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Aresia : « Il nous faut imbriquer les Achats en phase amont d’un projet lorsqu’il est gagné »

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Haïssam Hamahmy, directeur des achats groupe d’Aresia, détaille sa feuille de route et expose le plan de transformation qu’il a enclenché. Un projet essentiel, ce dernier rappelant que la structuration de la fonction est une composante essentielle à la bonne santé économique de son entreprise. 

Aresia : « Il nous faut imbriquer les Achats en phase amont d’un projet lorsqu’il est gagné »
Aresia : « Il nous faut imbriquer les Achats en phase amont d’un projet lorsqu’il est gagné »

En quoi consiste le programme de transformation des Achats que vous avez entrepris ?

Beaucoup de choses ont changé depuis le rachat de Rafaut en 2018 et la prise de participation majoritaire de HLD, un groupe d’investissement Européen à capitaux permanents. Ce changement d’actionnariat s’est accompagné par une stratégie de croissance externe, qui a considérablement été accélérée durant la période Covid, avec l’acquisition de quatre sociétés. Depuis ma prise de poste en 2018, j’ai eu la tâche de mettre en œuvre beaucoup de synergies pour avoir une vision plus transversale des Achats, qui intègrent les particularités des six entités qui composent le groupe aujourd’hui.

L’objectif étant de faire grandir le métier d’acheteur dans la chaîne de valeur au sein de l’organisation générale et de passer de profils d’acheteurs-approvisionneurs à acheteurs impliqués en amont des projets

En plus des achats productions et hors-productions, sans oublier la partie opérationnelle, je pilote un projet de transformation qui suit les ambitions et enjeux du groupe. Un groupe de travail avait été lancé à ce sujet en juin 2021. L’objectif étant de faire grandir le métier d’acheteur dans la chaîne de valeur au sein de l’organisation générale et de passer de profils d’acheteurs-approvisionneurs à acheteurs impliqués en amont des projets, qui se focalisent davantage sur la stratégie panel, la mutualisation, ainsi que rationalisation et qui sont à même de challenger la partie coûts. Nous avons ainsi mis en place une parfaite intimité entre les Achats et la Supply Chain.  

Le plan de transformation, initié en février 2022, implique la création d’une fonction « 100 % » achats, avec des acheteurs concentrés sur les phases de sourcing, du benchmark, de la veille, le pilotage de la performance et de la contractualisation. Les appros reviennent sous l’autorité de la Supply Chain et un pôle achats indirects a été créé. Je souhaite recentrer mes équipes sur le métier « achats », un impératif au regard de nos enjeux et de la taille du groupe. Le processus se poursuit et prend du temps au vu du contexte de l’Industrie post Covid et de son environnement associé : tensions sur les matières premières, contexte inflationniste, rallongement des leadtimes …

Quelle est la feuille de route de cette nouvelle organisation ? 

Elle se définit autour de trois volets : compétence achats, management de la performance fournisseur et compétitivité. Le premier passe par la définition de différents périmètres de responsabilité et de la limite avec les fonctions de la supply chain ainsi de celles de la qualité fournisseur. Pour augmenter la compétence métier de nos acheteurs, nous voulons les orienter, par une multitude de formations, vers les notions de négociation, price breakdown, cost breakdown et contractualisation. Après avoir satisfait ce premier item, nos équipes devront satisfaire le deuxième en adoptant une stratégie et une vision transversale sur leur panel respectif. La performance passe par la mise en place d’une stratégie achats, la rationalisation du panel, avec, à la clé, de la compétitivité. L’objectif étant in fine de mieux piloter la performance de nos fournisseurs à l’aide de supplier dashboard, des OTD et OQD.

Pour en apporter, nous devons élargir notre footprint à l’Europe du Sud, l’Europe de l’Est, ou encore l’Afrique du Nord

Enfin, pour accroître la compétitivité de l’entreprise, il nous faut imbriquer les Achats en phase amont des processus ou mieux, d’un projet lorsqu’il est gagné. Cela nous aidera à mieux sourcer certaines matières premières et composants électroniques, travailler sur la notion de risque, plus particulièrement sur des matières premières qui proviennent de géographies à risque justement. Pour cela, nous devons développer notre footprint supplier worldwide ; nous avons l’habitude de travailler essentiellement sur du made in France. Si cela est plus intéressant d’un point de vue environnemental, point sur lequel nous apportons une attention particulière, cela l’est beaucoup moins d’un point de vue compétitivité. Or, pour en apporter, nous devons élargir notre footprint à l’Europe du Sud, l’Europe de l’Est, ou encore l’Afrique du Nord, tout en étant attentifs à notre empreinte environnementale. Par ailleurs, travailler plus étroitement avec nos services commerciaux en phase de chiffrage nous permettra également d’être plus compétitif.

La compétitivité est-elle la seule justification à l’élargissement de votre bassin de sourcing ?

En effet et nous l’assumons, d’autant qu’au regard de l’approche de nos concurrents, nous ne pouvons pas faire autrement. Ils ont ouvert les vannes il y a désormais une dizaine d’années, en s’ouvrant sur la Chine, l’Inde et l’Afrique du Nord. S’ils commencent peu à peu à restreindre leur bassin, ils conservent un petit avantage et demeurent un peu plus compétitifs que nous. Cette ouverture vers l’extérieur reste toutefois limitée, de sorte à ne pas faire exploser notre incidence sur l’environnement. Nous n’avons aucunement prévu d’ouvrir notre panel fournisseurs sur la Chine.

Quels nouveaux rôles avez-vous créés au sein des Achats ? 

Nous ne comptions sur la grande majorité de nos sites aucun acheteur ; le référent achats étant souvent le patron du site ou le directeur de production, qui négociaient et passaient commande sans cadre bien établi. Nous avions des acheteurs-approvisionneurs sur deux de nos sites seulement, lesquels étaient rattachés à la Production. Leurs problématiques se portaient davantage sur des questions de délai que de coût. Or, agir dans l’urgence obligeait nos équipes à faire plus d’appros que des achats. 

Partant de ce postulat, nous avons veillé à rattacher les acheteurs à la direction des achats en la renforçant. C’était un impératif, d’autant que plus de 50 % de notre chiffre d’affaires est dépensé par les Achats, à savoir 75 millions d’euros de dépenses en 2021. Nous avons pour cela remis des lignes hiérarchiques intermédiaires pour que tous les acheteurs se sentent partie prenante de la stratégie achats du groupe. Cet échelon intermédiaire, instauré depuis un an, est incarné par deux responsables achats qui viennent accompagner nos équipes dans cette période de transformation.

Les acheteurs au sein de l’organisation sont désormais rangés sur quatre profils distincts : des commodity leaders chargés d’un panel, de sa stratégie et de sa rationalisation ; des profils acheteurs site ; des acheteurs indirects pour adresser les sujets hors-production de façon plus rationnelle ; et des acheteurs projets, profil créé il y a un an au sein des Achats pour administrer les nouveaux développements.

En parallèle, vous devez accompagner une trajectoire de croissance ambitieuse. Comment opérez-vous ?

Le projet de transformation est là pour ça et c’est pour cette raison que nous voulons faire monter en compétence nos équipes, que ce soit du point de vue des outils et de la connaissance de nos panels. Sans construction d’une stratégie cible par panel, nous subirons les potentielles futures opérations de croissance externe du groupe. Et le but n’est pas de les subir, mais de les anticiper pour mieux les gérer. Avoir des stratégies qui permettent de générer des gains de performance économique, ainsi que de pérenniser la supply chain, fait gagner du temps. C’est comme cela que nous ancrerons au bon niveau les Achats au sein de l’organisation générale et que nous pourrons répondre aux contraintes clients internes.

Le projet de transformation n’est pas une excuse pour arrêter de se concentrer sur la partie opérationnelle

Il s’avère par ailleurs que nous devons en effet nous ajuster au ramp up que connaît le secteur. Le quotidien est celui-ci et le projet de transformation n’est pas une excuse pour arrêter de se concentrer sur la partie opérationnelle. Nous visons 180 millions d’euros de chiffre d’affaires sur notre prochain exercice fiscal et avons l’objectif d’atteindre 250 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2025. Une trajectoire qui passera aussi bien par de la croissance organique que par des opérations de croissance externe.

De ce fait, nous renforçons nos liens et échanges avec la direction supply chain, afin de préparer au mieux les forecasts pour nos fournisseurs et s’assurer que leur capacitaire ne fasse pas défaut et soit bien ficelé. Cela nous permettra de renforcer avec eux nos relations business et de répondre à leurs attentes. Nous avons multiplié les réunions avec Mélanie Bulourde, SVP Supply Chain, pour évoquer les problématiques capacitaires fournisseurs. Nous avons renforcé la notion qualité fournisseurs achats en central et nous avons créé une nouvelle fonction métiers au sein du contexte Supply Chain-Achats, supplier quality development leader, sorte d’interface qui s’intéresse aux problématiques fournisseurs et à la manière dont nous adressons nos forecasts.

Quel diagnostic avez-vous sur la filière aéronautique ?

Ce qui fait la force d’Aresia et de Rafaut avant elle, c’est sa capacité à avoir une activité « Dual ». En se positionnant aussi bien sur le Civil et la Défense, nous faisons montre d’une certaine solidité. Aujourd’hui, le secteur de la Défense nous porte, car il gagne en vitesse.

L’écosystème n’a pas entretenu les savoir-faire sur des métiers hyper techniques en quantité suffisante

Beaucoup d’acteurs se sont fragilisés avec la crise Covid, en particulier les PME du secteur. Beaucoup de fournisseurs étaient dépendants des marchés Airbus, dont les cadences, plus importantes, sont bien différentes de celles du Rafale. Mais lorsque les cadences tombent, sur un marché que l’on pense attractif, les lendemains se révèlent très difficiles. La supply chain en a pâti du point de vue financier. Beaucoup de sociétés ont dû se séparer de leurs collaborateurs. Et il est difficile de redémarrer la machine sans ressource. Les compétences manquent et c’est un vrai sujet, d’autant plus sur ces marchés de niche, aux technologies très poussées. L’écosystème n’a pas entretenu les savoir-faire sur des métiers hyper techniques en quantité suffisante ; beaucoup sont partis. Il est difficile pour beaucoup d’acteurs de les faire revenir et cela les pénalise. C’est un vrai frein au développement des activités du secteur. 

À cela s’ajoutent les tensions géopolitiques et la guerre en Ukraine, qui perturbent notre chaîne d’approvisionnement. Le contexte est extraordinaire et nous devons nous y adapter. Les tensions sur l’énergie ont provoqué chez nos sous-traitants des difficultés supplémentaires et des modifications de leurs outils industriels. Sans oublier celles sur les composants électroniques et les matières premières. L’inflation n’a jamais été aussi marquée, les délais s’allongent … L’environnement est particulièrement instable.  

Vous parliez d’innovation. Comment votre contribution va-t-elle se matérialiser ? 

J’échange grandement avec la nouvelle directrice de l’innovation du groupe. Je veux promouvoir et cultiver ce sujet pour faire reconnaître davantage la fonction achats au sein de l’entreprise, faire monter en compétence mes équipes et participer d’une autre manière à sa compétitivité. Cela passe par le ciblage de certains fournisseurs aux technologies spécifiques et les proposer, très en amont, à notre bureau d’étude, nos directions Programme et Technique. 

Quels chantiers avez-vous ouvert sur la partie digitale ?

Nous sommes un peu plus en retard sur cette thématique. Il est difficile de lancer tous les chantiers de transformation simultanément. La priorité reste de consolider nos relations fournisseurs en ces temps de crise. 

Nous n’avons pas encore lancé d’outil e-procurement. Si Aresia est un groupe, il est constitué par des entités juridiques différentes, avec des ERP différents. Nous commençons tout juste à aborder la question de la digitalisation, avec en premier lieu une réflexion sur des outils de partage avec nos fournisseurs. 

Quelles sont vos ambitions en matière de RSE ? 

Nous venons tout juste de mettre en place une politique achats responsables. Nous ouvrons la possibilité de recourir à du mobilier reconditionné ; de même pour notre parc informatique et notre flotte mobile. Nous avons par ailleurs lancé des rénovations sur bon nombre de nos sites et avons mis en place un dispositif de régulation de l’ensemble de nos dépenses énergétiques, aussi bien en électricité qu’en eauNous voulons peu à peu embarquer nos fournisseurs dans notre politique de décarbonation, pour améliorer notre empreinte environnementale, notamment sur la question du transport.