Région Bretagne : « Le ROI de choix économiquement responsables se voit à long terme »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Céline Faivre, directrice générale adjointe en charge du numérique, des achats et des affaires juridiques de la Région Bretagne, est l’instigatrice de démarches innovantes, en témoigne le tout jeune observatoire des données de l’achat public de la région, imaginé dans un souci de transparence. Un projet qui s’inscrit dans la lignée de sa philosophie, à savoir penser la commande publique « en mode plateforme ».
Vous êtes directrice générale adjointe en charge du numérique, des achats et des affaires juridiques. Qu’y a-t-il de spécifique à tenir cette triple casquette ?
Probablement le fait que ces fonctions sont généralement regroupées au sein d’un pôle ressources et que ces domaines de compétences impliquent de mobiliser des méthodes et des expertises différentes. Une telle approche est intéressante lorsque l’on souhaite faire advenir des nouvelles manières de faire. Cela implique de constituer des équipes pluridisciplinaires, de faire se rencontrer des expertises diverses. C’est un exercice captivant pour un manageur ; faire des mariages improbables entre des métiers, des cultures, des individus réunis autour d’une ambition partagée, d’un projet commun … Les parties prenantes s’enrichissent forcément. L’observatoire des données de l’achat public de la région Bretagne illustre parfaitement cela.
Celui-ci vient tout juste d’être lancé. Qu’en attendez-vous ?
Nous attendons beaucoup de l’observatoire des données de l’achat public, car il me semble que notre approche est unique. Quatre catégories d’usagers pour quatre natures d’usages sont identifiées. Les élus et décideurs pour disposer d’indicateurs sur les politiques d’achats et connaître leurs impacts sur le territoire, les entreprises pour anticiper les besoins des acheteurs et s’informer sur la concurrence et les opportunités d’affaires, les acheteurs publics, pour piloter leur politique d’achat et les citoyens pour comprendre les politiques publiques à travers les achats.
À l’échelle d’un territoire régional voire national, nous pouvons rapidement en mesurer l’intérêt pour valoriser le recensement économique de l’achat public. Nous répondons ainsi aux obligations posées par un décret du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique pris en application de l’article 35 de la loi « Climat & résilience ». Rappelons que cette mesure doit permettre d’assurer l’ouverture des données de la commande publique dans un objectif de prévention de la corruption, de bonne gestion des deniers publics et de pilotage des politiques d’achat. Elle permettra également le développement de nouvelles offres de services pour l’accès des entreprises à la commande publique. C’est chose faite pour la Région Bretagne.
Quel rôle joue l’observatoire en matière de digitalisation de la fonction achats ?
Il illustre parfaitement ses enjeux et la nécessité d’appréhender le rapprochement de l’offre et la demande en mode plateforme, avec pour objectif principal de servir la politique d’achat et favoriser le rapprochement permanent de l’offre et de la demande. C’est selon cette organisation que nous travaillons avec nos éditeurs - Silex, OpenDataSoft, MarcoWeb ou encore Grand Angle - car leurs solutions adressent toutes les mêmes utilisateurs : élus, acheteurs, entreprises, citoyens. L’interopérabilité des systèmes est essentielle pour optimiser les parcours utilisateurs comme l’utilisation de services communs et transverses permettant, par exemple, l’identification et l’authentification des usagers.
Au centre de nos préoccupations se trouvent la production, l’ouverture, l’échange et le partage de données de références entre applications
La digitalisation de la fonction achats, comme toutes les fonctions métiers, est guidée par notre schéma directeur de la dématérialisation et par le cadre d’urbanisation de notre système d’information. Au centre de nos préoccupations se trouvent la production, l’ouverture, l’échange et le partage de données de références entre applications. L’observatoire illustre parfaitement les enjeux de la gouvernance des données appliquée au pilotage de la politique d’achat.
En quoi consiste votre stratégie achat pensée fin 2016 ?
Notre schéma des achats économiquement responsables a été adopté en juin 2018. Il sera révisé en octobre prochain. Son élaboration s’est organisée autour d’une consultation publique en ligne afin d’impliquer les parties prenantes à la définition des objectifs. La politique d’achat du Conseil régional est singulière pour de multiples raisons : elle anticipe les évolutions réglementaires, avec la publication des données essentielles de la commande publique dès le 1er euro par exemple et intègre par une ingénierie contractuelle innovante les aléas économiques.
Elle promeut une approche collaborative du processus de l’achat public au service de l’économie régionale
Elle évalue en temps réel l’atteinte des objectifs d’achats fixés par le législateur (Ex : loi EGALIM dans le cadre de la démarche Bien Manger dans les Lycées), elle simplifie l’accès à la commande publique et en en particulier au TPE et PME, avec généralisation du sourcing ; intégration dès la définition du besoin des spécificités des secteurs de l’économie sociale et solidaire ainsi que l’économie circulaire ; valorisation de l’innovation notamment dans un objectif social ou de diminution de l’empreinte carbone ; choix des procédures permettant la négociation et clauses visant la renégociation en cours de contrat … Elle promeut aussi une approche collaborative du processus de l’achat public au service de l’économie régionale, en interne avec une mobilisation permanente des prescripteurs, acheteurs, usagers et en externe, avec une mobilisation des opérateurs économiques, des fédérations ou organisations d’entreprises, des facilitateurs des clauses sociales, des structures travaillant pour l’insertion, le handicap et la lutte contre les discriminations.
Près de 75 % de vos contrats publics (en nombre) et 80 % (en montant) sont attribués à des entreprises dont le siège social se trouve en Bretagne. Par quel biais activez-vous cette forme de préférence régionale ?
Il ne s’agit pas de promouvoir la préférence locale, la réglementation l’interdit. L’exercice est plus subtil et plus vertueux. La promotion de l’achat de proximité est un moyen de répondre aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux. La réduction de l’empreinte écologique des achats est désormais la préoccupation de tous les acheteurs qui disposent pour cela de nombreux moyens à leur disposition : meilleure définition du besoin grâce à la pratique sur sourçage, allotissement, introduction de critères d’analyse des offres valorisant l’approvisionnement direct, l’impact environnemental du transport… Ainsi, en combinant plusieurs critères, pour favoriser par exemple des circuits courts, pour limiter les coûts de logistiques ou les coûts d’acheminement, nous arrivons à créer les conditions d’attribution des marchés aux entreprises locales. Mais nous devons dans le même temps permettre à nos entreprises d’être compétitives en dehors de nos frontières régionales et nationales.
Dans le contexte actuel, comment combinez-vous votre volonté de favoriser l’achat de proximité et de qualité à la hausse des prix ? Sur quels types d’achats concentrez-vous vos efforts ?
Il faut à mon sens avoir la capacité d’investir beaucoup pour avoir des résultats importants
Ce n’est pas simple, le contexte économique n’aide en rien notre mission. Toutefois, nous nous devons d’assumer nos missions de service public. Dans le contexte, nous nous efforçons d’anticiper les aléas économiques et d’évaluer au mieux les impacts financiers de la hausse des matières premières malgré la volatilité des prix ou encore l’impact des délais d’approvisionnement pour la conduite de nos projets. Aussi, les impacts économiques doivent pouvoir s’apprécier selon une approche pluriannuelle en intégrant le retour sur investissement de l’achat public pour un territoire. Mais le retour sur investissement de choix économiquement responsables se voit à long terme ; là est tout le problème. Aussi, si nous remettons à plus tard l’efficience et la performance, il est peu probable que nous obtenions des résultats satisfaisants. Il faut à mon sens avoir la capacité d’investir beaucoup pour avoir des résultats importants ; exercice compliqué qui ne peut se faire que dans le dialogue avec les opérateurs économiques.
Comment positionnez-vous votre structure dans l’accompagnement de vos tiers par rapport aux défis imposés par le développement durable ?
C’est dans ce dialogue que nous nous améliorons les uns les autres selon le principe de l’éco-socio conditionnalité. Nous coconcevons nos objectifs à atteindre car nous considérons que l’atteinte des résultats relève des deux parties. Elle est surtout liée à notre capacité à bien décrire notre besoin, à comprendre le marché et penser le service que nous offrirons demain. Nous ne pouvons le faire que si nous comprenons la structuration de l’offre et que si nous appréhendons ses contraintes et ses innovations. C’est cette approche que nous avons adoptée pour l’achat de denrées alimentaires en restauration collective. Et les résultats seront à découvrir sur l’observatoire !
La commande publique bretonne en quelques chiffres :
Achats de biens et services : entre 250 et 300 millions d’euros.
Le principal poste de dépenses : les équipements et services de transport, pour un montant avoisinant les 150 millions d’euros.
Nombre de contrats consolidés : 833, dont les principaux bénéficiaires sont les entreprises de la région.