L’Oréal : « L’idée du consortium consiste à travailler sur de la donnée collective »
Céline Bomo-Leducq, directrice achats responsable monde de L’Oréal explique pourquoi le groupe de cosmétique s’implique de très longue date dans des collectifs réunissant potentiellement des concurrents, ou encore des ONG pour mieux maîtriser les informations RSE sur ses fournisseurs. Elle sera grand témoin de l’atelier-débat « consortium : partager collectivement la data pour faire bouger les lignes », le 4 mars lors des HA Days Achats responsales, à Deauville.

Pourquoi la direction achats de L’Oréal a-t-elle acquis la conviction qu’il faut aborder la question de la compliance RSE des fournisseurs à travers des consortiums ?
La responsabilité croissante des entreprises d’intégrer les enjeux RSE au cœur de leur stratégie et la complexité de l’environnement dans lequel nous opérons font de la collaboration et de l’usage de la donnée des facteurs clés de succès. Cela fait longtemps que nous avons pris conscience que nous ne pouvons pas agir seuls sur ces sujets. Nous avons à cœur de nous appuyer sur des expertises solides : internes et externes. Notre portefeuille d’achats est extrêmement large et nous ne représentons pas toujours un poids suffisant pour avoir un impact seul le marché. Il est en outre très complexe, pour nous, de maintenir des systèmes dont nous serions les seuls utilisateurs et, pour nos fournisseurs, de répondre à des approches spécifiques à chacun de leurs clients.
Nous voulons maximiser le partage de données et l’action collective sur nos enjeux extra-financiers
Nous pensons que cette transformation majeure passe par une ambition collective forte. Nous voulons maximiser le partage de données et l’action collective sur nos enjeux extra financiers. C’est une question d’engagement, d’impact et de résilience. C’est aussi un levier de motivation pour nos acheteurs et notre ecosystème.
Qu’allez-vous chercher dans ces consortiums ?
La mission de mon équipe consiste à intégrer les enjeux RSE dans les pratiques achats et à transformer nos filières. Ces consortiums sont un véritable accélérateur de transformation. Ils nous permettent en premier lieu d'améliorer la transparence et la traçabilité de notre chaine de valeur amont.
Ces forums sont également un espace de partage de bonnes pratiques - au-delà des enjeux de compétitivité -, et un moyen de faire converger les méthodologies et les priorités. Ils nous permettent de gagner en rapidité d’impact.
Dans un contexte de renforcement des règlementations, en particulier en Europe, c’est aussi un véritable levier de développement d’outils de mesure de performance extra financière et d’engagement des parties prenantes : nos fournisseurs, notre chaine de valeur, les ONG avec qui nous travaillons. Enfin c’est un véritable levier d’innovation et de développement de produits et services plus durables.
Pouvez-vous citer un exemple de changement que vous avez impulsé par le biais d’un consortium ?
Nous participons à des consortiums dans lesquels nous sommes contributeur et d’autres dont nous sommes membre fondateur. Cette démarche est importante sur les trois dimensions fondamentales que nous adressons : le climat, la nature et le social.
Nous sommes impliqués, entre autres, dans le Consumer Goods Forum, dans SBTI, dans le Carbon Disclosure Project sur nos enjeux de décarbonation, dans TRASCE pour une plus grande transparence de notre chaine de valeur, dans l’ASD et OP2B sur les sujets relatifs à la forêt et l’agriculture régénératrice. Sur la dimension sociale et droits humains, nous avons intégré fin 2024 la Fair Labor Association.
Un grand projet pour nous sur 2025 concerne nos audits sociaux
Nous pouvons également citer la Responsible Mica Initiative pour laquelle nous sommes membre fondateur sur les minéraux et qui intègre d’autres industries telles que l’automobile. Nous privilégions l’intégration et le développement, avec d’autres entreprises, de systèmes communs de partage. Un grand projet pour nous sur 2025 concerne nos audits sociaux.
Êtes-vous confrontés, entre membres d’un même consortium, à des divergences d’approche ?
Il peut effectivement exister des divergences de maturité entre zones géographiques ou sur un certain nombre de sujets. Nos stratégies d’entreprise peuvent également être différentes mais l’important reste de nous accorder sur ce qui nous réunit et l’impact que nous avons envie d’avoir ensemble. Travailler en consortium n’est pas une obligation, il s’agit encore une fois et surtout d’aligner les priorités et les méthodes aux enjeux de notre supply chain. Les divergences ne sont d’ailleurs pas si nombreuses, elles peuvent être liées à des questions de maturité, aux capacités financières des entreprises à investir et c’est justement là que le consortium prend tout son sens via le partage de données et le partage de compétences.
Où se situe la frontière entre les données que vous partagez et celles que vous gardez pour vous ?
Le partage de données est très cadré lorsque nous créons ou intégrons un consortium. Il s’agit de partager uniquement ce qui peut être mis en commun et de ne pas déroger aux règles anti-trust. Nous pouvons nous appuyer sur des plateformes d’échanges communes avec nos fournisseurs. Nous partageons avant tout des données de conformité, des données liées à la chaîne d’approvisionnement, à la performance des acteurs de notre supply chain, que ce soit sur l’aspect social ou environnemental.
l’échange des données s’arrête là où commencent les règles antitrust
Encore une fois, l’échange des données s’arrête là où commencent les règles antitrust. Nous ne mettons pas en commun la visibilité des supply chain des différents membres. Cela ne nous interdit pas de mettre en commun et d’agréger des données. Dans le cadre de TRASCE, par exemple, nous anonymisons les données. L’idée du consortium consiste à travailler sur de la donnée collective.
Un consortium nécessite-t-il une tierce partie neutre ?
Par expérience, nous savons que c’est un facteur clé de succès, mais ce n’est bien sûr pas une obligation. Au-delà de la gestion de la confidentialité, cette tierce partie a surtout le mérite d’impulser une dynamique et d’aligner les différentes parties. Ce genre de démarche doit être gouverné, structuré. Cela permet également d’avoir des données exploitables collectivement par le tri et la mise en qualité des données d’une part, par l’assurance de mettre en place des systèmes d’information agiles d’autre part.
Quels défis ou difficultés voyez-vous dans la construction de ces consortiums ?
Les défis : le nombre de consortiums et la durabilité de leur impact ainsi que le développement d’une culture de partage de la donnée. Nous sommes partenaires de multiples consortiums, il n’est pas toujours évident de choisir ceux dans lesquels nous devons être partie prenante et qui auront un impact sur le long terme.
La question de la standardisation et de la qualité des données est également un défi au quotidien. S’il est important de partager la data au sein de consortium, il est également important de la partager en interne de nos propres entreprises pour atteindre nos objectifs. Développer une culture de partage de la donnée est un pré-requis et implique une conduite de changement significative.