Groupe Avril : « Nous avons utilisé nos process, nos outils et nos méthodes euros pour le carbone »
Olivier Brunet, directeur achats du groupe Avril, le spécialiste des oléagineux entend aborder le plan de décarbonation du groupe avec la même méthodologie que le plan de réduction de coûts du groupe. Il sera Grand Témoin lors des HA Days Achats responsables sur l’atelier « #Planification : comment cadencer votre plan de saving carbone », le mercredi 5 mars 2025, à Deauville.

Comment avez-vous conçu votre feuille de route de décarbonation et comment l’avez-vous coordonnée avec la planification de la performance achats ?
Le point de départ qui oriente l’action, ce sont les raisons pour lesquelles nous voulons décarboner. Est-ce une volonté personnelle, une question de cohérence par rapport au business de l’entreprise ou, plus basiquement l’application d’engagements dans des certifications, en particulier SBTI (Science Based Targets Initiative).
Comment partir d’une démarche scientifique et comment cadencer et mesurer les avancées sur des engagements à dix ans ou plus
A partir du moment où nous sommes entrés dans une démarche SBTI - comme c’est le cas pour le groupe Avril - deux autres questions se posent : comment partir d’une démarche scientifique et comment cadencer et mesurer les avancées sur des engagements à dix ans ou plus. Personne n’envisagerait de construire un plan business à cinq ans sans détailler les leviers à utiliser et leur niveau de difficulté. Mais, à l’inverse des plans d’économies, les plans de décarbonation manquent souvent de trajectoire, de gouvernance, d’analyse alors que 90 % des questions que l’on se pose sont les mêmes que dans un plan de performance achat. Il faut commencer par une analyse de la dépense ou du carbone, des matrices coût/effort ou coût/carbone, créer un pipeline d’actions, construire un management de projet, et avoir un outil associé pour le suivre. Nous avons donc utilisé nos process, nos outils et nos méthodes euros mais pour le carbone.
Nous avons déjà des catégories managers qui savent réduire les coûts, il faut seulement leur apprendre à le faire avec du carbone
Vous avez donc parallélisé vos démarches de réduction de coûts et de réduction de l’empreinte carbone ?
Dans une démarche aussi exigeante, avec un premier jalon SBTI en 2030, le délai est trop court pour construire ex-nihilo une gouvernance, des processus, une organisation, un outil… En revanche, nous avons déjà des catégories managers qui savent réduire les coûts, il faut seulement leur apprendre à le faire avec du carbone. De la même manière, le contrôle de gestion peut être formé à la comptabilité carbone, notre outil peut aussi avoir une case dédiée au carbone, etc. La démarche reste compliquée, mais on peut ainsi gagner du temps.
En revanche, les priorités en matière de coût ne sont pas toujours corrélées avec les priorités en matière de carbone. Air Liquide, par exemple, auprès de qui nos achats sont relativement modestes en valeur est notre troisième plus importante source de carbone. Certains fournisseurs dont les montants d’achats ne l’auraient pas justifié peuvent ainsi être considérés comme des fournisseurs stratégiques pour ce qu’ils représentent en carbone.
Nous devons donc gagner 90 000 tonnes sur les 300 000 tonnes que représente le scope 3
Quels sont les engagements de votre plan de décarbonation ?
Nous sommes engagés sur une trajectoire SBTI qui permet d’être en accord avec +2° d’ici à 2030, une « mid-term target » selon SBTI. Cela correspond à 30 % de réduction d’émission, sur une base 2019. Nous devons donc gagner 90 000 tonnes sur les 300 000 tonnes que représente le scope 3.
Comment avez-vous abordé l’épineuse question de la data ?
Dans un premier temps, nous nous sommes contentés d’extrapoler cette data, en nous fondant sur des facteurs d’émission physiques ou monétaires. Ce premier travail a permis d’utiliser la data pour cibler nos actions en priorisant nos fournisseurs les uns par rapport aux autres. L’urgence de l’action impose, dans un premier temps, de se contenter de la data que l’on a à disposition. Cela nous a permis d’établir le pareto de nos émissions, de nous concentrer sur les fournisseurs les plus émetteurs.
Pour la mesure des émissions, l’objectifs ultimes est la collecte d’ACV certifiées pour les biens et services. Cette information doit venir des fournisseurs. L’effort est donc plus sur leur engagement à partager ces infos et à gérer cette data chez Avril, que sur le l’affinage du calcul mené par Avril. Il ne faut pas perdre de vue l’enjeu n° 1 : la réduction. La mesure permet de s’assurer qu’on est sur la bonne voie, mais n’est pas une fin en soi. Pour ne pas perdre de temps, nous lançons en parallèle nos premières actions, en particulier sur les produits chimiques qui sont une source majeure d’émissions.
Nous gérons notre pipeline de projets de réduction de carbone avec le même outil qui nous sert à piloter notre pipeline de projets de réduction de coût
Avec quels outils pilotez-vous votre plan d’action de décarbonation ?
Nous gérons notre pipeline de projets de réduction de carbone avec le même outil qui nous sert à piloter notre pipeline de projets de réduction de coût : Spend HQ (ex-Per Angusta).
Quels sont vos différents leviers de décarbonation des achats ?
Nous avons décomposé notre objectif en une trentaine de blocs d’actions. La première phase a consisté à prendre en compte les nombreuses actions achats qui génèrent de la décarbonation, notamment le travail sur la demande. La seule valorisation de ces actions apporte des « quick win » carbone. Nous avons aussi mis en œuvre des engagements « back to back » avec certains fournisseurs qui vont nous décarboner en se décarbonant. C’est quelque chose que nous faisons notamment avec les compagnies maritimes.
La décarbonation implique des montants de capex énormes
Viennent ensuite les leviers plus complexes qui touchent à la technologie et à l’innovation. Pour cela, nous avons par exemple organisé une journée fournisseur, pour parler de projets de décarbonation sur des solutions qui pourront être mises en œuvre à horizon de quatre ou cinq ans. On arrive très vite sur les leviers les plus durs, qui impliquent des investissements ou des partenariats pour des co-investissements. La décarbonation implique des montants de capex énormes.
Il s’agit aussi parfois de changements qui ont un impact plus large sur la chaîne de valeur. Il est nécessaire de travailler ensemble avec la RSE, le business… pour aller plus loin dans les leviers. Par exemple, le changement de teinte de verre pour nos bouteilles d’huile qui est un levier important mais qui touche aussi aux habitudes du consommateur final.
Pour identifier et mettre en œuvre ces leviers, la formation des acheteurs à ces enjeux, à la mesure carbone, à la compréhension des propositions fournisseurs est primordiale. Nous avons donc développé des formations ciblées, des outils et proposons de l’accompagnement dans leurs échanges avec les fournisseurs.
Pouvez-vous citer des exemples d’investissements qui pourraient faire avancer votre objectif de décarbonation ?
Si nous voulons par exemple qu’un verrier transforme son four en four électrique, nous devons nous engager sur contrat à long terme ou bien accepter de payer 25 % plus cher. Autre exemple : EDF nous propose une solution de captation du carbone de nos usines et d’hydrolyse et d’hydrogénation sur notre site, cela implique un surcoût à la tonne de 200 euros et 20 millions d’euros de capex. C’est un investissement lourd, mais en décarbonant notre méthanol, le diester que nous commercialiserons aura une empreinte carbone encore plus faible au regard d’un diesel.
Réduire le scope 3 est une mission compliquée et seuls les acheteurs peuvent le faire
Il faudra donc des arbitrages comex pour avancer sur ces sujets ?
En effet, mais ce sont aussi des sujets avec lesquels les acheteurs ont la possibilité de changer la donne. Réduire le scope 3 est une mission compliquée et seuls les acheteurs peuvent le faire. J’y vois donc une opportunité, mais la tâche est compliquée.
Nous ne pouvons monter pas au comex à chaque fois que nous avons un arbitrage à faire. Nous envisageons donc de créer un comité d’arbitrage regroupant une partie du comex qui se réunira trois fois par an et, en deçà d’un certain montant, je trancherai seul.
Le coût de la tonne carbone à partir duquel le comex envisage ces investissements est-il suffisant ?
Le comex est prêt à concéder des investissements pour la décarbonation. Seulement, les investissements capex sont pour l’instant mesurer à partir d’une tonne carbone entre 60 et 100 euros, alors que le coût de la décarbonation situe plutôt la tonne de carbone entre 300 et 500 euros.
Est-ce que la méthode que vous mettez en œuvre vous permet d’envisager le mur de la décarbonation avec plus de sérénité ?
C’est une méthode rassurante dans le sens où elle correspond à une approche analytique. Elle utilise aussi des outils déjà déployé dans les métiers Achats. En revanche, une fois cette analyse effectuée, il devient évident que la marche est très haute et que, pour atteindre notre objectif, il faudra que tout se passe comme prévu, que nous acceptions de payer plus cher certains achats et de prendre des tournants technologiques. Le point positif, c’est que, en s’industrialisant, ces nouvelles technologies devraient, à terme, coûter moins cher. Reste à savoir s’il y aura une prime aux pionniers ou si, au contraire, ils paieront plus cher.