Stratégie ha

Même avec un nouveau directeur achats groupe, Cristal Union mise sur la continuité

Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha

Grégory Bertrand a pris la suite d’Éric Calvet à la tête de la direction des achats de la coopérative sucrière Cristal Union. Adjoint du second pendant plusieurs années, il inscrit évidemment son action dans la droite ligne de celle de son prédécesseur. Il est revenu sur ses premiers pas à la tête des achats et nous a présenté ses principaux chantiers.

Grégory Bertrand, directeur achats groupe de Cristal Union, entouré de ses équipes - © D.R.
Grégory Bertrand, directeur achats groupe de Cristal Union, entouré de ses équipes - © D.R.

Changement à la tête des Achats de Cristal Union. Éric Calvet, ancien directeur des achats de la coopérative, devenu directeur des opérations de Dislaub - la filiale de Cristal Union spécialisée dans la régénération d’alcools et solvants usagés, a passé le relais en avril 2024 à son bras droit Grégory Bertrand. Une reconnaissance pour ce dernier qui avait fait ses premiers pas dans le groupe en 2010. Il a successivement occupé les postes de responsable des achats d’énergies, de produits chimiques et outils achats et de directeur adjoint des Achats, chargé notamment des achats d’énergies et frais généraux ainsi que de l’assurance qualité fournisseur et du développement, là encore, des outils achats.

Grégory Bertrand rapporte à Pascal Hamon, directeur industriel de Cristal Union, et pilote une équipe de 18 acheteurs, dont trois alternants, répartis au sein de trois pôles : le pôle emballages, travaux neufs et gros entretiens ; le pôle fournitures industrielles, produits chimiques et coordination des magasins ; et, enfin, le pôle frais généraux, informatique, support, énergies et performance Achat. À l’exception des achats de betteraves, qui pèsent lourds dans le budget de la coopérative, l’immense majorité des achats de Cristal Union entre dans le périmètre de responsabilité de la direction des achats.

Celle-ci gère quelque 300 millions d’euros de dépenses ; un volume qui a toutefois varié à de nombreuses reprises ces dernières années. « Nous avons vu ces dernières années notre volume d’achats augmenter considérablement à iso-portefeuille, car la famille d’achat énergie a été frappée par une très forte inflation après la pandémie de Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie », explique Grégory Bertrand.

Nous devons capitaliser sur ce qui a été fait. Ce qu’Éric Calvet - et son prédécesseur avant lui - a mis en place ces dernières années est une excellente base sur laquelle s’appuyer

Ce dernier avoue volontiers vouloir s’appuyer sur ce qui a été fait par son prédécesseur et ancien manager. Hors de question de changer de cap donc, l’objectif de Grégory Bertrand est bien de s’inscrire dans la continuité de ce qu’Éric Calvet (et lui) a participé à mettre en œuvre. « J’ai été directeur achats adjoint pendant quelques années. Nous avons avec Éric Calvet déployé de nombreux projets, avec réussite. Nous devons capitaliser sur ce qui a été fait. Ce qu’Éric Calvet - et son prédécesseur avant lui - a mis en place ces dernières années est une excellente base sur laquelle s’appuyer », soutient-il.

La sécurité, priorité prioritaire

Pour ce qui concerne son plan de marche, Grégory Bertrand élève, à l’instar de son prédécesseur, la sécurité des sous-traitants au rang de priorité. En effet, le sujet constitue à ses yeux un axe de développement des plus importants. « C’est un sujet qui a été adressé il y a quelques années désormais et sur lequel nous poursuivons notre travail avec les prescripteurs. C’est un élément fort de notre feuille de route car il est un vecteur de progrès. Il est extrêmement important que tout prestataire venant travailler sur nos sites puisse le faire dans de bonnes conditions et en toute sécurité », expose Grégory Bertrand.

Preuve du poids du sujet pour la coopérative, Cristal Union est partie prenante du MASE, un réseau d’associations locales promouvant la mise en place dans les entreprises d’un système de management santé et sécurité au travail. « Les Achats ont une place importante dans ce dispositif via la mise en place de partenariats solides et forts avec une partie de notre panel fournisseurs. Dans une démarche de co-construction, nous les invitons à s’engager sur les questions de sécurité au sein du MASE, dont le référentiel et la philosophie nous semblent adaptés à nos enjeux et à la typologie des fournisseurs qui interviennent sur nos sites. Nous avons revu notre façon de les adresser et de les challenger, avec mise en place d’un système d’indicateurs qui permettent de suivre l’évolution des pratiques », poursuit-il.

Des « ressources » externes à préserver

Par son ancrage territorial - 13 sites industriels répartis partout en France métropolitaine -, Cristal Union travaille avec de nombreux fournisseurs et sous-traitants français, parmi lesquels des petites et moyennes entreprises. Certaines d’entre elles constituent évidemment des fournisseurs stratégiques ou critiques. « Certains le sont du fait de l’engagement financier que nous avons pris auprès d’eux, d’autres le sont parce qu’ils sont dits “cœur process“. Leurs compétences se révèlent primordiales pour notre développement et assurer la continuité de l’activité. De fait, nous tâchons de les capter en développant avec eux des partenariats stratégiques. Leur valeur ajoutée est beaucoup trop importante pour que nous nous en passions », synthétise Grégory Bertrand.

S’il nous arrive de massifier auprès de certains fournisseurs pour couvrir les risques liés aux volumes, nous veillons également pour certaines catégories à élargir notre panel pour éviter les risques de rupture, notamment sur nos achats de produits chimiques et de certains combustibles

Pour contrer les risques de ruptures d’approvisionnement, les Achats n’hésitent évidemment pas à diversifier les sources pour garantir la continuité de l’activité des sites de la coopérative. « S’il nous arrive, selon la famille d’achats, de massifier auprès de certains fournisseurs pour couvrir les risques liés aux volumes, nous veillons également pour certaines catégories à élargir notre panel pour éviter les risques de rupture, notamment sur nos achats de produits chimiques et de certains combustibles - anthracite ou coke - dont on se sert dans nos fours à chaux, éléments essentiels dans nos process sucriers », illustre le directeur des Achats.

Si ce dernier cite l’anthracite, ce n’est évidemment pas par hasard. Avant le début du conflit russo-ukrainien, Cristal Union se fournissait en charbon gris en Ukraine principalement ; pays qui, pour l’anecdote, abrite sur son territoire une ville minière, Antratsyt, laquelle doit son nom et son essor à cette même roche qu’est l’anthracite. Elle est aujourd’hui contrôlée par la République populaire de Lougansk, organisation séparatiste et sécessionniste créée par la Russie et sujet de la fédération. « Nos autres sources d’approvisionnement principales en anthracite étaient situées en Russie, poursuit Grégory Bertrand. Nous avons, avec le début de la guerre, dû changer notre fusil d’épaule. C’est pourquoi nous avons basculé, en termes d’achats, sur de l’approvisionnement en coke, produit extrêmement compétitif et davantage disponible quand bien même la demande a augmenté ». Pour se préserver à ce niveau et bénéficier de « flux privilégiés », dixit le directeur des achats groupe, la direction des achats a multiplié les accords avec des fournisseurs polonais, tchèques et italiens.

Évaluation fournisseur et digitalisation

Par ailleurs, le sujet du pilotage de la relation fournisseur, de leur évaluation et de la digitalisation des processus connexes est un autre chantier sur lequel Grégory Bertrand et ses équipes travaillent. Un travail mené en parallèle de la migration future de SAP ECC vers S/4 Hana, qui monopolisera évidemment beaucoup de temps et d’énergie au sein de l’entreprise tant le projet est colossal.

L’évaluation fournisseurs fait l’objet d’un travail approfondi depuis quelques mois

« L’évaluation fournisseurs fait l’objet d’un travail approfondi depuis quelques mois. Il est pris sous plusieurs angles : l’axe sécurité dont je parlais, la digitalisation du processus ainsi que la pertinence de nos évaluations avec l’intégration des questions ciblées en fonction de chacune de nos typologies d’achats. Auparavant, nous ne comptions qu’un seul et même questionnaire pour l’ensemble de nos fournisseurs, ce qui ne fait pas vraiment sens compte tenu des différents domaines sur lesquels œuvrent nos fournisseurs », précise Grégory Bertrand.

La digitalisation du processus d’évaluation et de pilotage de la relation constitue une piste d’amélioration majeure au quotidien pour Grégory Bertrand. Ainsi, divers outils (e-achats et autres) tournent autour de SAP et viennent aider les équipes de Grégory Bertrand : Oxalys (source-to-pay) pluggé récemment ; Provigis (évaluation des tiers et gestion documentaire des fournisseurs) ; Altares (analyse financière et compliance). L’un des objectifs affichés : redonner du temps aux équipes pour qu’elles puissent se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. « Le processus dans sa globalité est pour le moment chronophage. Le digitaliser ne sera que bénéfique d’autant que nous pourrons y embarquer notre feuille de route et intégrer comme nous le souhaitons les sujets que nous portons, comme la sécurité mais aussi la RSE et l’ensemble des enjeux de durabilité ».

Cristal Union, un faiseur de miracles environnementaux

Et justement, en matière de durabilité, Cristal Union se pose comme un acteur particulièrement engagé, innovant et avant-gardiste. Alors que ses outils industriels comptaient parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et consommateurs d’eau, la coopérative a entrepris il y a plus de vingt an un vaste projet de transformation de ses sucreries et distilleries. Un programme ambitieux, qui vise à verdir en profondeur son activité et qui progresse extrêmement vite. Cristal Union peut ici compter sur un atout de choix : la (pulpe de) betterave. Même après extraction du sucre, elle possède de nombreuses vertus et peut répondre à des enjeux énergétiques d’envergure. En effet, à terme, grâce à sa combustion, les sucreries de Cristal Union pourraient être totalement autonomes en matière énergétique. Et cet objectif constitue d’ailleurs l’un des principaux engagements de Cristal Union à l’horizon 2050.

La coopérative avait en ce sens annoncé en 2023 vouloir faire de l’une de ses plus importantes sucreries, celle d’Arcis-sur-Aube, la toute première sucrerie-distillerie autonome en matière énergétique avant 2030. Un projet qui ressemble peu ou prou à ce qui se fait déjà dans l’industrie sucrière de canne. Cristal Union doit pour cela remplacer les trois chaudières au gaz du site par une nouvelle chaudière vapeur à haute pression, d’une puissance de 130 mégawatts.

Après avoir déjà réduit de 15 % ses émissions carbone, de près de 10 % sa consommation d’énergie, Cristal Union s’est engagé sur un objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 23 % entre 2019 et 2030. Cet objectif, validé par le SBTI, a été dépassé en 2023, avec sept ans d’avance. En matière de gestion de l’eau, le groupe est un précurseur, avec des prélèvements d’eau divisés par 3 entre 2010 et 2024. Dès 2025, toutes ses sucreries seront autonomes en eau et cinq sur huit le sont déjà.

L’eau récupérée par l’entreprise est ainsi utilisée dans le process sucrier, puis mise à disposition des agriculteurs pour l’épandage et l’irrigation. Cristal Union a d’ailleurs développé une technique novatrice d’épuration des eaux d’effluents, que nous décrivait Éric Calvet dans nos colonnes déjà. Celle-ci avait été éprouvée en premier lieu sur la sucrerie de Fontaine-le-Dun, en Normandie. Ainsi, en fermentant les eaux dans lesquelles il reste un peu de sucre, la coopérative est aujourd’hui en mesure de produire du biogaz. « La sobriété est un objectif de longue date que nous poursuivons, rappelle de son côté Grégory Bertrand. De nombreux et lourds investissements ont été consentis par la coopérative ».

En septembre 2023, sur son site de Saint-Émilie, Cristal Union avait aussi mis en service une nouvelle unité de séchage indirect de pulpes de betteraves. Le site - qui affiche déjà d’excellents ratios énergétiques avec des consommations en baisse de -15 % depuis 2010 et une totale autonomie en eau depuis 2018 - déshydrate maintenant ses pulpes sans consommer plus de gaz grâce à la pleine valorisation des flux de vapeur de la sucrerie et de la déshydratation qui fonctionnent en totale synergie. « Jusqu’ici, le séchage se faisait sur un autre site à travers la combustion de charbon. Ce fonctionnement est bien plus vertueux et est extrêmement performant », se félicite le directeur des achats Cristal Union. Autre démarche novatrice dans laquelle les Achats ont été impliquées : l’installation de panneaux photovoltaïques flottants sur ses bassins de collecte d’eau des betteraves dans certaines de ses usines, notamment celle de Corbeilles-en-Gâtinais. Une autre manière d’alimenter ses sites en électricité. « Nous produisons de l’électricité dont le productible sera racheté et consommé par nos soins. À terme, ce sont 30 % de nos besoins en électricité qui pourraient être couverts de la sorte », développe le directeur des Achats.

Développement d’une chaîne de valeur durable pour accompagner cette transition

Cristal Union s’appuie aujourd’hui sur plusieurs chaufferies au gaz naturel et biomasse. En termes d’achats, leur recours a impliqué un basculement partiel des appros d’énergie vers le bois, au point même que Cristal Union soit devenu « un acteur majeur des achats de plaquettes forestières », nous révélait Éric Calvet. Désormais, la transition vers le bois est terminée et le groupe achète quelque 200 000 tonnes de bois, contre « à peine » 1 000 tonnes il y a une quinzaine d’années. « Des tels projets sont évidemment très complexes à mettre en œuvre et nécessitent un pilotage très fin des achats d’énergies, mais aussi de dispositifs et équipements industriels », note Grégory Bertrand.

Ces projets de décarbonation à échelle industrielle n’auraient sans doute pas vu le jour sans l’apport de la chaîne d’approvisionnement de Cristal Union. « Nous pouvons compter sur l’implication de nos filières d’approvisionnement, que nous avons voulues volontairement très courtes, pour avancer vers nos objectifs », confirme le directeur des achats. Preuve que les chaînes d’approvisionnement de la coopérative en la matière sont courtes, Cristal Union en appelle seulement à des fournisseurs de bois situé à maximum 100 km de ses usines. « Nous avons fait le choix de faire appel à un nombre restreint de fournisseurs en la matière pour les accompagner au mieux, notamment sur toutes leurs démarches PEFC (NDLR : Programme de reconnaissance des certifications forestières) et RED II. Cela nous permet notamment de nous assurer de la qualité et de la performance environnementale de nos approvisionnements en bois », complète le patron des achats.

Cristal Union a d’ailleurs obtenu la médaille Platine d’EcoVadis, avec une progression inédite de 12 points en un an sur sa note globale. Véritable symbole de ses efforts, cette récompense est venue conforter l’entreprise dans sa quête, elle qui est plus déterminée que jamais à poursuivre sur cette voie. Avec une note de 84/100, Cristal Union surpasse largement la moyenne des entreprises françaises, qui s’élève, tous secteurs confondus, à 58,7/100 et à 58,3/100 pour le secteur agroalimentaire. Sur le seul critère « Environnement », Cristal Union décroche même la note de 100/100. « C’est une reconnaissance de tout le travail que nous avons effectué et auquel les Achats ont participé », assure Grégory Bertrand.