Climat : Un printemps 2024 de conflits juridiques et de responsabilité écologique mondiale
Par Guillaume Trecan | Le | Environnement
Chaque mois, la chronique d’Elvire Régnier, co-chairwoman du chapter France de The Sustainable Procurement Pledge, décrypte l’actualité des achats responsables. En avril ce sont des batailles juridiques aux États-Unis, la double matérialité en Chine et une condamnation en Europe qui font la Une. Malgré des divergences législatives dans un monde globalisé, l’accent se porte de plus en plus vers des objectifs communs de préservation de l’environnement.
En ce mois d’avril, les sujets de réglementation environnementale et climatique occupent les bourses internationales. Tandis que la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine (l’équivalent de l’AMF en France) fait face à des défis judiciaires concernant sa nouvelle règle climatique, la Chine et l’Europe adoptent des mesures pour renforcer le reporting ESG et lutter contre le changement climatique.
Etats républicains et démocrates à fronts renversés
La SEC a récemment suspendu le projet américain de règlementation sur le climat, affirmant qu’une telle suspension favoriserait une “résolution judiciaire ordonnée” des défis juridiques en cours. Cette décision survient alors que les Etats républicains et les intérêts des énergies fossiles contestent la règle pour son caractère considéré comme “restrictif”. Parallèlement, des groupes écologistes réclament des exigences plus strictes, soulignant l’importance d’une transparence accrue pour informer les investisseurs sur les risques climatiques.
La SEC a maintenu qu’elle “continuerait de défendre vigoureusement la validité des règles finales devant les tribunaux et attend avec impatience une résolution rapide du litige”.
Dix-huit États dirigés par des démocrates et le District de Columbia ont défendu la règle sur le climat, arguant qu’elle fournit aux investisseurs des informations cruciales sur les risques climatiques. Dans une motion d’intervention dans le litige, les Etats démocrates ont déclaré avoir un “intérêt substantiel” à défendre la nouvelle règle. “Les investisseurs ont besoin d’informations fiables et comparables sur les risques auxquels font face les entreprises enregistrées et sur la manière dont elles gèrent ces risques”, indique la requête menée par les procureurs généraux du Massachusetts et du District de Columbia. Les investisseurs n’auront plus à “rassembler des informations liées au climat à partir de sources disparates sans comparateurs significatifs”, indique la requête.
La Chine met en place la double-matérialité
Pendant ce temps là, en Chine, les bourses de Shanghai, Shenzen et Pékin ont introduit des directives de reporting ESG obligatoires, s’alignant ainsi sur les normes européennes de la CSRD. Ces directives encouragent les entreprises cotées à divulguer les risques financiers ESG ainsi que leur impact environnemental et social. Le projet chinois intègre le principe de double matérialité (repoussé par les Etats-Unis pour le moment) afin d’évaluer les risques financiers et les impacts sociétaux et environnementaux.
Les sociétés cotées chinoises devront donc désormais collecter leurs données sur plusieurs sujets ESG, tels que les émissions de gaz à effet de serre, la protection de la biodiversité et des écosystèmes, l’économie circulaire, la consommation d’énergie, etc. Les entreprises devront notamment fournir des informations sur les émissions de gaz à effet de serre de leur chaîne d’approvisionnement sur les scopes 1, 2 et 3. Seules les plus grandes entreprises cotées, listées dans des indices majeurs locaux, seront tenues de se conformer. Les entreprises de taille moyenne et intermédiaire pourront se joindre au reporting sur une base volontaire.
Les directives sont actuellement en consultation et devraient être appliquées progressivement, avec des premiers rapports attendus pour avril 2026.
La Suisse clouée au pilori
En ce même mois d’avril, en Europe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a marqué l’histoire en condamnant la Suisse pour violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cette décision fait suite à une plainte dénonçant les insuffisances des autorités suisses dans leur combat contre le changement climatique, les accusant de nuire à leur qualité de vie et à leur santé.
La CEDH a examiné si le pays avait violé la convention, notamment en ne prenant pas de mesures adéquates contre le réchauffement climatique, malgré un nouveau record de chaleur mondiale enregistré en mars. Par un vote majoritaire de seize voix contre une, la CEDH a jugé qu’il y avait violation du droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que du droit à un procès équitable.
Cette décision met en lumière que la convention garantit le droit à une protection effective contre les graves conséquences du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie.
L’Office fédéral de la justice suisse a pris acte de la décision de la Grande Chambre. Toutefois, le parti politique suisse UDC a vivement critiqué l’arrêt, le jugeant “inacceptable”, et a appelé au retrait de la Suisse du Conseil de l’Europe, arguant que les juges de Strasbourg n’avaient pas pris en considération les efforts exemplaires de la Suisse en matière de réduction des émissions de CO2. Il y a fort à parier que face à cette première condamnation d’un Etat pour inaction climatiques les gouvernements de différents membres de l’UE vont repousser vers les entreprises la responsabilité des actions en faveur du climat.
La décision de la CEDH contre la Suisse met en évidence la responsabilité collective de lutter contre le changement climatique. Les écarts de législation, qui parfois peuvent être vus comme des distorsions de compétitivité dans un monde économique totalement globalisé, semblent s’orienter vers des objectifs communs de protection de l’environnement. Ce qui nous rapproche est plus grand que ce qui nous sépare puisque nous habitons tous, chinois, américains, européens, le même planète…
Portrait
Elvire Régnier est co-chairwoman du chapter France de Sustainable Procurement Pledge. Elle a consacré sa carrière à la fonction achats, à des postes opérationnels et stratégiques. Ces dix dernières années l’ont amenée à occuper la fonction de CPO après avoir dirigé des programmes de transformation achat pour des groupes internationaux aux Etats-Unis et en Suisse. Senior Advisor du cabinet en stratégie Alix-Partners, ambassadrice de la chaire Unesco pour une culture de la paix économique, enseignante à l’Essec, elle siège au board de la scale up californienne en IA Craft.co. Elvire est la présidente-fondatrice du cabinet de conseil Regenerative-Advisory, pour la régénération des écosystèmes achats et fournisseurs.