La crise, le temps des Achats
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Pour son vingtième anniversaire, le colloque achats de l’Iscid-Co, l’école de commerce de Dunkerque qui héberge un MBA achats à l’international, a réuni de nombreux intervenants, acheteurs et consultants, les invitant à disserter sur les défis de la fonction en temps de crise. Compte-rendu, non exhaustif, des débats.
Le colloque achats de l’Iscid-Co fêtait cette semaine ses 20 ans. Et pour célébrer cet anniversaire comme il se doit, l’école a réuni plusieurs acteurs du monde des Achats. Ceux-ci sont longuement revenus sur les enjeux qui entouraient la fonction en cette période de crises multiples : tendance haussière marquée, pénuries, ruptures des chaînes d’approvisionnement …
Le sourcing, acte sécurisant
La pandémie de Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont passées par-là ; à l’Ouest rien de nouveau donc, mais force est de constater que la ligne de métier est, encore et encore, animée par ces sujets. Une actualité et des problématiques auxquelles la fonction tente de trouver des solutions, tant bien que mal. Et pour ce faire notamment, les Achats se laissent de plus en plus tenter par le local. Un choix finement pensé, permettant en effet de réduire de nombreux risques.
Mieux vaut qualifier deux ou trois sources en proche-import afin d’assurer la continuité de l’activité
« Si vous prenez le parti pris de sourcer loin, mieux vaut multiplier vos sources ; car plus vous éloignez vos sources d’approvisionnement, plus vous multipliez les risques d’aléas, en particulier sur le transport », rappelle en introduction Estelle Legrand-Ducarne, directrice des achats du groupe Ingredia et invitée d’honneur du colloque. « Pour les éviter, mieux vaut qualifier deux ou trois sources en proche-import afin d’assurer la continuité de l’activité », poursuit-elle.
La sécurisation de la Supply, une problématique très large
Si les questions du transport et des livraisons ont pris de l’ampleur, une autre, peu citée, revêt une importance tout aussi capitale. « L’aspect juridique n’est pas à négliger. Nous avons eu tendance à mettre cette question de côté quand tout allait bien, puis sont arrivées plusieurs crises, coup sur coup. Le Covid et la guerre en Ukraine ont forcé toutes les entreprises à revoir la partie contractualisation », explique Bouaza El Achhab, acheteur chez Arcelor Mittal, dont le périmètre s’élève à 45 millions d’euros, avec des fournisseurs établis à l’international.
À cela s’ajoute l’inflation, qui ne fait par moments « plus vraiment sens », regrette Bouaza El Achhab. « Notre priorité est de contenir l’augmentation des prix, pour ne pas laisser les finances sans contrôle », rappelle-t-il. Depuis plusieurs années désormais, de nombreuses directions achats considèrent en effet qu’elles font l’objet de demandes d’augmentation opportunistes de la part de certains de leurs fournisseurs. Une attitude qui participe à la dégradation de leurs relations au demeurant et qui empêche certaines structures de traiter d’égal à égal avec leurs tiers.
Nous atteignons le stade où certaines directions achats peu staffées et dont les dépenses sont peu importantes se voient retoquées par certains fournisseurs
« Le rapport de force a évolué et a basculé en faveur des fournisseurs. Nous atteignons le stade où certaines directions achats peu staffées et dont les dépenses sont peu importantes se voient retoquées par certains fournisseurs », explique lors de la première table ronde Mehdi Zaam, associate partner du cabinet Resultance. Se positionner comme le client favori de son fournisseur prend alors tout son sens ; pour être approvisionné et assurer la continuité de l’activité d’une part et d’autre part pour obtenir des tarifs somme toute décents.
L’acheteur, un lanceur d’alerte
Pour éviter tout couac et blocage dans la chaîne de valeur, les acheteurs doivent donc anticiper les déviations potentielles et envisager les actions correctives adéquates à avoir si une situation de crise se présente. Une posture qui impose aux Achats d’identifier des alternatives aux contraintes et tensions sur le marché voire, de capter des innovations pour optimiser ou raccourcir un cycle de production. « Notre fonction nous demande d’avoir une vision panoramique et de prendre du recul sur le business et les péripéties de ce monde. L’acheteur doit être ouvert, s’informer », note Bouaza El Achhab.
« Il faut souligner l’intérêt de l’identification du risque et de la cartographie de ses achats. Chaque acheteur se doit de faire la cartographie de son portefeuille et d’identifier ses fournisseurs avec une dépendance plus ou moins forte et de là, qualifier si son achat est stratégique ou plutôt critique », complète de son côté Estelle Legrand-Ducarne.
En somme, l’acheteur doit prendre les habilles du parfait couteau suisse et favoriser la créativité. Une notion vaste, certes, mais qui n’est pas à renier pour les acheteurs, tant ils doivent se démultiplier. Entre le fait de favoriser l’innovation, miser sur des solutions opportunes pour sécuriser les approvisionnements et savoir expliquer ses choix, notamment auprès des prescripteurs, les cadres de la fonction sont effectivement au four et au moulin. Et cela, encore plus en temps de crise.