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Anaïk : «  Nous avons décidé, à l’horizon 2025, de relever à 25 % notre volume d’achats en Europe  »

Par Mehdi Arhab | Le | Environnement

Séverine Toutain, directrice des achats du groupe Anaïk, revient sur le choix de l’entreprise de réduire sa dépendance aux importations de Chine depuis trois ans. Un choix effectué dans la droite lignée de sa démarche RSE et qui lui permet de diversifier ses sources d’approvisionnement. La PME, spécialisée dans la confection de cadeaux, coffrets promotionnels et accessoires, compte néanmoins toujours grandement sur ses partenaires chinois, matures et bien plus engagés qu’on ne pourrait le croire. 

Séverine Toutain, directrice des achats du groupe Anaïk - © D.R.
Séverine Toutain, directrice des achats du groupe Anaïk - © D.R.

Pourquoi le groupe Anaïk a-t-il ressenti le besoin de construire une direction achats il y a de cela quelques années ? Comment se structure-t-elle ?

La négociation irrigue grandement les activités du groupe. Il était de fait tout naturel qu’il forme sa direction des achats. Les Achats représentent le quart des effectifs de l’entreprise, qui emploie un peu plus d’une centaine de personnes et qui a enregistré sur son dernier exercice un peu plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. En plus de la direction des achats que je pilote, le groupe s’est doté d’une direction supply chain. Toutes deux ont voix au comité de direction, ce qui nous donne, à mon homologue de la direction supply chain, Coralie Paris et moi, une vue d’ensemble sur l’entreprise. C’est quelque chose de notable au sein d’une PME telle que la nôtre.

La direction des achats est l’un des cœurs du réacteur Anaïk. Ses 25 acheteurs en sont des moteurs

La direction des achats est donc l’un des cœurs du réacteur Anaïk. Ses 25 acheteurs en sont des moteurs. Notre quotidien est animé par le sourcing et l’exploration de la supply chain au sens chaîne d’approvisionnement, sans oublier la négociation donc et l’acte d’achat. Nous accordons une importance de tout premier ordre au fait de cartographier le plus précisément possible notre chaîne d’approvisionnement et nos fournisseurs de rang 2, de rang 3 et plus encore si cela est nécessaire. La traçabilité est un enjeu majeur, nous engageons beaucoup de frais à ce sujet.

En plus des 25 acheteurs, deux ingénieurs matières et un auditeur, rattachés à la direction supply chain, sont établis au plus près des usines de nos sous-traitants en Asie pour adresser cet enjeu.

Quel intérêt voyez-vous au fait de rapprocher Achats et Open Innovation ? 

J’ai pleinement participé à l’avènement de l’Open Innovation chez Anaïk et j’ai été à l’origine de ce rapprochement. Nos prescripteurs, et clients finaux par ricochet, avaient de fortes demandes sur des innovations matière et à leurs yeux, la direction des achats était de loin la mieux placée pour tenter de les capter. Tout cela a toujours reposé sur les épaules des acheteurs, or, leur quotidien était agité par d’autres tâches. Le sujet réclame beaucoup de temps. Nous ne pouvions plus compter sur les seuls acheteurs pour réaliser ce travail de recherche.

C’est pourquoi nous avons décidé de créer une cellule dédiée, en y détachant des ressources, qui ont tout le loisir de s’ouvrir, d’élargir leur terrain de jeu, d’aller au plus près de ce qui se fait ici et là. Une responsable innovation a ainsi été nommée au sein du groupe et me rapporte directement et t d’autres personnes du groupe l’accompagnent. Elle travaille en étroite collaboration avec nos ingénieurs matière, nos fournisseurs de rang 1 et de rang 2.

À quand remonte la structuration de votre politique achats responsables ?

Elle a été initiée en 2007, bien avant mon arrivée, sous l’impulsion de Frédéric Delloye, propriétaire et président du groupe. Le groupe a intégré la RSE à ses stratégies depuis plus de 15 ans, mettant l’accent notamment sur l’écoconception. La démarche a évolué, chaque année. Le groupe a d’emblée travaillé sur le sujet avec EcoVadis, cherchant à progresser, encore et encore. La fibre RSE au sein de l’entreprise se sent et se ressent.

L’entreprise a aujourd’hui obtenu la médaille platine EcoVadis. La totalité de nos achats sont réalisés auprès d’usines auditées socialement et 70 % à 80 % dans des usines auditées EcoVadis chaque année. Nous veillons à maîtriser l’ensemble de notre chaîne de valeur, en accord avec nos ambitions en matière de RSE. Nous mettons sur le marché, chaque année, plusieurs millions d’objets. La prise de conscience et nos actions se devaient donc d’être à la hauteur.

Vous avez annoncé vouloir augmenter votre volume d’achat en Europe de façon significative. Qu’est-ce qui motive ce choix et quels objectifs vous êtes-vous fixés ? 

Nous cherchons à travailler avec des fournisseurs qui nous ressemblent, sensibles aux sujets environnementaux et sociaux. C’est une question de valeur et d’état d’esprit, d’autant que nous avons obtenu depuis 2020 le statut d’entreprise à mission et la certification B Corp depuis 2022. Tout cela nous oblige à agir en conséquence. En ce sens, nous avons décidé, à l’horizon 2025, de relever à 25 % notre volume d’achats en Europe. L’Europe possède un vrai patrimoine et savoir-faire, nous voulons le faire vivre. Cela nous permettra, par ailleurs, de gagner assurément en réactivité, tout en diversifiant nos sources d’approvisionnement.

En 2020 encore, la quasi-totalité de nos achats était opérée en Chine, car les usines qui s’y trouvent offrent des avantages certains en matière de compétitivité prix, de savoir-faire technique et répondent à des fortes cadences de production

En 2020 encore, la quasi-totalité de nos achats était opérée en Chine, car les usines qui s’y trouvent offrent des avantages certains en matière de compétitivité prix, de savoir-faire technique et répondent à de fortes cadences de production. Les quelques achats en dehors de la Chine que nous effectuions alors l’étaient en Inde et Turquie. Mais avec le Covid, les difficultés d’approvisionnement se sont accentuées pour tous et les délais d’acheminement des pièces se sont allongés. Rapprocher une partie de notre volume de production était nécessaire et cela nous a permis de les réduire d’ailleurs. Dès 2022, nous avons fait le choix de concentrer 10 % de notre volume d’achat en Europe, au Portugal plus précisément. En 2023, ce taux atteint 15 %. Pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé d’ici à la fin de l’année prochaine, nous devons accélérer le pas, impérativement et significativement.

Nous continuerons bien entendu à travailler avec les usines de nos partenaires chinois, qui nous suivent depuis un long moment dans nos démarches. Tous sont audités et alignés sur nos engagements sociaux et environnementaux. Ils sont transparents, performants et il n’y a aucune raison de s’en séparer.

Nous continuerons bien entendu à travailler avec les usines de nos partenaires chinois, qui nous suivent depuis un long moment dans nos démarches. Tous sont audités et alignés sur nos engagements sociaux et environnementaux. Ils sont transparents, performants et il n’y a aucune raison de s’en séparer. Un vrai travail de fond a été réalisé, de nombreux investissements ont été conduits depuis plus de 20 ans et il n’est pas question de l’omettre.

Quels sont les gains de performance que vous tirez de cette nouvelle approche ? 

L’équation économique est différente d’ordinaire. En prix d’achat, le coût d’un produit façonné en Europe occidentale est bien entendu plus important qu’il ne l’est en Chine, car les coûts de la main-d’œuvre sont évidemment plus importants qu’en Chine et en Asie plus globalement. Partant de ce constat, il est difficile de tabler sur des économies substantielles Les effets positifs ne sont pas pour autant inexistants, les exonérations de douane et l’importance moindre des coûts de transport compte tenu de la proximité géographique avec nos clients est à noter.

Toute la viabilité du projet réside dans notre capacité à être réactif et aussi dans notre aptitude à générer, avec nos nouveaux sous-traitants, des innovations produits. Nous ne demandons, hormis quelques exceptions, jamais le même produit. Nous veillons à toujours réinventer ce que nous faisons. C’est une marque de fabrique.

Les matières utilisées dans nos produits, comme le coton, sont issues de sources recyclées ou biosourcées et certifiées.

À cela s’ajoutent quelques gains et compensations en équivalent carbone, rapprocher la production de nos clients est bénéfique du point de vue logistique et des distances parcourues. Nos clients finaux, intéressés, doivent derrière entendre que pour certaines pièces, ils devront en payer le prix. Les matières utilisées dans nos produits, comme le coton, sont issues de sources recyclées ou biosourcées et certifiées. Elles sont prélevées dans d’autres contrées que la Chine, puis importées au Portugal. Tout cela n’est pas anodin et l’agrégation de nos innovations matières ainsi que notre choix de relocaliser une partie de notre production en Europe nous permettent dorénavant d’être sur des horizons de lead time bien plus compétitifs.

Que réclame cette approche auprès de vos nouveaux sous-traitants ? Étaient-ils en mesure de répondre à vos volumes ? 

Aux côtés du Club CIC International, nous avons effectué un travail de sourcing pour sélectionner les partenaires les plus à même de satisfaire nos exigences. Nous avons exploré de nombreuses pistes sur tout le continent. À noter qu’aucun de nos sous-traitants asiatiques ne comptent de relai en Europe.. La Pologne était un pays qui nous intéressait, du fait de son écosystème en la matière, l’Italie et la France également, mais nous avons fini par jeter notre dévolu sur le Portugal. Les filières textiles y existent depuis de nombreuses années et Inditex, groupe Espagnol qui détient notamment la marque Zara, y a fait un énorme travail d’audit, ce qui a fini aussi par nous convaincre. Les infrastructures y sont matures. Après les avoir exploitées pendant de longues années, Inditex en sort désormais et confectionneurs cherchent de nouvelles opportunités.

Nous voulions bénéficier de ce trou d’air pour augmenter notre volume d’achats en Europe, d’autant que par leur historique, les usines au Portugal sont largement capables de répondre aux volumes de production dont nous avons besoin. D’autre part, nous bénéficions également de leur savoir-faire technique.

Les débuts sont forcément hésitants, d’autant que la gamme de produits sur laquelle nous nous positionnons n’avait jamais été manufacturée par leurs soins. Il nous a donc fallu resserrer le pilotage de la relation fournisseurs pour les aider à monter en compétence

Nous avons, eux comme nous, quelque peu tâtonné au départ. Les débuts sont forcément hésitants, d’autant que la gamme de produits sur laquelle nous nous positionnons, trousses et sacs pour l’industrie de la beauté, n’avait jamais été manufacturée par leurs soins. Il nous a donc fallu resserrer le pilotage de la relation fournisseurs pour les aider à monter en compétence. C’était primordial, d’autant que nos ordres des productions et nos délais de développement sont très courts, nous n’avons jamais un an devant nous pour réfléchir. 

C’est un travail de longue haleine, qui ne peut se faire à distance. Nous avons donc embauché et détaché une personne sur place, lusophone qui plus est, pour des questions de compréhensions évidentes et pour s’imprégner au mieux de leur culture de travail. Cela nous a permis de travailler au plus près des personnes qui œuvraient sur les patrons de couture et de les aider à s’adapter aux patronages de nos trousses et autres sacs. Notre équipe style est également intervenue dans cette démarche, afin de les conseiller et leur apporter les connaissances sur les parachèvements attendus, aussi bien sur les matières, les broderies et même les impressions de logo.

Est-il difficile de traiter avec des acteurs plus importants que vous ?

Nous sommes petits donneurs d’ordre, mais au regard des quantités demandées, les sous-traitants nous suivent.

Certaines des entreprises avec lesquelles nous travaillons, notamment au Portugal, sont plus costaudes et grandes que nous. Elles sont extrêmement bien organisées, suffisamment calibrées et assez agiles, il n’est donc pas difficile d’échanger avec elles. Elles ont fait preuve de beaucoup d’écoute et de réactivité pour répondre à nos attentes produits. Nous sommes petits donneurs d’ordre, mais au regard des quantités demandées, les sous-traitants nous suivent. Nous pouvons commander, pour certains produits, plusieurs centaines de milliers de pièces, voire des millions. Ces volumes nous donnent forcément du poids, car nous remplissons les lignes de production de nos tiers amont. 

Avez-vous des outils à disposition pour mesurer les effets de votre politique achats ?

En matière d’outils achats, nous comptons très prochainement déployer cette année un SRM.

EcoVadis nous aide à mesurer l’évolution des engagements de nos partenaires fournisseurs. En matière d’outils achats, nous comptons très prochainement déployer un SRM. Le budget a été validé et c’est une excellente nouvelle de savoir que nous disposerons d’un outil central management de nos fournisseurs, aussi bien pour conduire des actions de communication et évaluer nos partenaires au jour le jour. Notre ERP nous permettait jusque-là de piocher quelques informations nécessaires et indispensables, mais ne nous permettait pas d’opérer un suivi satisfaisant.

À quelle fréquence auditez-vous vos partenaires ? 

Nous allons au-delà des audits réglementaires bien connus des donneurs d’ordre, avec des sociétés telles que Sedex. Nous en conduisons une cinquantaine chaque année nous-mêmes, d’une part pour s’assurer de la qualité de ces audits et d’autre part pour qu’il n’y ait pas de déconnexion entre la réalité du terrain et les retours que nous avons de ces audits.

Comment les acheteurs perçoivent-ils tout ce travail ?

Tous adhèrent à cette démarche. La RSE est pour nous l’affaire de tous et chacun des membres de l’équipe a ce sujet inscrit dans sa feuille de route. Cette approche motive nos acheteurs, les plus jeunes comme les profils seniors et c’est une chance. C’est même un élément différenciant, qui nous aide à attirer des ressources. 

À quoi peut-on s’attendre à l’avenir en matière de relocalisation, d’écoconception ou autre ?

Nous allons continuer à travailler sur les matières recyclées, notamment le métal et le polyester mais également accélérer sur les matières régénératives comme le Tencel Lyocell Lenzing issu d’eucalyptus FSC (forêt éco-gérée). Les fibres régénératives offrent des solutions innovantes face aux défis environnementaux croissants tels que la déforestation, la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons effectué un important travail pour remonter les filières et cartographier nos fournisseurs de rang 2 et de rang 3.

Nous espérons après 2025 encore augmenter notre volume d’achats sur des bassins de sourcing proches. Nous avons récemment décidé de travailler avec un acteur français sur du cuir recyclé. Nous avons longtemps examiné le marché, sans trouver chaussure à notre pied. Nous sommes donc très heureux de ce rapprochement récent. La production a d’ores et déjà démarré sur une quantité, non négligeable, de 200 000 pièces.

Nous tâchons également de trouver de nouveaux acteurs de la filière du recyclage. Nous avons par ailleurs commencé à travailler avec Les Tissages de Charlieu, qui montrent qu’il est possible de produire en France des pièces accessibles, éco et socio-responsables. Cet acteur effectue un travail formidable et nous voulons définir les contours de ce qu’on espère être un partenariat prospère. Nous travaillons aussi sur des projets qui consiste à automatiser une partie de notre manière de produire, avec l’introduction de robotique.