La montée des risques redéfinit les stratégies de sourcing
Par Guillaume Trecan | Le | Consultant
Le Baromètre des risques réalisés par le cabinet Kyu Associés en association avec l’Amrae, France Supply Chain et l’école des Arts et Métiers met en lumière la montée en force du sourcing de proximité sous l’effet des risques notamment sur les approvisionnements, l’inflation et la rareté des ressources.
L’édition 2023 du Baromètre des risques supply chain édité par le cabinet Kyu Associés rappelle à quel point les crises successives de ces trois dernières années ont bouleversé les relations fournisseurs. En 2022, 55 % des répondants à ce sondage placent en tête de liste des risques les plus critiques le risque capacitaire.
Deuxième de la liste cette année, le risque inflationniste aggrave évidemment la situation. « Les acteurs de la supply chain n’ont pas forcément la possibilité de répercuter ces hausses sur leurs prix de vente. Il y a donc un risque de défaillances d’entreprise en 2023 », prévient Thibaud Moulin. En se fondant sur le rapport de risque publié par l’assureur Allianz, il rappelle que le niveau de défaillance d’entreprise dans le monde devrait se situer en 2023 à 19 %, après 10 % en 2022, ce qui alimentera encore le phénomène de rareté sur certaines ressources à l’échelle mondiale.
Des stocks au plus haut
Alors que les risques logistiques semblent se détendre légèrement, du fait d’une baisse des affrètements sur le transport maritime, les tensions sur les approvisionnements, combinée à une grande volatilité de la demande, entrainent d’ailleurs une envolée du niveau moyen des stocks en Europe de l’ordre de 80 milliards d’euros contre vingt à quarante milliards d’euros avant la crise Covid.
De fait, les entreprises interrogées dans le cadre de l’étude conduite par le cabinet Kyu Associés, ont engagé une transformation profonde de leurs stratégies d’achats. Ainsi 71 % d’entre elles ont augmenté leur recours au double sourcing cette année, contre 64 % en 2021 et 68 % développent des sources locales contre 54 % en 2021. L’intégration de savoir-faire critiques demeure également à un niveau très élevé, cité par 46 %. Tout de suite après, les relocalisations font un bond notable et passent de 25 % à 43 % en un an.
Des chaines d’approvisionnement décarbonées et plus courtes
Le virage RSE complète et renforce de tournant en faveur de relations fournisseurs plus étroites. Cité par 54 % des répondants, le fait de déployer un sourcing plus respectueux de l’environnement apparait cette année dans le top 3 des leviers. « La décarbonation de la supply chain a fait l’objet de travaux importants de la part de nos clients. L’effort se porte sur le scope3 », confirme Thibaud Moulin. C’est une réponse aux risques de conformité mais également un levier de performance supply. « Cela répond aussi à des enjeux d’agilité. Raccourcir ses flux d’approvisionnements améliore les leadtime de l’entreprise », note Thibaud Moulin.
Les conséquences des tensions entre Chine et Etats-Unis au sujet de Taïwan seraient beaucoup plus importantes
La montée en puissance des risques géopolitiques est un autre élément déterminant de cette tendance. Lors de la précédente enquête, conclue avant le début de l’offensive russe en Ukraine, ils se situaient bien au-delà de la dixième place du classement et s’offrent cette année la quatrième place. Mais à en croire Thibaud Moulin, le pire reste à venir. « Les conséquences des tensions entre Chine et Etats-Unis au sujet de Taïwan seraient beaucoup plus importantes », prévient-il, avant de rappeler que Taïwan représente 65 % du volume de semi-conducteurs mondial. Plusieurs entreprises prennent d’ailleurs la mesure de ce risque et commencent à prendre en considération le concept de Friend Shoring pour orienter leur sourcing vers des pays amis.
Le risque cyber plus qu’avéré
Dans cet inventaire des potentielles catastrophes à venir, les risques cyber demeurent à une honorable troisième place et concernent plus particulièrement les petits et moyens acteurs des panels fournisseurs. « Dans des rangs plus éloignés de la supply chain, des entreprises n’ont pas les mêmes capacités d’investissement et n’ont pas les infrastructures qui leur permettent de se protéger vis-à-vis de ce risque », note Thibaud Moulin, qui met en garde : « La fréquence de ces attaques cyber fait craindre sur la supply chain de nombreuses perturbations. »
Les infrastructures informatiques des grands donneurs d’ordres dépendent de plus en plus de fournisseurs de systèmes d’information souvent dans le cloud
« Toutes les infrastructures informatiques des grands donneurs d’ordres dépendent de plus en plus de fournisseurs de systèmes d’information souvent dans le cloud qui sont aussi potentiellement sujet à des attaques. Ils sont des cibles privilégiées pour les hackers, qui en les attaquant peuvent impacter le très grand nombre d’entreprises qui les utilisent », complète l’expert du cabinet Kyu Associés.
2022 année faste en perturbations climatiques
Juste après la rareté des sources d’approvisionnement citée en septième position, le risque climatique a également connu une année faste en 2022 avec des sécheresses en Europe, au Brésil et en Chine, des inondations, au Pakistan, en Australie, en Chine et en Afrique du Sud, des tempêtes destructrices en Amérique du Nord. « Les supply chain de demain doivent travailler leur capacité à gagner en résilience face à ces sujets », rappelle Thibaud Moulin.
« Nous sommes passés en quelques années d’un monde assez certain et pour lequel les supply chain avaient été bâties à un monde beaucoup plus turbulent avec une succession de crises qui ne sont pas des épiphénomènes et qui ont tendance à se répéter. Et nous nous trouvons en présence de supply chain qui ne sont pas adaptées au monde dans lequel elles évoluent », assène Thibaud Moulin.