Quartiers d’affaires : « Créer un label Made in Banlieue »
Par Guillaume Trecan | Le | Ha inclusif
Aziz Senni, président de l’association Quartiers d’affaires, organisateur du Forum économique des banlieues, le « Davos des banlieues » travaille à rapprocher les grands donneurs d’ordres des entrepreneurs basés dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il sera Grand Témoin du dîner débat du Club Planète Sourcing du lundi 4 novembre sur le thème : « Directions achats, startups, TPE, PME, comment les rapprocher ? ».
Quelle est la raison d’être de l’association Quartiers d’affaires que vous avez créée il y a deux ans ?
L’objet social de l’association Quartiers d’affaires (www.quartiersdaffaires.com) consiste à contribuer au développement économique des banlieues, soit les 1 506 quartiers prioritaires de la politique de la ville, DOM TOM inclus. L’association répond à trois problématiques majeures de la croissance et du développement économique. La première est le soutien aux TPE et PME. Il y en a 250 000 selon l’Insee, elles représentent 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 180 000 ETP directs. Nous avons choisi de qualifier ces entreprises de « Griffons », en référence aux Licornes. Nous proposons aux Griffons de les accompagner dans leur croissance pour avoir un impact positif sur ces territoires touchés par un taux de chômage de 23 %. Nous avons également vocation à en faire la promotion auprès d’investisseurs nationaux et internationaux.
Quartiers d’affaires est aussi l’organisateur du Forum Économique des Banlieues, le « Davos des banlieues », dont la première édition a eu lieu en septembre 2024 (www.feb2024.com) , parrainée par Xavier Niel. La prochaine aura lieu en novembre 2025. Sur le même modèle que le World Economic Forum suisse, cet événement a pour but de mobiliser les élites économiques, politiques et les acteurs économiques de banlieues pour réfléchir ensemble sur le développement économique de ces territoires. L’idée étant évidemment de connecter les Griffons avec les directions d’achats, les personnes en recherche d’emploi avec les directions des ressources humaines et les territoires et les entreprises qui y sont installées avec le monde de la finance et de l’investissement.
Le réseau Quartiers d’Affaires est présent en Île de France, en Occitanie et en Auvergne Rhône Alpes. Quatre nouvelles antennes régionales ouvriront en 2025
Le réseau Quartiers d’Affaires est présent en Île de France, en Occitanie et en Auvergne Rhône Alpes. Quatre nouvelles antennes régionales ouvriront en 2025 : Grand Est, Paca, Hauts de France et Aquitaine. Nous avons pour objectif d’avoir treize antennes régionales d’ici trois ans.
Qui sont les adhérents de l’association et quels sont ses revenus ?
Quartiers d’affaires est une association au fonctionnement classique, avec un conseil d’administration composé de cinq personnes et une marraine qui est l’ancienne DG Monde d’Endomol, Virginie Calmels. L’association vend des formations aux dirigeants, afin de couvrir ses frais et de financer sa croissance. Nous proposons un programme de 88 heures baptisé « Grandir », destiné aux Griffons réalisant plus de 50 000 euros de chiffre d’affaires, qui ont plus de deux ans d’existence et qui ont plus d’un salarié. Quartiers d’Affaires propose aussi le programme « Accélérer » pour les Griffons de plus de 100 000 euros de CA et trois ans d’existence. Ces deux formations sont composées de masterclass en présentiel, de webinaires et de workshops. Nous sommes aussi accessoirement financés par des appels à projets BPIFrance et de l’ANCT.
Quelles entreprises peuvent se prévaloir de la mention quartiers prioritaires de la politique de la ville ?
Nous avons créé notre propre outil, un annuaire. Nous réfléchissons en termes de bassin d’emploi. Nous avons référencé 250 000 entreprises. Cet annuaire permet aux directions d’achats de référencer en quelques clics des acteurs répondant à leurs cahiers des charges.
Quel type d’actions avez-vous mises en œuvre ?
Beaucoup de ces Griffons sont dans le transport, la logistique, le BTP, les services à la personne, les services aux entreprises, l’IT et le développement informatique ; 5 % de ces entreprises sont, en effet, des ESN. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les dirigeants de ces entreprises n’en sont pas forcément originaires. Certains entrepreneurs ont implanté leur entreprise dans ces quartiers pour leur main d’œuvre et parfois par militantisme.
Elles sont forcément beaucoup plus créatives parce qu’elles ont moins facilement accès à des marchés récurrents de grands groupes
Ces entreprises ont-elles une capacité d’innovation plus importante que d’autres ?
Comme beaucoup d’entreprises françaises, les TPE PME souffrent d’un retard en matière de digitalisation. Cela étant dit, elles sont forcément beaucoup plus créatives parce qu’elles ont moins facilement accès à des marchés récurrents de grands groupes. Elles savent à la fois faire preuve de réactivité, de résilience et d’anticipation.
En quoi le fait d’être implanté sur ces territoires apporte-t-il une contrainte supplémentaire à ces entreprises ?
Toute entreprise est influencée par son territoire. Il a des conséquences sur ses relations fournisseurs, ses relations bancaires, l’accessibilité des collaborateurs… Vis-à-vis des banques, par exemple, le fait pour une entreprise d’être installée en forte ruralité ou dans un quartier joue sur son scoring lorsqu’elle a besoin de financement. Elles font aussi face à des problèmes de foncier disponible. Les grands ensembles de ces quartiers n’ont pas été construits comme des cités productives mais comme des cités dortoir. Le sujet de la sécurité est en revanche de l’ordre des préjugés et convient d’être relativisé. En préparant notre forum 2025, nous avons discuté avec des investisseurs Chinois qui, interrogés sur ce sujet, nous ont rappelé qu’ils investissent dans des endroits en Afrique où il n’y a - selon leurs dires - ni eau, ni électricité, ni droits.
Quel constat faites-vous sur la relation entre les directions achats de grands groupes et les acteurs de ces territoires ?
D’un côté, les directions achats de grands groupes peinent à référencer ces TPE et PME et à travailler avec elles. De l’autre côté, les TPE et PME ne sont pas sur les mêmes cycles de vente et ne comprennent pas toujours leur fonctionnement et leurs systèmes d’information. Pourtant les petites entreprises ont besoin de commandes et de récurrence et les grands groupes sont confrontés à des normes ESG et achats responsables qui les obligent de plus en plus à diversifier leurs fournisseurs.
Avez-vous le sentiment qu’il existe une fracture entre ces deux mondes ?
Les préjugés sont nombreux de part et d’autre. Les TPE PME partent souvent du principe que les grands groupes ne sont pas à leur portée et s’autocensurent. C’est confirmé par les directions achats publiques et privées qui considèrent également que ces entreprises ne sont pas assez nombreuses à répondre à leurs appels d’offres. De leur côté, les directions achats ont besoin d’être rassurées sur la solidité des TPE PME implantées dans les quartiers.
Quelles actions avez-vous mises en place pour combler ce fossé ?
Nous avons conclu un partenariat avec le Conseil national des Achats et l’Adra pour aider les TPE et PME à bien comprendre les problématiques et les enjeux des directions achats, pour parvenir à coller au cahier des charges. Lors du Forum économique des banlieues, nous avons créé un jeu de rôle dans le cadre duquel les directions achats présentent leurs appels d’offres, expliquent comment se faire référencer, leurs contraintes et leurs attentes. Cette pédagogie peut contribuer à mieux rapprocher ces deux sphères. En plus de faire tomber ces préjugés, le « Davos des banlieues » a permis de générer des potentiels d’activité.
Nous sommes aussi en discussion avec l’Afnor et des directions achats pour créer un label « Made in Banlieue » qui certifiera qu’elles répondent aux exigences essentielles des grands groupes, notamment en matière de RSE et de gouvernance.
Nous avons proposé aux directions achats de flécher 5 % de leurs achats vers les Griffons
Que conseillez-vous aux directions achats pour réduire ce fossé ?
Il est hors de question de faire de la discrimination positive. Tout ce que nous demandons, c’est l’égalité des chances. Lors du Forum nous avons proposé aux directions achats de flécher 5 % de leurs achats vers les Griffons, mais sans jamais renoncer ni à la qualité ni au prix.
En revanche, nous les conseillons sur ces sujets de diversification de leur panel fournisseur et nous sommes là pour les aider. Pour cela, nous les invitons à nous communiquer leurs contraintes, qu’elles soient normatives, organisationnelles et de faire de la pédagogie sur leur process pour qu’elles puissent sourcer au mieux.
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