Les stratégies achats mises à mal par les vagues de risques
Par Mehdi Arhab | Le | Consultant
Des responsables achats d’Arcelor Mittal, Alstom et Spie confient leurs craintes quant à la capacité des Achats à mener à bien leur mission de performance avec des supply chain fragilisées par les crises. Un témoignage apporté à l’occasion d’un colloque organisé par l’Iscid-Co, l’école de commerce de Dunkerque qui héberge un MBA achats à l’international.
Tandis que les Achats ont grandement évolué ces dernières années comme le rappellent Sébastien Martinache, leader buyer services industriels d’Arcelor Mittal et Frantz Desfachelles, directeur des achats du site de Valencienne d’Alstom en introduction, les risques muent également. La crise récente le démontre parfaitement par ailleurs, remarque Patrick Nezry. Outre les risques financiers, industriels et technologiques somme toute routiniers, les risques humains ou encore environnementaux se sont désormais greffés aux tracas quotidiens de la fonction. Pour ne pas se laisser déborder par des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement notamment, il semble indispensable de méditer sur le modèle dans lequel doivent s’inscrire les acheteurs et la fonction achats plus globalement.
Les acheteurs face à des Supply chain vacillantes
La pandémie a mis en évidence de nombreuses défaillances dans les supply chain des intervenants de cette table-ronde. Frantz Desfachelles s’inquiète notamment de la situation de certains fournisseurs et de leur capacité à répondre aux besoins par manque de solidité financière, mais aussi de compétences. Dans ces conditions, difficile pour les acheteurs de donner la performance que l’entreprise attend d’eux. « Ces dernières années, nous perdons l’essence même des Achats. La négociation devrait rester au cœur de l’activité des acheteurs, car cela reste important et permet à la structure de faire de la marge », appuie-t-il. Une situation qui pourrait bouleverser l’équilibre Make or Buy, selon le directeur achats site d’Alstom qui avance : « la question de réintroduire certaines activités se pose ».
Le terrain est le meilleur des formateurs. Il faut comprendre à qui nous parlons, comprendre le produit que nous achetons.
Manquant de fonctions supports compétentes et efficientes à en croire les dires du directeur des achats d’Alstom, les fournisseurs peinent à se développer et à relever la tête. Pour mieux appréhender leurs difficultés, les acheteurs doivent se rendre sur le terrain et opérer un dialogue, étayent les intervenants. « Le terrain est le meilleur des formateurs. Il faut comprendre à qui nous parlons, comprendre le produit que nous achetons », argumente Siegfried Gbenyon, formateur à l’Iscid-Co et responsable achats et qualité pour Fragola Industries. Patrick Nezry, responsable achats division tertiaire de Spie estime de son côté que les acheteurs doivent retrouver leur curiosité ; une caractéristique fondamentale. « C’est le meilleur moyen d’être connecté à son marché. L’information, c’est le pouvoir », poursuit-il.
Au moment où les entreprises n’ont de cesse de vouloir maîtriser leurs coûts et gagner en efficacité opérationnelle, Frantz Desfachelles n’hésite pas quant à lui à pousser ses acheteurs à dépenser pour éviter les pénuries et de malheureux dépôts de bilan côté fournisseurs. « Il ne faut pas attendre d’être dos au mur face à un risque. Il faut aussi apprendre à dépenser afin d’apporter un peu de trésorerie et de flexibilité à un fournisseur », défend-il.
De nouveaux risques à dompter pour les Achats
Les Achats n’anticipent que très peu les risques et les crises qui en découlent. Il faut apprendre à agir en conscience. Le plus important est de ne pas rester passif, mais bien d’être réactif.
Face aux nouveaux risques qui planent sur les supply chain, comme la cybercriminalité et les menaces sanitaires notamment, beaucoup de directions achats s’avouent bien démunies et ne peuvent que se contenter de stratégies de réactions. « Les risques que nous avons déjà enregistrés dans la matrice pourront être maîtrisés. Mais si l’on est aux prises avec une crise comme celle du Covid - que personne ne pouvait prévoir - elle sera difficile à anticiper. Les risques ne sont pas attendus, car ce sont des phénomènes extérieurs. Il faut alors s’appuyer sur les collaborateurs au sein du service et compter sur leur réactivité et leur vitesse pour limiter la casse », prévient Sébastien Martinache. Un constat partagé par l’ensemble des conférenciers. « Les Achats n’anticipent que très peu les risques et les crises qui en découlent. Il faut apprendre à agir en conscience. Le plus important est de ne pas rester passif, mais bien d’être réactif », Patrick Nezry, responsable achats de Spie.
Les acheteurs doivent donc encore s’améliorer sur la gestion des risques. Conséquemment, ces derniers, en plus de devoir gagner en agilité, doivent se cultiver, déclare Frantz Desfachelles, qui appelle à un changement des mentalités. « Pour appréhender un risque, il faut s’instruire et intégrer certaines choses. Il faut par exemple sensibiliser les acheteurs à la RSE, pour privilégier les circuits courts. Il ne faut plus acheter bêtement, sans prendre en compte les risques fournisseurs, en matière de transport notamment, mais aussi en ce qui concerne le contexte géopolitique ». Néanmoins, tous se posent une question : comment s’armer devant tous ces risques ? « Par nature, le risque est imprévisible. Il faut dans un premier temps réussir à le définir et ensuite, il faut l’évaluer. Cela est obligatoire pour tenter de l’atténuer », conclut Siegfried Gbenyon.