Paprec : « Être livré par nos fournisseurs est devenu un avantage concurrentiel »
Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha
Le directeur des achats de Paprec, Nicolas Roux, détaille le recentrage de ses priorités sur une nécessité absolue : sécuriser les approvisionnements pour ne pas freiner les quelque 20 % de croissance annuelle de ce groupe familiale spécialiste de la valorisation des déchets et producteur d’énergie.
Quelle est la nature des achats couverts par la direction achats de Paprec ?
Nos achats directs ont une forte dimension industrielle. Nous achetons environ 300 camions par an et plusieurs milliers de bennes à déchets, ainsi que des engins de manutention : chargeuses, pelles, chariots, nacelles… Notre business model consiste à collecter et traiter le déchet, à le recycler et, en aval, à revendre les matières premières secondaires à des industriels ou convertir le déchet non recyclable en énergie. Nous achetons donc des équipements optiques et mécaniques pour nos centres de collecte et de tri et des outils de transformation : broyeurs, lignes de lavage, extrudeuses… Nous achetons également du transport, du carburant pour nos camions et de l’énergie. C’est un poste de coût important en 2023 que je co-gère en direct. Enfin, nous avons des achats indirects assez standards : intérim, facility management, marketing et communication, voyages d’affaires, flottes automobiles, etc.
Les Achats sont une fonction clé dans le processus opérationnel
Comment se positionne la fonction achats par rapport aux enjeux stratégiques du groupe ?
La fonction est bien positionnée d’un point de vue managérial, dans la mesure où je reporte au directeur général du groupe, Mathieu Petithuguenin, qui est le fils du fondateur, Jean-Luc Petithuguenin. Les Achats sont une fonction clé dans le processus opérationnel. Au-delà du seul fait de nouer des accords avec les fournisseurs et de générer de la performance, nous sommes partie-prenante dans le cycle des approvisionnements. A travers nos actions de sourcing, nous jouons également un rôle dans la captation de l’innovation sur le marché, avec des fournisseurs partenaires ou de nouveaux acteurs que nous n’aurions pas identifiés. Le traitement des déchets est un métier où il y a beaucoup d’innovations.
Paprec est un groupe de 13 000 personnes qui a gardé une âme de PME
Quel est le processus de contribution des Achats à l’innovation ?
Nous accompagnons dans la relation fournisseurs la direction de l’innovation et la direction de l’excellence opérationnelle qui travaillent sur ces sujets. Dans notre métier, l’innovation est un avantage concurrentiel. Exercer une veille sur l’innovation fait donc intrinsèquement partie de nos attributions. Mais, sur ce sujet comme sur d’autres, les choses fonctionnent très bien de façon informelle. Paprec est un groupe de 13 000 personnes qui a gardé une âme de PME.
Comment hiérarchisez-vous vos priorités ?
Les problématiques d’inflation, de pénurie et de tensions sur les approvisionnements m’ont incité à recentrer mes priorités par rapport à celles définies lors de ma prise de poste. Il a fallu réussir à conjuguer le court et le long terme. A court terme, l’enjeu était très prosaïque : fournir nos agences en matériel pour pouvoir démarrer des marchés et en gagner. Accompagner la croissance du groupe est le plus gros défi de la direction des achats. Nous concentrons nos efforts sur le fait d’être capable de fournir les nouveaux matériels nécessaires à nos développements, d’honorer les plannings de nos projets, tout en respectant les engagements budgétaires dans nos business plans. Contenir les hausses et générer de l’évitement de coût, c’est ce qui nous occupe au quotidien et de façon encore plus exacerbée depuis la guerre russo-ukrainienne.
Quelle est la trajectoire de croissance du groupe ?
A la création de Paprec en 1994 par la famille Petithuguenin, le groupe employait 45 collaborateurs. Il en emploie 13 000 aujourd’hui sur 300 sites et agences. Le groupe a été créé sur une intuition : les déchets du XXème siècle seront les matières premières du XXIème. Et la croissance de 20 % par an l’a confirmée. Toujours géré par la famille, Paprec a réalisé en 2022 deux milliards et demi d’euros de chiffre d’affaires. Leader du recyclage en France, acteur majeur de la production d’énergies vertes, Paprec maîtrise désormais l’ensemble de la filière du déchet et est présent dans dix pays. Nous sommes devenus un acteur majeur de la décarbonation de l’économie.
Nous avons constitué des stocks stratégiques en début de crise sur des matières goulot d’étranglement
Comment faites-vous face aux tensions sur les approvisionnements ?
Pour ne pas subir de pénuries, nous adoptons une approche proactive dans la gestion de nos approvisionnements. Être livré par nos fournisseurs est devenu un avantage concurrentiel. Nous avons constitué des stocks stratégiques en début de crise sur des matières goulot d’étranglement, par exemple le fil de fer qui permet de cercler les balles et sans lequel toute l’activité traitement de déchets s’arrêterait. Au-delà des stocks stratégiques, nous avons demandé à nos fournisseurs de constituer des stocks exclusifs. Nous avons aussi mis en place des systèmes de précommande qui déclenchent des cycles de production chez nos fournisseurs pour couvrir 30 % à 40 % de notre besoin annuel. Cela nous impose un besoin de standardisation massif.
La conjoncture est donc une bonne opportunité pour aligner l’entreprise sur cet enjeu de standardisation ?
L’enjeu de standardisation était latent et indispensable dans la mesure où nous avons 300 agences avec autant de pratiques. Il y a toujours une bonne excuse pour accepter des spécificités de nos fournisseurs. Mais, dès lors que nous avons redéfini les standards avec nos prescripteurs techniques, nous avons en effet pu faire bouger les lignes.
Le marché n’est pas du tout offrant et nous nous battons pour que des volumes nous soient alloués
Comment travaillez-vous à limiter l’inflation de vos prix d’achats ?
Nous reprenons des cycles d’appel d’offres que nous avions gelés sur certaines catégories et nous nous efforçons de générer de l’évitement de coût. Notre croissance et notre santé financière font de nous un client attractif. Mais nous rencontrons des situations très différentes selon les marchés. Sur celui des poids lourds, par exemple, la tension est très forte. Le marché n’est pas du tout offrant et nous nous battons pour que des volumes nous soient alloués. Dans ce rapport de force, la question du prix continue à se poser, mais elle devient secondaire. Nous avons besoin de ces camions pour gérer nos exploitations, même s’il faut les payer plus chers. Notre chance est d’avoir une politique achat groupe très locale, axée sur la qualité et la fidélisation de nos partenaires. Pendant cette période de crise, nos fournisseurs sont restés à nos côtés.
Qu’en est-il de vos achats d’énergie ?
Le groupe a créé l’an dernier une BU énergie avec laquelle nous cogérons la partie achat. Nous essayons d’intégrer l’énergie verte dans nos achats et nous faisions d’ailleurs partie du premier PPA multi acheteurs en Europe en décembre 2021. Paprec est aussi producteur d’énergie, notamment à partir de la chaleur générée par ses incinérateurs. Cela nous permet de faire de l’autoconsommation ou de revendre cette énergie.
Quels sont vos axes de travail en matière de décarbonation ?
C’est un sujet très important pour nous, qui se matérialise notamment sur la question des moyens de collecte. Nous assurons une veille au quotidien avec les constructeurs et avec nos pairs sur les développements en matière de camions électriques, au gaz et à hydrogène. Nous testons différents matériels et nous accumulons des retours d’expérience en nous gardant d’avoir une position dogmatique. L’enjeu de la transition énergétique se pose aussi sur notre flotte automobile parce que nous avons plus de 1 800 voitures. Pour favoriser la mobilité électrique, nous sommes en train de déployer des bornes sur nos principaux sites. Nous en installons aussi pour nos poids-lourds, de même que des stations gaz.
La population achats a été sur-sollicitée du fait de la conjoncture ces 18 derniers mois
Comment faites-vous pour valoriser l’action des acheteurs par temps d’inflation ?
Nous avons relégué l’enjeu économique au second plan, sachant que, pour valoriser la performance achats, l’évitement de coûts n’est pas un indicateur très parlant pour une direction générale ou une direction financière. La direction de l’entreprise est assez bienveillante et compréhensive de nos contraintes liées à l’inflation. Ce soutien aide à maintenir le moral de l’équipe, mais la population achats a été sur-sollicitée du fait de la conjoncture ces 18 derniers mois et avoir une équipe de professionnels achats au complet n’a pas toujours été simple.
Quels sont les outils digitaux au service des achats ?
Le groupe étant le fruit de multiples opérations de croissance externe, nos outils sont relativement hétérogènes. Nous sommes engagés depuis deux ans dans un projet d’intégration d’un nouvel ERP groupe avec Oracle. Nous sommes en phase de recettes sur nos sites pilotes pour un déploiement sur tout le cœur compta, finance et donc achat sur tout le processus P2P, avec l’ambition de l’avoir déployé à l’échelle du groupe fin 2024. Cela va révolutionner notre travail en termes d’analyse de données, de pilotage de nos consommations et de nos dépenses.