CPS : l’acheteur doit-il vraiment avoir une âme d’entrepreneur pour créer de la valeur ?
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Une vingtaine de directeurs achats de grandes entreprises françaises ont débattu, lors du Club Planète Sourcing du mois d’avril, sur le rôle joué par l’acheteur dans l’entreprise. Sa montée en puissance sur les sujets d’innovation et du développement durable aussi l’a fait évoluer, au point d’en faire un acteur de premier plan.
Le rôle de l’acheteur a particulièrement évolué ces dernières années, bien plus que de la simple acquisition de biens/services. Il est maintenant considéré, par certains, comme un entrepreneur apporteur de valeur pour son organisation. Cela peut se faire par le biais de l’innovation, de l’optimisation des coûts, de l’amélioration de la qualité, de la gestion des risques … L’acheteur contribue également au management de la performance par la création de valeur pour l’entreprise. Pour l’entreprise justement, il ne s’agit plus de s’approvisionner au meilleur prix, mais de créer des partenariats à long terme en se recentrant sur son cœur de métier. La nature des produits/services achetés évolue également et la part de l’immatériel croît constamment. L’acheteur doit de fait être impliqué en amont des projets. Son rôle est devenu tout bonnement crucial pour les politiques de “conception par les coûts”.
Notre rôle ne s’arrête plus au fait de dégager des savings
C’est en élargissant son champ d’expression que l’acheteur a pris de l’ampleur. Il peut générer des innovations organisationnelles et les sujets environnementaux et sociétaux, dont il s’empare, le rend bien plus créatif. Beaucoup de directions achats sont désormais attendues par leur entreprise sur ces sujets. « La décarbonation est un enjeu primordial. Du fait de l’importance du scope 3 pour l’entreprise, les Achats ont un rôle majeur à jouer et nous devons faire preuve de beaucoup d’inventivité pour adresser le sujet. C’est grâce aux Achats que nous parviendrons et parvenons déjà à produire de façon plus propre. Notre rôle ne s’arrête plus au fait de dégager des savings », explique l’un des convives, directeur des achats d’un groupe immobilier. « Les acheteurs sont avant tout des citoyens et forcément, les sujets liés à l’environnement les animent », embraye un autre. Beaucoup d’invités autour de la table indiquent par ailleurs qu’en travaillant bien plus en amont et sur la définition des besoins, ils ont gagné « leur mot à dire ». « Nous travaillons de la sorte pour rechercher et capter les innovations fournisseurs, des solutions nouvelles », explique l’un d’eux.
Esprit entrepreneurial, es-tu là ?
L’acheteur doit sortir de son bureau et aller sur le terrain. Il doit être curieux
Le sourcing est donc indispensable et est à remettre au cœur du métier de l’acheteur. « L’acheteur doit sortir de son bureau et aller sur le terrain. Il doit être curieux », complète un autre. « La nourriture de l’acheteur se trouve chez le fournisseur », clame un autre. Toutefois, certains regrettent que la performance de l’acheteur ne soit pas mesurée dans son ensemble. « Me concernant, quand bien même nous découvrons et ramenons de l’innovation, je ne suis pas évalué sur ce point », confirme l’un des convives. La performance financière reste donc prégnante chez beaucoup et le sujet numéro un de leur évaluation, même si dans certaines entreprises, où le P&L est plus que flatteur, le sujet revêt beaucoup moins d’importance. « La marge brute chez nous est telle que le sujet n’a rien d’important. Ce qui va rester, c’est la transformation que l’on va amener en réalité. Les savings que nous aurons réalisés, tout le monde les aura très vite oubliés », expose l’un des présents, directeur des achats indirects Europe d’un grand groupe français.
Notre rôle est aussi de provoquer la discussion. L’idée n’est pas de remettre en question ce que les fournisseurs peuvent faire de bien, mais de se demander ce qu’ils peuvent faire de plus
Par ailleurs, beaucoup de directions achats se sont attachées ces dernières années à construire des partenariats stratégiques qui sécurisent l’avenir de l’entreprise. Elles sont devenues comme cela des acteurs de premier plan de l’innovation pour leur entreprise. Mais pour ce faire, elles ont aussi poussé les directions métiers dans leur retranchement, en les obligeant à redéfinir, assez souvent, leurs besoins. « Nous devons pour challenger nos fournisseurs, voir ce qu’ils peuvent faire différemment, challenger aussi les métiers. C’est un réflexe à adopter pour ne pas toujours faire la même chose avec les mêmes modes. Notre rôle est aussi de provoquer la discussion. L’idée n’est pas de remettre en question ce que les fournisseurs peuvent faire de bien, mais de se demander ce qu’ils peuvent faire de plus », clame l’un des invités. Pour ce dernier, il n’est d’ailleurs pas incompatible de créer des partenariats long terme et de remettre en compétition ses fournisseurs historiques.
Reste maintenant à modifier et inscrire les KPI sur lesquels les Achats doivent être scrutés, en lien avec leurs actions. Les Achats ont un rôle d’ambassadeur dans l’entreprise, notamment dans le pilotage des relations fournisseurs. L’apport de performance financière reste primordial, évidemment, mais il n’y a pas (plus) que ça dans la vie des acheteurs ; travailler sur la top line n’a pas moins d’intérêt et n’est pas moins louable que de participer à l’amélioration de la marge brute par le seul prisme des savings . « Il est sympa d’être le client préféré de ses fournisseurs », avoue l’un des convives. Toutefois, comme le rappelle Jean-Pierre Vignes, ancien directeur des achats indirects du groupe Carrefour et désormais fondateur et dirigeant du cabinet Jicap, sponsor de la soirée, il est important de ne pas galvauder la notion d’entrepreneur. « En termes de prise de risque, cela n’a absolument rien à voir ». Un autre poursuit. « Je crois qu’il est préférable de parler d’esprit d’entreprise. C’est cela qui doit nous animer ».