Club Planète Sourcing : l’allocation budgétaire, ou la limite des achats responsables ?
Par Mehdi Arhab | Le | Environnement
Le premier Club Planète Sourcing de l’année, qui portait sur le rôle joué par l’acheteur face aux défis imposés par la transition environnementale, fut riche en débat. Si tous les convives sont sensibles aux enjeux de la transition environnementale, écologique et énergétique, et agissent tant bien que mal, la question du budget obsède. Et sans moyen, les acheteurs ne pourront pas aller de l’avant, ou alors, très difficilement.
Les acheteurs sont-ils soumis à une forme de contradiction entre le fait de dégager de la performance achats et le fait d’acheter responsable ? Ou alors les deux sont-ils liés ? Dans le baromètre de satisfaction des acheteurs construit par Républik HA - Le Média, en partenariat avec KPMG, 49 % des acheteurs, responsables et directeurs achats considèrent qu’il y a une injonction contradictoire entre leurs objectifs de saving et leurs objectifs RSE. Pour 82 % des répondants d’ailleurs, les gains sur achats restent l’indicateur de performance qui intéresse le plus la direction générale. Et vient derrière, tout de même, les achats responsables, preuve que le sujet occupe les esprits. Les acheteurs sont aujourd’hui en première ligne pour aider leurs entreprises à embrasser la transition environnementale, mais ont-ils les outils de pilotage et les moyens nécessaires à disposition ? Rien n’est moins sûr.
Mon terrain de jeu est forcément le scope 1, ce qui suppose de faire d’importants investissements et d’agir directement sur notre outil industriel
Un sujet qui interroge le principe même de réalité des acheteurs. Ils ont beau adresser plusieurs centaines de millions d’euros d’achats chaque année, le budget qui leur est alloué n’est pas toujours très conséquent sur le sujet assez responsable. Il est même parfois assez dérisoire. Pourtant, beaucoup de directions achats sont secouées pour mettre sur pied des politiques d’achats responsables et ce, sans qu’elles n’aient vraiment de budget associé à leurs efforts. Pour aider leur entreprise dans leur trajectoire de décarbonation, et pas que, les Achats doivent consentir à faire de gros investissements. Pour l’un des convives, directeur des achats groupe d’une grande entreprise industrielle, qui émet 22 millions de tonnes de CO2, le sujet de la décarbonation prend du poids. Le scope 1 représente 80 % des émissions de CO2 du groupe, tandis que le scope 3 « n’en représente que » 18 %. Comment agir dans ces conditions pour aider l’entreprise à décarboner ? « Mon terrain de jeu est forcément le scope 1, ce qui suppose de faire d’importants investissements et d’agir directement sur notre outil industriel », explique-t-il.
L’une des pistes étudiée réside dans le fait de s’éloigner des combustibles fossiles et de faire fonctionner les fours des cimenteries en brûlant des combustibles alternatifs à partir de déchets. Pas une mince affaire. Aujourd’hui, la composition classique du mélange cuit dans les fours d’une cimenterie est de 80 % de calcaire et 20 % d’argile. Les deux éléments sont préparés par broyage, cuits à très haute température, puis le résultat, le clinker, est à nouveau broyé. « C’est en utilisant moins de clinker que nous parviendrons in fine à émettre beaucoup de moins de CO2 », note le directeur des achats.
Achat vs sobriété
Le ROI est très peu perceptible, mais pour nous c’est une question de pérennité
Pour introduire du combustible secondaire, l’entreprise doit revoir toute son organisation industrielle : installation de convoyeurs, assurer les approvisionnements en déchets et pas n’importe lesquels bien sûr. Un travail titanesque qui réclame donc des investissements colossaux. « Le ROI est très peu perceptible, mais pour nous c’est une question de pérennité », retrace le CPO. Des filiales avec intégration verticale ont aussi été créées pour assurer les approvisionnements en déchets et les traiter. Une approche qui nécessite de revoir le rôle joué par les Achats et de développer des relations partenariales autour de contrats plus longs. Une réorganisation profonde qui n’est toutefois pas couplée à des allocations budgétaires toujours très conséquentes compte tenu des enjeux. Là encore, les acheteurs semblent être soumis à des injonctions contradictoires. « Le fait d’acheter, ce qui fait l’essence de notre métier, est à mes yeux la première des injonctions contradictoires, d’autant plus dans une période où nous devrions faire preuve de sobriété », assène l’un des convives.
« Le nerf de la guerre, c’est l’argent », poursuit un autre. Le cadre est posé. Mais alors, la transition environnementale, écologique et énergétique, intéresse-t-elle tant les entreprises ? Est-il possible d’aligner performance achats et performance RSE ? La question mérite d’être posée. Un invité, directeur achats d’un grand groupe français lui aussi, rappelle que la décarbonation n’est pas le seul sujet auquel les entreprises et leurs directions des achats doivent porter un intérêt. La biodiversité, la préservation des ressources et la gestion de la rareté sont autant de sujets importants. « La décarbonation est, me semble-t-il, l’arbre qui cache la forêt. L’entreprise de demain sera RSE ou ne sera pas. Si elle ne l’est pas, elle met tout simplement son avenir en jeu. Et la décarbonation ne peut être le seul sujet qui intéresse les organisations », dit-il, assurant que rien n’indique concrètement que la RSE soit synonyme de hausse des coûts.
La question des moyens, encore et toujours
Un autre, en réponse, indique que le coût de la décarbonation n’est pas neutre. Bien loin de là, quand bien même des économies « marginales » pourront être réalisées. Mais pour lui, du moins au sein de son organisation, il est largement acceptable de payer plus cher des prestations ou des produits écologiquement vertueux. Le plus dur est surtout, derrière, de convaincre, les clients finaux de l’entreprise, qu’ils soient professionnels ou particuliers d’ailleurs d’absorber un surcoût. « Or, il va falloir faire des choix », lance-t-il, se posant toutefois une question : quel sera le budget nécessaire pour réussir les défis imposés par la transition environnementale et écologique ?
Une chose est sûre, les achats responsables peuvent réellement permettre de participer au développement de nouveaux business models. Et cela est franchement notable et ne pourra que réjouir les entreprises qui se lancent dans cette démarche. « Le sujet crée un nouveau modèle par nature finalement », soutient l’un des convives, lui aussi directeur des achats d’un grand groupe industriel français.