achats de la Région, près de 900 millions euros de nos dépenses sont dédiées aux entreprises franciliennes.
Nous sommes pleinement ancrés dans le territoire et nous veillons, dans le respect du Code de la commande publique, à faire vivre des savoir-faire qui ne demandent qu’à être exploités.
Nous avons participé récemment au « Davos des banlieues », forum économique pensé pour dynamiser et soutenir les entreprises implantées au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), afin de mettre en avant l’action de la Région, comme l’ont fait d’autres collectivités et acteur publics très impliqués sur ces territoires.
Pourquoi, alors que les modalités du droit de la commande publique ne le permettent pas de façon explicite, est-il important de bâtir un panel fournisseurs essentiellement local ?
Notre politique d’achats est pensée pour décliner une politique publique. À partir de là, nous tentons d’actionner les leviers appropriés pour y parvenir
SFC : Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir une forme de préférence locale, la réglementation l’interdit. Nous ne pouvons évidemment pas choisir un fournisseur sur la seule base qu’il soit établi en Île-de-France et nous ne le voulons pas d’ailleurs. Le tout étant que nos fournisseurs répondent aux mieux aux besoins de nos administrés. Notre politique d’achats est pensée pour décliner une politique publique. À partir de là, nous tentons d’actionner les leviers appropriés pour y parvenir et il s’avère in fine que nombre de nos choix se portent sur des entreprises franciliennes.
Le Code de la commande publique prévoit, par exemple, la possibilité de mettre sur pied des marchés réservés et ainsi d’adresser certains engagements sociaux et environnementaux pris par la Région. Sur l’année 2025 d’ailleurs, nous ferons en sorte d’intégrer davantage de critères environnementaux et sociaux dans nos marchés pour répondre à ces impératifs auxquels la collectivité est soumise. Et cela pourrait avoir pour conséquence d’augmenter encore notre recours à des fournisseurs locaux.
Il faut bien comprendre que certains fournisseurs ne pourront tous simplement jamais répondre correctement à nos problématiques s’ils ne sont pas près du terrain
La promotion d’un achat de proximité est un des moyens de répondre aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux inscrits dans la feuille de route de la Région. Par ailleurs, selon la typologie d’achat que nous adressons, il est parfois nécessaire de s’appuyer sur des partenaires établis dans le territoire et cela pour de bonnes raisons. À titre d’illustration, pour nos marchés de maintenance dans lesquels les délais d’intervention sont des critères de premier choix, il serait contre-productif de faire appel à un fournisseur implanté à plusieurs centaines de kilomètres des bâtiments qui entrent dans la compétence de la Région. Il faut bien comprendre que certains fournisseurs ne pourront tous simplement jamais répondre correctement à nos problématiques s’ils ne sont pas près du terrain.
En définitive, il est, dans notre position, important de ne pas oublier que la Région a le devoir de stimuler et d’encourager les opérateurs économiques sur son territoire pour le rendre toujours plus dynamique. D’une certaine manière, il est donc aussi normal que notre action s’inscrit dans la droite ligne de cet engagement. C’est une question de cohérence stratégique.
Le sourcing est-il aussi une des raisons qui explique la constitution de votre panel fournisseurs ?
SFC : Effectivement, si notre panel fournisseurs est constitué par autant d’entreprises franciliennes, c’est aussi parce que nous faisons du sourcing. Nous informons bon nombre d’entreprises que nous avons sourcées de la publication de nos marchés. De fait, elles sont attentives et s’inscrivent sur l’espace de publication Maximilien pour savoir ce qu’il en est et répondre à nos marchés.
JB : Le sourcing est une étape importante, consacrée d’ailleurs par le Code de la commande publique, qui nous permet d’échanger avec les entreprises. Et il est toujours bon de leur rappeler que, quelle que soit leur taille, elles peuvent répondre à nos marchés. Nous travaillons beaucoup sur cet aspect car il est vecteur de performance achats. Nous utilisons le sourcing sous toutes ses formes, aussi bien au cas par cas sur chacun de nos marchés après avoir questionné les besoins exposés par les directions opérationnelles, que de façon sectorielle. En ce sens, nous organisons chaque année un certain nombre d’événements spécifiques à l’occasion desquels les entreprises peuvent présenter leur offre de services et produits à la Région, ses acheteurs mais aussi aux personnes qui portent les sujets de façon opérationnelle au sein de la collectivité.
Cela nous permet d’entraîner un large spectre d’opérateurs de la région, de favoriser notre travail de sourcing ainsi que l’accès à nos marchés à des TPE, PME, des jeunes pousses ou encore des structures de l’ESS. Par ailleurs, par l’étude de notre programmation de nos achats, nous cherchons à identifier les entreprises qui pourraient proposer des solutions innovantes répondant à certains de nos besoins. Le Perqo, incubateur de la Région Île-de-France, nous offre ici un espace de sourcing intéressant. Les entreprises qui y sont accompagnées peuvent aussi bien faire valoir leurs offres à la Région qu’être démarchées par nos soins.
Indépendamment du sourcing, avez-vous d’autres moyens à disposition pour encourager et capter autant les plus petits opérateurs économiques ?
SFC : La force de frappe de la Région est telle que nous enregistrons de nombreuses réponses de TPE et PME à nos appels d’offres. Et comme le prouvent les chiffres que nous vous présentions, elles n’hésitent pas à tenter leur chance. Nous ne faisons pas face à un manque d’attractivité. Par ailleurs, pour mobiliser notre tissu économique local, les TPE et PME, bien que nous n’ayons pas le droit de le prescrire, nous disposons d’autres puissants outils : l’allotissement et la sous-traitance.
D’un autre côté, traditionnellement, ce sont essentiellement des petites et moyennes entreprises qui répondent à une grande part de nos marchés. Certains de nos marchés les plus importants sont couverts par des PME ou des entreprises de l’ESS, qui sont d’ailleurs le plus souvent des PME également.
La Région a toujours travaillé TPE et PME. Elles font grandement vivre le territoire et nous faisons tout notre possible pour que ces structures ne soient pas exclues. Nos rencontres fournisseurs servent aussi à le leur rappeler.
Quels sont les principaux axes de travail sur lesquels vous plancher pour vous améliorer ?
SFC : Le management de la relation fournisseur est le principal sujet sur lequel nous allons travailler. Dans les achats publics, la fonction achats accuse des défauts en la matière et les pistes d’amélioration sont nombreuses. Nous, acheteurs publics, ne sommes pas assez partie prenante de l’exécution des marchés qui est gérée par les opérationnels. De fait, les acheteurs publics perdent en vision à cet instant et sur la durée du marché plus globalement. Il y a un peu plus d’un an, nous avons ouvert un poste spécifique de chargé de suivi de l’exécution des marchés et de la relation fournisseur pour piloter cette problématique, suivre nos principaux marchés et récolter les retours de nos fournisseurs. C’est comme cela que nous pourrons nous améliorer.
JB : À la demande de Séverine Fletcher-Colombel, nous avons, avec mon équipe, effectué un important travail de suivi des accords-cadres que nous proposons via notre centrale d’achats, tels que ceux portant sur les solutions d’impression ou les denrées alimentaires à destination de nos lycées. Ce suivi implique un accompagnement des utilisateurs internes et des bénéficiaires de la centrale d’achats de la Région. Dans la fonction publique, les acheteurs sont souvent sollicités lorsqu’un problème est constaté durant la durée du marché. Mais à nos yeux, cela ne peut plus continuer de la sorte.
Ce rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs et les opérationnels, un peu nouveau pour nous, nous devons l’endosser
Il était vraiment primordial de se concentrer sur la dynamique de l’exécution des marchés. Les missions des acheteurs ne se limitent pas au volet transactionnel en se cantonnant à de l’approvisionnement. Ce rôle d’intermédiaire entre les fournisseurs et les opérationnels, un peu nouveau pour nous, nous devons l’endosser. La fonction achats au sein de la région s’est largement installée, s’est professionnalisée et a conscience de toute la dimension stratégique qui enveloppe l’acte d’achat : définition du besoin et des enjeux, caractérisation de stratégies d’achat, planification, passation, approvisionnement et pilotage. C’est ce dernier aspect qui était peu couvert, non pas que nous nous y désintéressions, mais parce que nous ne le captions pas. La discussion en cours d’exécution était totalement absente ou alors se résumait aux incidents relevés.
L’enjeu est donc désormais d’intégrer le pilotage de la relation, en se positionnant en amont et en organisant des réunions de lancement, de suivi d’exécution de marchés et de retours d’expériences pour nouer des liens solides entre Achats, fournisseurs et opérationnels afin, entre autres, de préparer les prochains marchés.
Sur le sujet de l’inclusion que vous avez commencé à évoquer, quelle est la contribution des Achats de la Région ?
SFC : Nous tâchons de développer des relations de qualité avec les structures de l’ESS. Nous avons notamment attribué à Vitamine T, structure de l’ESS, un marché d’intérim portant sur le remplacement des personnels de cuisine et de maintenance dans les lycées de la Région. Nous comptons d’autres marchés emblématiques qui fonctionnent extrêmement bien - instruction de dossiers, centres d’appels, signalétique -, qui seront renouvelés comme le sera celui avec Vitamine T.
Par ailleurs, sur certains segments d’achats, comme les travaux, nous intégrons dans l’ensemble de nos marchés des clauses d’insertion. Nos titulaires de marchés ont l’obligation d’insérer du personnel en situation de handicap ou éloigné de l’emploi dans les travaux qu’ils mènent pour le compte de la Région. La peinture fera également l’objet d’un marché réservé très prochainement. Plus globalement, la Région a fait du soutien à l’ESS un cheval de bataille, ouvrant aux structures de l’ESS l’accès à des aides financières.