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Geodis : « La CSRD est un sujet dont les Achats doivent s’emparer »


Benjamin Hulot, directeur des achats de Geodis défend l’intérêt de continuer à s’engager dans la mieux-disance environnementale dans la ligne de la réglementation CSRD malgré les doutes politiques actuels. Il sera Grand Témoin de l’atelier-débat : « #CSRD : comment faire en sorte que le reporting ne prenne pas le pas sur l’action ? » lors des HA Days Achats responsables le mardi 4 mars, à Deauville.

Benjamin Hulot, directeur des achats de Geodis. - © D.R.
Benjamin Hulot, directeur des achats de Geodis. - © D.R.

Les doutes actuels sur une application de la CSRD sont-ils de nature à faire refluer les efforts des directions achats ?

La France a ratifié ce texte début 2024 et certains grands groupes ont déjà anticipé. Il est vrai que le contexte, à la fois en Amérique et en Europe, est de nature à entrainer des remises en question. Peut-être que le contenu et la taille d’entreprises ciblées doivent être un peu revus à la baisse mais, en dépit, de ces doutes, les parties prenantes internes et externes souhaitent que les entreprises se positionnent. Les Achats doivent continuer à aller de l’avant car les éléments partagés seront de vrais différenciateurs de valeurs. La CSRD est un sujet dont les Achats doivent s’emparer et qu’ils doivent intégrer dans leur stratégie. Cette réglementation a en effet le mérite d’apporter de la rigueur dans les déclarations RSE et de la crédibilité aux engagements, notamment en matière de décarbonation.

La CSRD demande des indicateurs aux trois quarts qualitatifs et un quart quantitatifs

Quelles informations doit-on collecter pour la CSRD ?

La CSRD demande des indicateurs aux trois quarts qualitatifs et un quart quantitatifs. Sur les normes obligatoires, elle va très loin dans les indicateurs carbone (consommations, tCO2, euros investis, réel N vs N-1, Budget…) de très nombreux indicateurs sur les sujets sociaux (plus de 200 indicateurs collectés de type source et calculs) et quelques indicateurs de gouvernance (formations anti-corruption, montants des contributions, pratiques de paiement…). L’entreprise doit travailler beaucoup plus sur la gestion des risques et les dimensions qualification et évaluation de ses fournisseurs. Il faut mettre en place toute une architecture de pilotage du Third Party Risk Management : détermination des risques RSE, politique d’engagement, évaluation, audit et KPI.

Les agences de notation seront attentives à trois points : comment on évalue, comment on engage et comment on forme

Par quoi conseillez-vous de commencer sur ce sujet ?

Tout comme sur les questions de conformité, les Achats doivent commencer par segmenter pour mieux évaluer leurs fournisseurs. Le plus important consiste à faire une cartographie de ses risques. Il faut mettre en place un processus robuste qui permet de démontrer que l’on contrôle ses fournisseurs et qu’ils sont approuvés en fonction du code de conduite conformité et RSE) que l’on a défini. En plus de l’évaluation, la dernière étape consiste à mesurer des indicateurs de progrès. Les agences de notation seront attentives à trois points : comment on évalue, comment on engage et comment on forme.

Cette démarche implique donc que l’entreprise investisse un budget dédié ?

Avant cela, il est possible de bâtir une politique achat responsable, d’enrichir un code de conduite avec le département conformité, RSE et de produire une cartographie des risques. Tout cela peut être fait avec les ressources internes du département risques, contrôle interne, conformité.

Avec quels outils peut-on avancer sur ces sujets ?

Les outils, tout comme les bases de données dédiés à la mesure du scope 3 sont encore rares et balbutiants. Toutefois, la CSRD ne pose pas que des questions de process et d’outil, mais aussi d’animation. Il faut aussi réussir à créer un état d’esprit dans les équipes achats propice à valoriser les actions qui rentrent dans la politique achats responsables. Elles peuvent faire remonter des données, par exemple en mesurant le nombre de contrats qui intègrent des critères de durabilité, des démarches d’économie circulaire, etc. On avancera aussi en valorisant ce qui a été fait.

La direction achats doit s’imposer comme un partenaire important et ne pas se laisser dicter un tempo qui n’est pas le sien

Il est important pour la direction achats d’avancer à son rythme et de prendre l’initiative en alimentant les directions impliquées et demandeuses en interne, en particulier les directions des risques et de la RSE. La direction achats doit s’imposer comme un partenaire important et ne pas se laisser dicter un tempo qui n’est pas le sien.

Comment ces sollicitations peuvent-elles être perçues positivement par les fournisseurs ?

Pour beaucoup de fournisseurs cela va être une façon de se différencier. C’est aussi un moyen de montrer sa capacité d’innovation, en particulier lorsqu’il s’agit d’économie circulaire, d’efficacité énergétique, de décarbonation qui impliquent souvent le développement de nouveaux business models. En France nous avons d’ailleurs un très bon vivier de startups et de talents sur ces sujets.

Avez-vous des exemples de solutions innovantes mises en œuvre chez Geodis ?

Nous travaillons sur des sujets de bornes électriques enfouies pour nos camions et sur la robotisation de nos sites de livraison pour réduire la pénibilité des tâches dans nos entrepôts. Nous devons aussi décarboner sensiblement nos transports et nous testons donc toutes les solutions : gaz, électrique sur courtes distances, biocarburants. Nous avons aussi passé un contrat avec un éco-organisme qui revalorise nos ordinateurs et travaillons sur le prolongement des durées de vie (Programme de BU Circulaire du Groupe) ainsi que sur des futurs modèles positionnant Geodis comme acteur de la reverse logistique de la SNCF sur le recyclage des métaux et réemploi des matériaux. Nous avons également référencé parmi nos sociétés d’intérim, un acteur du STPA (Secteur du travail protégé et adapté), dans un contexte où le groupe SNCF espère atteindre les 100 millions d’euros acheté auprès du STPA d’ici à 2030.

Certains secteurs d’activité ont-ils pris une longueur d’avance sur ce sujet ?

Certains secteurs d’activité sont beaucoup plus avancés que d’autres sur la connaissance de leur écoystème de fournisseurs, par exemple le retail et la distribution, l’agro-alimentaire ou encore l’automobile. Nous publions aujourd’hui un bilan carbone de nos flux qui peut être certifié. Il est beaucoup plus simple de faire cette évaluation pour des équipements, ou encore de la matière, beaucoup moins pour des achats de services et de sous-traitance.

Les donneurs d’ordres ont beaucoup à gagner en se rapprochant pour accroître leur influence sur leur tissu fournisseurs

Ne faut-il pas promouvoir des stratégies de rapprochement entre donneurs d’ordres pour partager des informations sur le pilotage des risques RSE des sous-traitants ?

Les donneurs d’ordres ont beaucoup à gagner en se rapprochant pour accroître leur influence sur leur tissu fournisseurs. Nous devons engager ce travail à travers les associations qui défendent nos métiers dans notre secteur d’activité pour bâtir des standards.

Les prestataires de solution achats éditeur ou conseil ont-ils pris la mesure du sujet ?

Je suis fréquemment sollicité par des acteurs qui vantent les mérites de l’intelligence artificielle, qui seraient en mesure de résoudre ce problème d’accès aux données. Mais faute de standardisation des informations requises, nous en sommes réduits à tous adresser des questionnaires différents à nos fournisseurs. Le big data de la donnée RSE est un énorme marché en train de se construire mais qui n’est pas encore mature. Contrairement au marché du screening des fournisseurs pour satisfaire aux exigences de Sapin 2, avec des acteurs comme BVD ou D&B avec InDueD.