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Air Liquide : « La notion de supply chain résilience a été intégrée dans le risk mapping du groupe »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Le directeur des achats d’Air Liquide, Rémi Charachon sera le grand témoin du Club Planète Sourcing du mardi 21 novembre. Il nous présente son programme de gestion des risques, en avant-goût d’un débat sur la construction d’une supply chain résiliente.

Rémi Charachon, directeur des achats groupe. - © Manuel Abella
Rémi Charachon, directeur des achats groupe. - © Manuel Abella

En quoi consiste le processus de gestion des risques fournisseurs que vous avez initié l’an dernier ?

En plus d’une procédure groupe sur l’évaluation des risques fournisseurs, nous avons mis en place en 2022 un Framework partagé avec toutes les géographies pour renforcer la résilience de la supply chain. Nous l’avons testé à travers un POC construit avec Air Liquide Indonésie par une équipe de jeunes cadres du groupe intégrés dans un dispositif de formation interne pour les hauts potentiels d’une durée de six mois. Ce POC nous a permis d’identifier nos fragilités sur les approvisionnements de certains éléments faisant partie de nos chaînes de gaz conditionnés en bouteille.

Le principe du Framework est d’apporter de la visibilité sur l’intégralité de notre supply chain, d’introduire de l’agilité, notamment pour qualifier des nouveaux fournisseurs

Le principe du Framework est d’apporter de la visibilité sur l’intégralité de notre supply chain, d’introduire de l’agilité, notamment pour qualifier des nouveaux fournisseurs, de renforcer la collaboration avec les Opérations et de disposer d’un système de contrôle. Dans le cadre du POC nous avons défini, pour chacun de nos produits, nos fournisseurs (rang 1) ; les fournisseurs de nos fournisseurs (rang 2) et plus, qui fait quoi, est-ce que l’achat se situe au niveau groupe, au niveau local, etc. Sur le sujet du risque géopolitique, nous avons par exemple effectué une analyse sur le nombre de fournisseurs implantés dans des pays à risque, qui servent spécifiquement nos activités dans ces pays et ceux qui nous servent en plus sur d’autres géographies. A partir de cette analyse, nous avons quantifié le risque.  

Qu’est-ce qui reste à faire pour utiliser ce processus à l’échelle du groupe ?

Nous souhaitons étendre ce processus auprès de chaque filiale. Mais nous ne voulons pas ajouter un nouveau processus à tous ceux qui existent déjà dans l’entreprise, ce qui est un défaut assez courant des grands groupes. Nous avons donc décidé de l’inclure dans un processus existant, le processus de risk mapping du groupe qui ne concerne pas seulement les risques de la supply chain mais tous les types de risques et que toutes les filiales appliquent une fois par an. A présent que la méthode et les outils ont été conçus, nous devons aller jusqu’au bout de cette démarche.

Certes, l’intérêt du sujet de la résilience de la supply chain a un peu décru, mais il va certainement revenir en 2024

Le sujet des risques qui pèsent sur les supply chain était particulièrement préoccupant en 2022 à cause du conflit entre la Russie et l’Ukraine et de la crise Covid. Entre-temps, d’autres sujets sont remontés dans l’ordre de nos priorités, en particulier celui de l’accélération de la contribution des achats à la performance économique. Certes, l’intérêt du sujet de la résilience de la supply chain a un peu décru, mais il va certainement revenir en 2024, en particulier lié aux risques géopolitiques.

Aviez-vous une visibilité suffisante sur vos données fournisseurs pour mettre en place cette cartographie des risques ?

Quand nous avons construit ce Framework, nous avons capitalisé sur nos données disponibles. Depuis avril 2022, nous avons une visibilité accrue sur nos dépenses. Dans le cadre de notre projet Digital Procurement Solution nous avons déployé un module sur la gestion des dépenses qui, chaque mois, fait remonter toutes les factures du groupe de nos 40 ERP. Cette visibilité nous aide à faire l’analyse de nos dépenses et à identifier les risques fournisseurs (pays, monosourcing, …).

Nous avons aussi accéléré le processus d’identification de fournisseurs alternatifs

Est-ce que cette réflexion sur les risques modifie votre approche du sourcing ?

Nous appliquons aux Achats - comme sur tous les processus dans l’entreprise - la méthode KISS : Keep, Improve, Start or Stop. Dans la catégorie de ce que nous voulons clairement arrêter figure le monosourcing, mais aussi les panels de fournisseurs hors contrôle. Nous devons trouver le bon équilibre entre sécuriser la continuité de nos activités en validant plusieurs sources d’approvisionnement, tout en travaillant sur la rationalisation de notre panel fournisseurs. Nous avons aussi accéléré le processus d’identification de fournisseurs alternatifs. Nous avons organisé une Learning Expedition en Inde avec tous les directeurs achats du groupe en juin dernier, afin de rencontrer de nouveaux partenaires potentiels, et essayer d’évaluer leur capacité à collaborer avec le groupe.

Cette nouvelle approche des risques vous incite-t-elle à faire évoluer d’autres processus achats ?

Ce POC a aussi mis en exergue l’importance de progresser en matière de prévision des besoins, une démarche indispensable pour actionner le levier « acheter moins », tout en sécurisant les besoins d’Air liquide auprès de nos fournisseurs, et ainsi assurer la continuité de nos opérations. Deux autres leviers d’achats restent essentiels : « acheter moins cher » et « acheter mieux ». Nous avons déployé une procédure au niveau du groupe pour consolider tous les besoins concernant nos bouteilles de gaz industriels et médicaux afin d’avoir une vision à 18 mois, sur 2024 et 2025. Cela va bien sûr nous permettre d’acheter plus efficacement, grâce à des leviers de mutualisation, mais aussi d’avoir une vision consolidée de nos stocks et de les mutualiser.

Une catégorie Essential Suppliers a été introduite dans la liste des risques pris en compte par les risk managers

Votre collaboration avec la direction du risque d’Air Liquide a-t-elle été approfondie ?

Depuis la création de ce Framework, une catégorie Essential Suppliers a été introduite dans la liste des risques pris en compte par les risk managers. La notion de supply chain résilience a été intégrée dans le risk mapping qui est évalué sur quatre niveaux. Pour progresser d’un niveau vers l’autre, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des actions concernant les fournisseurs.

Dans mon équipe SRM (Supplier Risk Management), une personne est chargée de cette question du risque et nous collaborons avec les risk managers du groupe pour nourrir la vision groupe avec notre cartographie fournisseurs. Mais ce sont les catégories managers qui doivent creuser cette question en s’appuyant sur notre Framework. Il est aussi de leur responsabilité de rationaliser les portefeuilles fournisseurs et d’éviter les situations de monosourcing.