Métropole Aix-Marseille-Provence : « La programmation des achats est le nerf de la guerre »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Ancienne directrice adjoint des achats, Virginie Bauda a été propulsée à la tête du département achats de la Métropole Aix-Marseille-Provence en janvier dernier, après avoir assuré l’intérim pendant une année. Elle revient dans un entretien qu’elle nous a accordé sur les grands enjeux de sa structure et son positionnement au sein de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
Quelle est la place de la direction des achats au sein de la Métropole Aix-Marseille-Provence ?
La Métropole Aix-Marseille-Provence est un EPCI unique, créé par disposition législative au 1er janvier 2016 en fusionnant les six intercommunalités préexistantes sur son territoire : la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, les Communautés d’agglomération du Pays d’Aix, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, du Pays de Martigues, de Salon-Étang de Berre-Durance et enfin le Syndicat d’agglomération nouvelle d’Ouest Provence.
La fonction achats a très tôt été centralisée dans une direction, qui a eu pour priorité de travailler à la mutualisation des besoins entre les différents ex EPCI, dès sa création. La loi 3DS, relative à la différenciation, décentralisation, déconcentration et la simplification, portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, adoptée définitivement par l’Assemblée nationale et le Sénat en 2022, qui a actée la fin des conseils de territoire au 01/07/2022, va permettre de poursuivre les convergences et d’aller encore plus loin dans les mutualisations ; notamment pour les achats utiles à l’exercice des compétences qui auparavant étaient déléguées aux territoires, donc jusqu’alors davantage décentralisés.
Nous choisissons nos sujets en fonction des enjeux de mutualisation, financiers et de développement durable.
La direction des achats rapporte à la direction générale déléguée « Appui et Services », avec à ses côtés, la direction juridique, la direction de la commande publique, la direction des moyens techniques, les moyens généraux, la direction numérique et la direction coopération avec les communes. Notre direction générale déléguée est en appui, comme son nom l’indique, de toutes les entités opérationnelles qui œuvrent au déploiement des grandes politiques publiques de la Métropole : développement économique, gestion des déchets, eaux et assainissement, aménagement du territoire, mobilité… Si la direction de la commande publique contrôle juridiquement tous les marchés publics, la direction des achats élabore quant à elle des stratégies achats sur un certain nombre de besoins remontés par les directions opérationnelles. Nous choisissons nos sujets en fonction des enjeux de mutualisation, financiers et de développement durable.
Comment se structure l’organisation achats ?
Pour réaliser au mieux notre tâche, nous comptons sur un « service programmation », constitué de cinq collaborateurs qui centralisent, recensent et compilent les besoins. Chaque année, près de 2000 besoins remontent. Il est donc impératif de les regrouper en fonction d’une nomenclature cohérente avec le marché fournisseur et de les organiser pour dimensionner et utiliser les bonnes procédures. La programmation des achats est le nerf de la guerre ; avant de monter une stratégie achat, il faut comprendre et savoir ce que nous devons acheter et pour qui.
Cela semble basique, mais c’est essentiel et, surtout, ce n’est pas toujours très simple à faire dans une grande organisation. Ce service existe depuis 2016 et nous l’avons pensé de façon qu’il devienne mature rapidement. Cela parce que ne pouvions pas travailler au fil de l’eau, les marchés s’enchaînant à des rythmes trop élevés. Nous devons donc faire preuve d’anticipation, pour avoir le temps de déployer des stratégies d’achats : mettre en relation les opérationnels, organiser les convergences techniques, faire du benchmarking et du sourcing…afin d’aboutir à une structuration nouvelle des consultations.
Celui qui est à l’œuvre est le second, le service Coordination de l’achat responsable, composé de neuf acheteurs répartis sur différents portefeuilles, qui fort de la connaissance des besoins remontés par le service programmation, sélectionnent les sujets à forts enjeux devant faire l’objet de plan d’action achat. Récemment, nous avons travaillé sur le gardiennage. Nous comptions plusieurs supports d’achat à ce sujet, résultat d’un foisonnement de besoins émanant de nombreux prescripteurs. Nous sommes désormais parvenus à les centraliser pour les regrouper en un seul marché alloti géographiquement.
Une stratégie d’achat complexe peut mobiliser un acheteur pendant parfois deux ans
Cette action permet également de mieux piloter l’exécution du marché en s’intéressant à la politique de consommation. Une stratégie d’achat complexe comme celle-là peut mobiliser un acheteur pendant parfois deux ans… c’est la raison pour laquelle l’anticipation est si cruciale. D’autres mutualisations sur des achats de travaux de voirie, de bâtiments, de moyens généraux (traiteurs, nettoyage des locaux), de prestations d’entretiens d’espace verts, d’études, de prestations intellectuelles ont été ou seront opérées. Enfin, notre direction achats compte une entité chargée de rédiger les marchés qui répondent aux besoins propres de notre direction générale déléguée.
Quels sont vos marchés emblématiques ?
Le marché « Travaux d’aménagement, de réparation, d’entretien et de rénovation de bâtiments et ouvrages divers des sites de la Métropole Aix Marseille Provence » est sans doute le plus emblématique : plus de 850 sites, des bâtiments aussi variés que de déchetteries, capitaineries, salles de spectacles, crématoriums, garages ou ateliers - 22 lots en multi attributaire. Mais nos segments d’achats sont variés et touchent à beaucoup d’autres prestations : propreté et déchet, flottes techniques, travaux de voirie, eaux et assainissement, prestations intellectuelles, moyens généraux, informatique… Nous intervenons également sur des stratégies d’achats en matière de mobilité.
Notre masse d’achat s’élevait en 2021 à 850 millions d’euros mandatés sur nos marchés publics
Notre masse d’achat s’élevait en 2021 à 850 millions d’euros mandatés sur nos marchés publics. Nous sommes en mesure d’avoir une connaissance fine de nos achats par périmètre, par type de fournisseurs et zone géographique grâce à notre contrôleur de gestion qui réalise la cartographie des achats métropolitains.
Nous utilisons également les centrales d’achats publiques. Elles sont partie intégrante de notre réflexion stratégique et nous étudions attentivement la compétitivité de leurs offres avant de lancer, ou non, nos propres marchés.
Pouvez-vous nous décrire la ligne directrice de votre feuille de route ?
Au-delà de trouver des marges financières, d’optimiser nos contrats, l’une de nos priorités est de maîtriser l’externalisation de certaines prestations. Avant d’acheter, nous devons nous questionner sur la pertinence de l’acte d’achat. Paradoxalement, je considère que le premier réflexe de l’acheteur est de voir s’il est possible de ne pas acheter. Il ne faut pas se précipiter sur l’outil « marché public », mais chercher d’autres solutions quand c’est possible. Parce qu’il aura répondu à un besoin en mobilisant des ressources internes, par exemple sur le périmètre prestations intellectuelles, ou encore parce qu’il aura mis en relation des entités qui peuvent se prêter du matériel, l’acheteur contribue à la sobriété des organisations.
L’action conjuguée du service programmation et des acheteurs nous permet d’ailleurs de diffuser une culture achat dans la collectivité, notamment par le biais de formations. Sans renier l’approche risque-juridique, fondamentale, cette « culture achat » nous aide à véhiculer une approche dite économique, à mieux exprimer nos besoins et à mieux être compris par les entreprises. Au demeurant, notre principale ambition aujourd’hui reste de porter une politique achats responsables d’envergure.
Comment se concrétise-t-elle ?
En 2021, la Métropole s’est dotée d’un Spaser, qui constitue une obligation légale pour les collectivités qui disposent d’un montant des achats supérieur à 50 millions d’euros depuis le 1er janvier dernier (100 millions d’euros auparavant). Sous l’impulsion de notre élu délégué à la Commande publique, nous en avons piloté l’écriture et nous conduisons désormais sa mise en œuvre. Nous avons, pour le rédiger, travaillé en transversalité avec des juristes, des groupes de travail métiers ; le tout sous l’égide de notre cheffe de projet Spaser, qui n’est autre que notre acheteuse sur le périmètre « propreté et déchet ».
Le Spaser est un document cadre, structurant, qui contribue à positionner les Achats dans l’organisation
Le Spaser est un document cadre, structurant, qui contribue à positionner les Achats dans l’organisation. Nous avons capitalisé et réussi à créer une véritable dynamique autour du Spaser, afin de fédérer en interne l’ensemble des acteurs contribuant à la chaine achat. Il nous impose de veiller à ce que des considérations environnementales et sociales soient inscrites dans tous nos marchés. Lorsque les services opérationnels rencontrent des difficultés pour en définir - l’exercice se voulant parfois complexe, les acheteurs de chacun des périmètres leur viennent en aide pour trouver des considérations qui font sens, au regard des possibilités du marché fournisseur. Nous sommes « apporteurs de solutions » sur un sujet positif et mobilisateur, le développement durable, et qui, de toutes les manières, constituera bientôt une obligation. Faire évoluer les pratiques dans ce domaine est gratifiant et motivant.
Nous n’avons d’ailleurs pas attendu que la législation évolue pour se mettre en ordre de marche. Simplement, avec ce schéma, la Métropole Aix-Marseille-Provence intègre désormais systématiquement le développement durable au cœur des achats, marchés et concessions, à tous les stades du processus : expression des besoins, passation et exécution des contrats. D’ici à 2025, nous voulons inclure des clauses environnementales dans 100 % de nos marchés et des clauses sociales dans 30 % d’entre eux. Et ce, en réalisant 5 % des achats métropolitains auprès d’entreprises solidaires. À noter que nous prenons soin d’allotir nos marchés mutualisés, afin qu’ils restent accessibles au plus grand nombre, notamment aux PME.
En plus de contribuer aux objectifs de la transition énergétique et écologique, nous voulons en effet favoriser l’inclusion et répondre à certains enjeux de croissance en facilitant l’accès des PME aux marchés publics, tout en stimulant l’innovation locale. Nous essayons autant que faire se peut de mobilier notre tissu économique local et les PME, bien que nous n’ayons pas le droit de le prescrire. Nous l’avons en tête et pouvons compter sur un certain nombre d’outils, tel que l’allotissement, pour dimensionner nos besoins de sorte que les PME puissent répondre. N’avoir que des gros intégrateurs n’est pas forcément l’idéal en matière de maîtrise de la dépense.
Avez-vous des enjeux en termes de digitalisation ?
En 2016, sur la partie programmation des achats, notre sujet était de parvenir à centraliser les besoins. Ils remontaient de toute part et dans des formats différents. Nous n’avions alors que des tableaux Excel pour travailler. Ce n’était pas viable. Il nous fallait un outil qui puisse les centraliser, afin que nous puissions tracer et piloter nos stratégies d’achat. Nous nous appuyons désormais pour cela sur la solution Okaveo, sur laquelle de nombreuses fonctionnalités ont été développées pour répondre aux besoins des acheteurs publics. C’est un très bon outil support qui nous permet notamment de programmer nos besoins, de suivre l’avancement des actions achats en identifiant les leviers utilisés, de calculer nos gains qualitatifs et financiers et d’animer une « communauté » des contributeurs au processus achat de la Métropole.