Sourcing, rationalisation, contractualisation… les priorités du nouveau CPO d’Aresia
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Ancien directeur des achats matières premières de Dassault Aviation, Julien Recoussines a été choisi pour prendre la succession d’Haïssam Hamahmy au poste de directeur des achats groupe d’Aresia. Ce dernier continue son parcours au sein de l’entreprise au poste de directeur commercial. À l’instar de son prédécesseur et dans la continuité de ce qu’il avait entrepris, Julien Recoussines conduit une feuille de route des plus ambitieuses.
Depuis le rachat de Rafaut en 2018 et la prise de participation majoritaire de HLD, un groupe d’investissement européen à capitaux permanents, Aresia a fait du chemin. Et l’entreprise continue encore de grandir, de se transformer, d’évoluer. Ce changement d’actionnariat a eu pour suite le déploiement d’une stratégie de croissance extrêmement ambitieuse. Le groupe, né d’un rapprochement entre plusieurs différentes entités du secteur de l’aéronautique, emploie plus de 700 personnes et vise au moins 250 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2025. Et Aresia n’est pas loin de toucher du doigt cet objectif. L’entreprise, dirigée désormais par Sylvain Rousseau, a en effet enregistré près de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires sur son dernier exercice fiscal.
Le rôle joué par les Achats et la Supply Chain dans cette success story n’est pas minime. La direction des achats groupe a eu pour mission de mettre en œuvre un certain nombre de synergies pour avoir une vision plus transversale des achats effectués au sein de l’entreprise. Sous l’impulsion de Haïssam Hamahmy, un plan de transformation achats avait été initié en février 2022 et impliquait la création d’une fonction « 100 % » achats, avec des acheteurs concentrés sur les phases de sourcing, du benchmark, de la veille, le pilotage de la performance et de la contractualisation. Ce dernier, qui a pris récemment un poste de directeur commercial au sein du groupe, a été remplacé par Julien Recoussines, ancien directeur des achats matières premières de Dassault Aviation. Il conduit une équipe composée d’une quinzaine d’acheteurs rangés sur quatre profils distincts : des commodity leaders chargés d’un panel, de sa stratégie et de sa rationalisation ; des profils acheteurs site ; des acheteurs indirects pour adresser les sujets hors-production de façon plus rationnelle ; et des acheteurs projets. Les dépenses externes adressées par ses équipes sont évaluées à près de 100 millions d’euros, soit la moitié du chiffre d’affaires du groupe.
Une action qui s’inscrit dans la continuité de l’action d’Haïssam Hamahmy
Intégrer la couche en dessous de celle des grands donneurs d’ordre du secteur est une immense opportunité. Peu d’entreprises peuvent se vanter d’une telle trajectoire de croissance
En poste depuis avril 2024, Julien Recoussines avoue bien volontiers vouloir s’appuyer sur ce qui a été fait par son prédécesseur. Hors de question donc de tout bazarder ; le maître-mot est bien de s’inscrire dans la continuité du plan de transformation lancé en 2022 dont l’objectif était notamment de faire grandir le métier d’acheteur dans la chaîne de valeur au sein de l’entreprise et de passer de profils d’acheteurs-approvisionneurs à des « purs » acheteurs, bien plus impliqués en amont des projets. « Ce que Haïssam Hamahmy a mis en place est une excellente base de travail sur laquelle s’appuyer. C’est pour cela que je m’inscris dans ce qu’il a réalisé », explique le nouveau directeur des achats d’Aresia. Le challenge est plus qu’alléchant pour Julien Recoussines qui œuvrait donc jusque-là chez le principal client d’Aresia. « L’idée d’apporter ma pierre à l’édifice de ce regroupement qui continue de développer une culture commune d’entreprise était séduisante. Intégrer la couche en dessous de celle des grands donneurs d’ordre du secteur est une immense opportunité. Peu d’entreprises peuvent se vanter d’une telle trajectoire de croissance », assure-t-il.
Sans solidité au niveau des Achats et de la Supply Chain, l’entreprise verrait sa marche enrayée. Les approvisionnements de nos pièces, matières et composants ne pourraient être assurés dans de bonnes conditions
Face à une telle évolution, Julien Recoussines, membre du comité de direction et placé sous la responsabilité directe de Sylvain Rousseau, entend poursuivre ce travail de montée en compétence des équipes, aussi bien du point de vue des outils que de la connaissance des panels. « Le montant des achats augmente mécaniquement à mesure que notre chiffre d’affaires progresse. Pour accompagner la croissance, nous devons encore gagner en maturité. Sans solidité au niveau des Achats et de la Supply Chain, l’entreprise verrait sa marche enrayée. Les approvisionnements de nos pièces, matières et composants ne pourraient être assurés dans de bonnes conditions », rappelle-t-il.
Pour participer au modelage du moule de cette « croissance », le nouveau directeur des achats fait des compétences achats, du management de la performance fournisseur et de la compétitivité de véritables pivots. Les tensions sur les matières premières, la fragilité de la chaîne d’approvisionnement, le contexte inflationniste, ou encore rallongement des lead times sont autant de raisons de recentrer l’action des Achats.
Un sourcing élargit pour répondre aux besoins des clients finaux
Pour accroître la compétitivité de l’entreprise, il est primordial aux yeux du nouveau directeur des achats (comme aux ceux de son prédécesseur) d’imbriquer les Achats en phase amont des processus ou mieux, d’un projet lorsqu’il est gagné. Une manière pour Julien Recoussines et ses équipes de mieux répondre aux besoins internes et donc de mieux sourcer certaines matières premières et composants électroniques, tout en travaillant sur la notion de risque, plus particulièrement sur des matières premières qui proviennent de géographies à risque justement. Pour ce faire, la direction des achats s’est attachée à élargir son bassin de sourcing.
Nous continuons donc de développer un écosystème fournisseurs dans ce pays et tâchons de nouer des partenariats avec des acteurs locaux pour accompagner l’implantation de notre client dans ce pays
Le groupe Aresia a longtemps eu pour habitude de travailler principalement avec des acteurs français. Un choix qui fait sens bien entendu, mais qui ne répond pas totalement à cette recherche de compétitivité. Pour en apporter, la direction des achats s’est notamment tournée vers des fournisseurs basés en Europe du Sud, en Europe de l’Est, ou encore en Afrique du Nord. À ces contrées s’ajoute l’Inde, qui constitue désormais l’un des plus importants marchés de l’aviation et qui a notamment acheté plus d’une trentaine de Rafale pour son armée de l’air. « Nos principaux clients, notamment Dassault Aviation, nous poussent à sourcer en Inde. Les enjeux militaires dans ce pays sont immenses. Nous continuons donc de développer un écosystème fournisseurs dans ce pays et tâchons de nouer des partenariats avec des acteurs locaux pour accompagner l’implantation de notre client dans ce pays », confirme Julien Recoussines.
Cette volonté du groupe de percer le marché américain devra s’accompagner à terme par la création d’une supply chain américaine, car pour travailler avec les acteurs américain du secteur, il nous faudra travailler avec des acteurs locaux
À l’inverse d’autres fournisseurs de rang 1, Aresia s’est longtemps refusé à ouvrir les vannes d’un sourcing mondial. Mais au regard de l’approche de certains concurrents et de son envie de gagner encore en compétitivité, le groupe n’a pas eu d’autres choix, d’autant qu’elle se privait de compétences techniques certaines. Mais cette ouverture sur l’extérieur qui restait limitée, de manière notamment à ne pas faire exploser l’empreinte carbone du groupe, peut potentiellement s’accroître un peu plus que prévu pour des raisons bien précises. Aresia a en effet annoncé récemment la création d’une nouvelle filiale aux Etats-Unis. La nouvelle entité, Aresia Inc, assurera la veille commerciale sur place afin de capter de nouveaux clients. « Cette volonté du groupe de percer le marché américain devra s’accompagner à terme par la création d’une supply chain américaine, car pour travailler avec les acteurs civils et militaires du secteur américain, il nous faudra nécessairement travailler avec des acteurs locaux », explique Julien Recoussines.
Un pilotage de la relation fournisseurs toujours aussi resserré
Aresia, qui propose des équipements et systèmes d’emport respectivement pour le civil et le militaire, des palonniers, des équipements électroniques embarqués, ou encore des systèmes de commandes de vol, est en première ligne et très exposé aux demandes des grands donneurs d’ordre du secteur aéronautique. Le groupe fait face depuis de nombreux mois à une montée en puissance simultanée, inédite et significative de l’aéronautique civil et militaire. De fait, le défi pour Aresia est immense s’agissant de tenir la cadence et, plus précisément, ses taux de service vis-à-vis de ses clients. Le groupe manœuvre sur des cycles produits particulièrement longs, avec des spécificités marquées et des matières contrôlées et qualifiées.
Or, certaines sont en pénurie et, à la suite de la pandémie de Covid et des confinements successifs, certains fournisseurs et sous-traitants ont fait face à d’immenses difficultés financières, voire ont mis la clé sous la porte. La problématique d’approvisionnement a de fait enflé, rendant la tâche des Achats particulièrement ardue. « Même si les effets d’annonce peuvent exister, le ramp-up post Covid est réel. Les cadences sont plus élevées. Beaucoup de fournisseurs ont connu les pires difficultés, ont fusionné ou ont, dans le pire des cas, déposé le bilan. De fait, nous devons prendre soin de notre supply chain et prendre en compte les difficultés auxquelles elle peut faire face », explique Julien Recoussines.
Une parfaite intimité entre les Achats et la Supply Chain a en ce sens été mise en place pour répondre à ces problématiques. Le groupe a notamment défini de nouveaux processus pour travailler en interne mais aussi avec ses tiers amont. Aresia, sous l’impulsion des Achats et de la Supply Chain, table en effet sur un process d’escalade fournisseurs commun à tous ses sites. Et, en réunion, les deux directions avaient créé il y a plusieurs mois déjà une équipe dédiée, baptisée Supplier Quality Development (SQD), pour mieux collaborer avec leurs fournisseurs. L’objectif : les aider et les accompagner, faire des revues de carnets de commandes et prioriser lorsque le capacitaire fait défaut. « Les chantiers se poursuivent à ce niveau. Le binôme achats-supply est toujours aussi fort et il doit continuer de l’être. Compte-tenu des enjeux, nous devons être irréprochables sur nos forecast pour nos fournisseurs et s’assurer que leur capacitaire ne fasse pas défaut et soit bien ficelé ». Mais le pilotage de la relation fournisseurs ne s’arrête pas à ça.
Le taux de contractualisation sur nos masse achats n’est pas assez important. Il nous faut l’améliorer pour suivre le ramp up
« Le taux de contractualisation sur nos masse achats n’est pas assez important. Il nous faut l’améliorer pour suivre le ramp up. Cela passera notamment par le fait de développer des marchés à plus longue durée, de cinq à dix ans par exemple dès lors que cela fait sens, afin d’offrir davantage de visibilité à nos fournisseurs. Les donneurs d’ordre nous en donnent, il est donc tout naturel d’en donner à nos fournisseurs. Nous pourrons comme cela sécuriser nos appros et être mieux considérés par certains de nos fournisseurs afin d’assurer une certaine qualité de service et de performance à nos clients finaux », indique Julien Recoussines.
Ce chantier s’accompagne également par un travail de rationalisation du panel fournisseurs. « Nous devons faire les bons choix de sourcing et de contractualisation en amont. Notre réussite réside aussi dans ces choix d’entretenir des relations sur le long terme avec tel ou tel fournisseur », expose le directeur des achats.
La digitalisation, un enjeu de taille
La structuration des process achats constitue une autre priorité de Julien Recoussines, au même titre que le développement d’un plan de réduction des coûts. « Nous devons mieux contrôler nos dépenses. Nous sommes un groupe en formation et certaines pratiques achats ne sont pas maîtrisées. Il faut apporter davantage de centralisation à nos achats et massifier. À ce titre, la question de remodeler quelque peu l’organisation achats pour apporter davantage d’efficience se pose et est une possibilité. Le tout est de ne pas le faire au détriment des sites », synthétise Julien Recoussines. Autre point à adresser : la digitalisation. Aresia compte sept ERP pour onze sites. Difficile dans ces conditions d’avoir des reporting globaux sur l’ensemble des fournisseurs. Cette multiplicité est évidemment très énergivore, en temps et en ressources, humaines comme financières.
L’implémentation d’une solution e-achats est d’ailleurs une solution envisagée par Julien Recoussines pour mieux piloter l’action des Achats. « Le tout est de savoir si nous lancerons ce chantier dès maintenant en l’état ou alors lorsque la migration vers un seul et unique ERP sera décidée ; chose qui pourra donner une autre dimension à notre projet tant l’implémentation d’un outil e-achat peut se révéler extrêmement structurant mais aussi complexe en interne et pour nos fournisseurs », conclut-il.