Biodiversité et achats : un enjeu stratégique révélé par les débats de la COP16
Par Guillaume Trecan | Le | Environnement
Chaque mois, la chronique d’Elvire Régnier, co-chairwoman du chapter France de The Sustainable Procurement Pledge, décrypte l’actualité des achats responsables. Zoom sur la COP16 à Cali qui appelle à des actions concrètes d’ici 2030. Les entreprises doivent adopter des pratiques durables, réduire leur impact écologique, et respecter les régulations pour préserver les ressources, renforcer leur compétitivité et répondre aux enjeux internationaux.
La biodiversité est un enjeu fondamental dans le métier des achats, car nos décisions prises influencent directement les écosystèmes et les ressources naturelles. Alors que la 16e Conférence des Parties (COP16) sur la biodiversité, qui se tient à Cali en Colombie du 21 octobre au 1er novembre, marque un tournant dans la lutte contre la perte de biodiversité, les entreprises doivent comprendre l’importance d’intégrer ces enjeux dans leurs politiques d’achats. Cette conférence internationale, qui fait suite aux engagements pris lors de la COP15 à Montréal, met l’accent sur la nécessité de traduire les promesses en actions concrètes pour freiner la dégradation des écosystèmes d’ici 2030.
L’humanité doit faire un double mouvement : le premier est de décarboner et d’avoir une transition énergétique juste, et l’autre consiste à restaurer la nature
Susana Muhamad, ministre colombienne de l’environnement et présidente de la COP articule avec talent les enjeux de décarbonation et de bio-diversité : « En ce XXIe siècle, l’humanité doit faire un double mouvement : le premier est de décarboner et d’avoir une transition énergétique juste, et l’autre consiste à restaurer la nature. Or, le monde n’en est pas encore conscient. Le climat suscite beaucoup plus d’intérêt politique et d’investissements économiques, ce qui est dangereux pour l’humanité », explique-t-elle.
Une crise environnementale urgente et globale
La COP15 a abouti à l’Accord de Kunming-Montréal, qui a fixé des objectifs ambitieux, tels que la protection de 30 % des terres et des océans, et la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés d’ici 2030. Cependant, la COP16 souligne que des millions d’espèces restent menacées d’extinction, principalement en raison des activités humaines, notamment la déforestation, la surexploitation des ressources naturelles et l’agriculture intensive. Les acheteurs sont donc en première ligne pour inverser cette tendance, en prenant des décisions d’achat qui favorisent des pratiques durables, réduisent l’impact écologique des chaînes d’approvisionnement, et respectent les écosystèmes locaux.
Préservation des ressources naturelles et achats durables
Une surexploitation de ces ressources, telle qu’elle a été dénoncée à la COP16, risque d’épuiser les écosystèmes, augmentant ainsi les risques de ruptures d’approvisionnement et de hausse des coûts. En 2023, par exemple, 6,3 millions d’hectares de forêt ont été détruits, menaçant directement les filières bois, papier, et agroalimentaire. À ce titre, la COP16 rappelle aux acteurs économiques l’importance d’intégrer des pratiques durables pour garantir la pérennité des matières premières et soutenir les objectifs globaux de protection de la biodiversité.
Risques économiques et légaux : conformité aux nouvelles régulations
À mesure que les régulations environnementales se durcissent, notamment en Europe et dans le cadre des accords internationaux comme celui de Kunming-Montréal, les entreprises doivent s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement respectent des critères stricts en matière de biodiversité. La COP16 met en lumière les risques économiques et légaux croissants pour les entreprises qui continuent d’exploiter les ressources naturelles de manière non durable. L’absence d’action peut entraîner des sanctions légales, des amendes et une dégradation de la réputation. À Cali, les discussions ont souligné l’importance de mettre en place des mécanismes de suivi pour s’assurer que les engagements en faveur de la biodiversité sont respectés, avec des sanctions potentielles pour les contrevenants.
Innovation et résilience face aux crises climatiques et écologiques
Un autre enjeu soulevé à la COP16 est l’interdépendance entre la biodiversité et le changement climatique. Les entreprises, en intégrant la biodiversité dans leurs stratégies d’achats, contribuent à réduire leur impact sur le climat tout en renforçant la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement. Favoriser la diversité des fournisseurs et des matières premières rend la chaîne d’approvisionnement plus résiliente face aux chocs externes, tels que les catastrophes naturelles, exacerbées par le changement climatique. En outre, la préservation de la biodiversité stimule l’innovation, en favorisant le développement de nouveaux matériaux et pratiques plus durables. La COP16 prévoit que l’utilisation responsable des ressources génétiques, qui jouent un rôle clé dans l’innovation pharmaceutique et cosmétique, pourrait devenir une solution pour financer les initiatives en faveur de la biodiversité.
Réduction des impacts environnementaux et respect des Objectifs de Développement Durable (ODD)
L’intégration de la biodiversité dans les critères d’achats permet aux entreprises de réduire leur empreinte écologique, un objectif crucial réaffirmé lors de la COP16. Les discussions à Cali ont insisté sur l’importance de protéger les écosystèmes naturels en évitant des pratiques destructrices, comme la déforestation, l’utilisation intensive de pesticides et la pollution des océans. En sélectionnant des fournisseurs qui adoptent des pratiques agricoles durables et privilégient la production locale ou biologique, les entreprises contribuent activement à la préservation des écosystèmes. Ces choix s’alignent avec les Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier les ODD 14 (vie aquatique) et 15 (vie terrestre), qui visent à protéger la biodiversité et les écosystèmes terrestres et marins.
Responsabilité sociétale et attentes des parties prenantes
Le respect de la biodiversité dans les politiques d’achats permet aux entreprises de répondre aux attentes croissantes des consommateurs, des investisseurs et des régulateurs en matière de durabilité. La protection de la biodiversité ne relève pas uniquement des gouvernements, mais implique également les entreprises privées, qui doivent démontrer un engagement concret. En intégrant la biodiversité dans leurs stratégies d’achats, les entreprises se positionnent comme des acteurs responsables et renforcent leur image de marque. Ce choix stratégique leur permet non seulement de se conformer aux nouvelles réglementations, mais aussi de gagner la confiance de leurs clients, de plus en plus soucieux des impacts environnementaux.
Soutien aux communautés locales et développement durable
Les décisions d’achat peuvent aussi avoir un impact positif sur les communautés locales qui dépendent des écosystèmes pour leur subsistance. L’importance de promouvoir des pratiques durables, telles que le commerce équitable et la réduction de l’impact sur les écosystèmes locaux, est une manière de soutenir les économies locales tout en préservant la biodiversité. En choisissant des fournisseurs engagés dans des pratiques respectueuses de l’environnement, les entreprises contribuent à la protection des écosystèmes critiques tout en permettant aux communautés locales de prospérer.
La COP16 met en avant que les entreprises qui s’engagent à respecter la biodiversité peuvent anticiper les risques liés à la raréfaction des ressources naturelles et s’adapter aux réglementations futures
Avantage concurrentiel et stratégie de long terme
L’adoption de pratiques d’achat respectueuses de la biodiversité peut également offrir aux entreprises un avantage concurrentiel. En se positionnant comme des leaders dans la protection de l’environnement, les entreprises se différencient sur le marché et répondent à une demande croissante de produits durables. La COP16 met en avant que les entreprises qui s’engagent à respecter la biodiversité peuvent anticiper les risques liés à la raréfaction des ressources naturelles et s’adapter aux réglementations futures. Cela renforce leur compétitivité à long terme et leur permet de développer une stratégie de durabilité qui est non seulement bénéfique pour l’environnement, mais aussi pour leur rentabilité.
La biodiversité s’impose comme un enjeu central dans le métier des achats. Les entreprises doivent intégrer la biodiversité dans leurs stratégies de sourcing pour contribuer à la préservation des écosystèmes mondiaux, garantir la durabilité de leurs chaînes d’approvisionnement, et respecter les engagements internationaux, tels que l’accord de Kunming-Montréal. En répondant aux défis posés par la perte de biodiversité, elles renforcent leur résilience, leur compétitivité et leur responsabilité sociétale, tout en jouant un rôle crucial dans la protection de la planète.
Portrait
Elvire Régnier est co-chairwoman du chapter France de Sustainable Procurement Pledge. Elle a consacré sa carrière à la fonction achats, à des postes opérationnels et stratégiques. Ces dix dernières années l’ont amenée à occuper la fonction de CPO après avoir dirigé des programmes de transformation achat pour des groupes internationaux aux Etats-Unis et en Suisse. Senior Advisor du cabinet en stratégie Alix-Partners, ambassadrice de la chaire Unesco pour une culture de la paix économique, enseignante à l’Essec, elle siège au board de la scale up californienne en IA Craft.co. Elvire est la présidente-fondatrice du cabinet de conseil Regenerative-Advisory, pour la régénération des écosystèmes achats et fournisseurs.