Constellium repense ses achats indirects pour mieux servir ses besoins et ses enjeux
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Dans le cadre d’un large projet de transformation achats, Constellium, groupe spécialisé dans la fabrication de produits en aluminium, a nommé Laurent Guerry au poste de directeur des achats indirects. Il administre 1,2 milliard d’euros de dépenses et pilote une organisation qui comprend 150 personnes. Beaucoup de familles d’achats sous sa responsabilité se caractérisent par une forte composante technique et sont de fait particulièrement stratégiques pour le groupe.
L’histoire de Constellium est récente mais riche. Cette entreprise, jeune et assez méconnue du grand public, puise ses racines au sein du groupe Pechiney, ancien fleuron de l’industrie tricolore. L’héritage prestigieux de ce mastodonte disparu, actif dans les domaines de l’aluminium et de l’électrométallurgie, continue en effet de prospérer. Le canadien Alcan l’avait absorbé au début des années 2000, avant d’être, à son tour, repris quelques années plus tard par l’anglo-australien Rio Tinto. Au tout début de la décennie suivante Alcan EP s’est peu à peu émancipé de la galaxie Rio Tinto et a pris le nom de Constellium. Après un court passage dans les mains du fonds de Private Equity Apollo, le groupe est côté au NYSE depuis 2013.
Ce géant de la transformation d’aluminium a enregistré près de 7,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 et 129 millions d’euros de bénéfice net. La part des Achats y est très élevée, largement dominée en valeur par les achats de métaux et d’énergie. Le directeur des achats du groupe, Marcus Becker, siège d’ailleurs au Comex, preuve de l’importance qui est accordée à la fonction par cet acteur de premier plan dans la fourniture d’alliages et pièces d’aluminium pour l’aéronautique, le spatial et les transports terrestres (automobile, matériel ferroviaire) mais aussi pour les industries de l’emballage alimentaire (canettes, boitage).
Il n’en demeure pas moins que la fonction Achats doit encore monter en puissance et continuer sa mue pour gagner en efficience. Après une transformation qui a débuté par les achats directs (matières premières et énergie), Marcus Becker poursuit son travail de réformateur sur les achats indirects dont la valeur est moins élevée mais la gestion plus compliquée en raison de leur diversité. Il a pour ce faire mandaté un ex-consultant en stratégie et transformation des achats, Laurent Guerry, qui a endossé les habits de directeur des achats indirects du groupe en octobre 2023.
Des familles d’achats indirects bien particulières
Son périmètre de responsabilité couvre les achats hors métaux et hors énergie, qui comptent pour 1,2 milliard d’euros environ. Les principales familles d’achats qui lui sont rattachées regroupent les produits et services techniques (produits chimiques, laquage, MRO, consommables de fonderie, etc.), les investissements industriels ainsi que les achats de transport et logistique. À cela s’ajoutent des achats indirects plus conventionnels liés aux services généraux, à l’IT, aux voyages d’affaires, aux prestations intellectuelles et prestations de services non techniques.
Dans beaucoup d’entreprises, la majeure partie de nos achats indirects serait considérée comme des achats directs
L’écrasante majorité des achats indirects de Constellium se caractérise ainsi par sa forte composante technique ; une caractéristique propre aux industries de process. « Dans beaucoup d’entreprises, la majeure partie de nos achats indirects serait considérée comme des achats directs », explique Laurent Guerry. Celui-ci indique que les achats de produits et services techniques constituent la famille d’achats indirects la plus stratégique pour Constellium. « Elle revêt une importance technique extrêmement importante », fait-il savoir, avant de poursuivre.
« Les besoins de nos usines sont souvent spécifiques en raison de technologies et modes de fonctionnement historiquement issus de plusieurs groupes mais aussi des produits et marchés différents. Les optimisations sont donc complexes à mener en raison du fort contenu technique et de cette diversité. Le travail sur les leviers de consolidation et d’harmonisation est un défi et requiert une approche systématique ainsi qu’une très bonne connaissance de ces marchés. »
Malgré ces difficultés, Laurent Guerry s’affirme confiant et assure que de nombreuses synergies et améliorations sont possibles, même si, pour ses équipes, l’histoire ne fait que commencer. « Nous comptons beaucoup de références et de fournisseurs, et dégager des synergies et consolider certains de nos achats se fera progressivement. Je suis persuadé que nous aurons des effets positifs sur l’optimisation des coûts, la sécurisation de nos approvisionnements et un accroissement de la valeur apportée par nos fournisseurs sur l’ensemble du portefeuille achat. Nous avons déjà de premiers résultats encourageants », défend-il.
Une évolution du modèle opérationnel et de l’organisation pour gagner en efficacité
Sa feuille de route, dont l’objectif premier est d’augmenter la valeur ajoutée des achats indirects pour le groupe, est axée autour de trois dimensions principales : alignement, transparence et expertise.
Notre objectif est d’optimiser et d’harmoniser les processus achats pour gagner en efficience
Alignement car elle comprend notamment une revue des politiques et des processus, aujourd’hui largement spécifiques à chaque site, et un travail sur l’organisation achats indirects qui rassemble près de 150 personnes. « Avec mon arrivée nous avons lancé un mouvement de regroupement des équipes achats indirects qui étaient rattachées aux entités locales. Notre objectif est d’optimiser et d’harmoniser les processus achats pour gagner en efficience, mais aussi de bâtir une communité Achats. Ce modèle que nous avons nommé « One-organization » vise moins à un parallélisme parfait des organisations achats locales qu’à sortir les équipes locales de leurs silos et favoriser la curiosité et la collaboration. Nous comptons également accroître les opportunités de développement et de carrière de nos équipes », expose Laurent Guerry.
En matière de transparence, l’organisation achats indirects de Constellium et, plus largement, la fonction achats du groupe en général, prévoit de se doter d’outils digitaux spécifiques. Cela lui permettra d’améliorer la communication et le partage d’informations tout au long du processus achats avec ses tiers. Mais pour le moment, rien n’est encore acté et tout reste encore à faire. Les patrons achats du groupe avanceront pas à pas pour éviter une erreur de choix. « Nous comptons un outil de spend management vieillissant que nous allons remplacer par un outil de dernière génération, ce qui permettra, par exemple, à tout acheteur d’être informé sur les pratiques achats (segment d’achat, fournisseurs, modalités contractuelles, …) et en tirer parti. Nous allons en outre bâtir plus globalement un plan de marche en matière de digitalisation des Achats dans l’optique de gagner en efficacité mais aussi valeur délivrée. Nous sommes en train d’analyser nos processus afin d’identifier nos priorités », indique le directeur des achats indirects du groupe.
Nous devons acquérir une plus grande expertise sur nos marchés fournisseurs du fait de la technicité de nos achats. Cela signifie mieux connaître nos marchés et les acteurs de ces marchés, mieux appréhender les évolutions ce ceux-ci, et être davantage force de proposition vis à vis de nos donneurs d’ordre internes
Pour ce qui est de la notion d’expertise, Laurent Guerry entend faire évoluer le modèle opérationnel de son organisation. Un projet majeur qui doit à terme permettre aux équipes achats indirects d’améliorer leur capacité à agir globalement, mais aussi et surtout, les aider à être plus en phase avec les marchés fournisseurs. Un impératif absolu qui n’est toutefois pas simple de toucher du doigt compte tenu, comme précisé plus haut, des singularités de chaque site. « Nous devons acquérir une plus grande expertise sur nos marchés fournisseurs du fait de la technicité de nos achats. Cela signifie mieux connaître nos marchés et les acteurs de ces marchés, mieux appréhender les évolutions ce ceux-ci, et être davantage force de proposition vis-à-vis de nos donneurs d’ordre internes pour qu’ils prennent des décisions plus éclairées. Pour cela, nous devons rester proche d’eux et leur apporter une vision étayée des options de marché en matière de coûts, de risque, de tendances afin de peser davantage sur la définition du besoin et le choix d’un ou plusieurs fournisseurs dès l’amont. Et ce parce qu’un changement de fournisseur induit quasi-systématiquement un changement technique lourd », synthétise Laurent Guerry.
Cette recherche d’expertise est soutenue par la mise en place d’une organisation en category management à tous les étages, le développement de stratégies pluriannuelles et le renforcement du lien avec la communauté technique via un binôme acheteur-prescripteur. Un travail minutieux et de longue haleine. « Nous avons instauré une gouvernance qui associe acheteurs et experts techniques sur chacune de nos catégories d’achat. Cette organisation est aussi bien déclinée au niveau global qu’au niveau local, car certaines catégories - prenons l’exemple de la sous-traitance - doivent être abordés à ce niveau », défend le directeur des achats indirects de Constellium.
La gestion du risque, un élément sur lequel se concentrer encore davantage
Ce dernier s’efforce par ailleurs à renforcer la gestion des risques par son organisation. L’objectif : consolider les chaînes d’approvisionnement afin de se prémunir des risques de rupture qui peuvent s’avérer tout bonnement catastrophiques. Explication : « certains produits ou consommables que nous achetons ont un prix d’achat assez faible, mais sont essentiels à la continuité de l’activité. Une rupture peut conduire à un arrêt de production voire d’un site s’il s’agit d’une étape critique ou goulot. La connaissance et la maitrise des risques est donc une composante particulièrement clé de la valeur ajoutée achat et nous avons lancé une analyse de nos multiples méthodes à des fin de rationalisation et sophistication ; l’intégration plus systématique d’actions préventives de réduction des risques achats, ainsi que la mesure de notre exposition au risque et de nos actions d’amélioration », conclut Laurent Guerry.