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Club Planète Sourcing : le local et le nearshoring, des réalités à envisager ?

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Le deuxième Club Planète Sourcing de l’année 2023 a vu une quinzaine de directeurs achats grands groupes débattre sur la délocalisation de la production dans les pays à faible coût de main d’œuvre. Si ce business model apportait son lot de satisfaction il y a encore quelques années, il est aujourd’hui largement remis en question. Alors, en a-t-on vraiment fini avec les fameux pays « low-cost » ?

Le Club Planète Sourcing, un événement Républik - © D.R.
Le Club Planète Sourcing, un événement Républik - © D.R.

Les pénuries des matières premières et le manque de main d’œuvre pèsent indéniablement sur les activités des entreprises françaises. Et les difficultés d’approvisionnements récentes ont motivé de plus en plus d’acteurs à revoir leur politique en matière d’achat. En effet, face à cette situation inédite, la relocalisation des achats apparaît de plus en plus comme une solution toute trouvée face aux tracas du quotidien. La volonté de (re)développer certaines filières et de faire rejaillir certains savoir-faire est toujours plus prégnante. Reste à savoir si la chose est désormais réalisable…

La sécurisation des appros, coûte que coûte

Si l’envie de relocaliser (et réindustrialiser) traduit d’une certaine manière des idéaux politiques et sociétaux contemporains, elle est aussi le fruit de l’explosion des prix du transport ces trois dernières années et des tensions qui touchent les capacités de production de certains industriels installés dans des contrées lointaines. Les retards de livraisons ont en effet été nombreux ; or, pour les Achats, la sécurisation de la Supply Chain demeure, encore et toujours, la priorité des priorités. L’enjeu premier ? Être fourni, en temps et en heure. Et si la décongestion du fret maritime entraîne une légère décrue du nombre de directions achats anticipant des difficultés de livraison de leurs fournisseurs stratégiques, les peurs subsistent.

Tant que les coûts des flux logistiques restaient mineurs, la question d’acheter dans des pays éloignés n’était pas un sujet. Le low-cost avait un sens. Or, aujourd’hui, des aléas sont apparus

« Tant que les coûts des flux logistiques restaient mineurs, la question d’acheter dans des pays éloignés n’était pas un sujet. Le low-cost avait un sens. Or, aujourd’hui, des aléas sont apparus », explique l’un des directeurs des achats présents. Les profondes tensions sur certaines chaînes d’approvisionnements ressenties depuis le début de l’apparition du Covid-19 ont assurément laissé des marques indélébiles et de nombreuses directions achats estiment qu’il est désormais indispensable de relocaliser. Et cela, qu’importe les coûts, tant il semble difficile de les réduire par moments. Une tendance qui pourrait bien profiter au Made in France, ou, pour le moins, à des fournisseurs, façonniers et autres industriels européens.

Un sourcing équilibré pour des Achats de qualité

En misant sur un sourcing varié, les directions des achats peuvent bénéficier de nombreux avantages. À titre d’illustration, en sourçant un produit ou un service de façon diversifiée, en France, en proche-import et en Asie, les entreprises manifestent une certaine proactivité, s’évitant autant que faire se peut des risques de rupture.

Le sourcing doit être opéré intelligemment, afin de pallier les risques et assurer le maximum de qualité. Nous devons nous assurer d’avoir la matière entre les mains

De plus, cette méthode offre à l’acheteur de nouveaux leviers en termes de pilotage de la relation fournisseurs et davantage de pouvoir en matière de négociation. « Le sourcing doit être opéré intelligemment, afin de pallier les risques et assurer le maximum de qualité. Nous devons nous assurer d’avoir la matière entre les mains », rappelle l’une des convives. « La finalité ultime d’une direction des achats est de mener un sourcing équilibré, en fonction d’une matrice de risques et de création de valeur », complète l’un de ses pairs.

La réindustrialisation de la France, une vaste question

Alors que la France redevient ces dernières années une zone de relocalisation fortement envisagée, il semble encore bien difficile d’acheter français pour beaucoup de directions des achats. La dépendance à certains produits et savoirs dont souffrent de nombreuses entreprises tricolores et occidentales n’est en effet pas près de s’arrêter. Et pour cause, de nombreux produits et multiples ressources ne se trouvent pas sur le territoire national, ou sont alors disponibles à un coût considéré comme exorbitant. « Certaines productions ne peuvent être trouvées en France et il est inéluctable de s’approvisionner sur des bassins de sourcing lointains, notamment en Asie », étale l’un des invités, directeur des achats d’un groupe d’ameublement bien connu.

La France accuse par ailleurs un retard criant en matière de technicité et a vu son niveau d’expertise fondre comme neige au soleil sur de nombreux sujets ; la Chine (et, dans une moindre mesure, d’autres pays, asiatiques notamment) concentrant de nombreuses filières et biens industriels. Cependant, aujourd’hui, les entreprises françaises n’auraient que peu d’intérêt à relocaliser leur production.

En se projetant, la meilleure manière de réindustrialiser la France reste de ne pas délocaliser ce que nous faisons

Mais alors, comment rebâtir une culture industrielle en France ? En développant des filières d’excellence et de nouvelles technologies à haute valeur ajoutée répondent certains des invités. « La question à se poser est celle de la maîtrise des filières, des choix industriels à faire et des investissements à mener », assure une figure des Achats en France. « En se projetant, la meilleure manière de réindustrialiser la France reste de ne pas délocaliser ce que nous faisons », poursuit-il. 

L’image, une donnée à prendre en compte

Faire ses emplettes dans les pays dits à bas coûts peut avoir par ailleurs des conséquences quelquefois désastreuses en termes d’image. Les risques réputationnels ne sont en effet pas à prendre à la légère, bien au contraire. « Les problèmes de compliance sont nombreux. Et qui dit problème de compliance, dit de potentiels bad buzz. Il faut être extrêmement vigilant », estime l’un des convives.  

En outre, les tensions géopolitiques entre l’Empire du Milieu et la partie occidentale du globe (les États-Unis plus particulièrement) ainsi que la politisation de certaines relations d’affaires complexifient la tâche des Achats. Mais ces deux données accélèrent également la refonte du sourcing à bien des égards. « Plus il y a des crises, plus nous sourcons localement. Pour décrocher des contrats dans certains pays, les gouvernements imposent une dose de production en local », explique l’un des directeur achats.