Club Planète Sourcing : de l’intérêt de construire une supply chain résiliente
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Le dernier Club Planète Sourcing de l’année été l’occasion pour une vingtaine de directeurs achats de grands groupes de partager leurs bonnes pratiques pour construire une supply chain résiliente. Un sujet porté par le directeur des achats groupe d’Air Liquide, Rémi Charachon, qui a exposé sa manière d’aborder le sujet.
Les pénuries des matières premières, la raréfaction de certaines ressources et les difficultés d’approvisionnement ont poussé bon nombre d’entreprises à revoir leur politique achats ou, du moins, à appréhender de manière (bien) différente le management du risque fournisseur. Un sujet qui est arrivé tout en haut des feuilles de route de beaucoup de CPO, lesquels n’ont qu’une seule envie : parvenir à industrialiser le process et le rendre efficient. Rémi Charachon, directeur des achats et de la transformation du groupe Air Liquide, grand témoin du Club Planète Sourcing du 21 mardi novembre, a présenté dans les grandes lignes son programme de gestion des risques devant une vingtaine de directeurs achats grand groupe. Un programme qui vise à construire une supply chain dite « résiliente », dépeinte d’ailleurs dans une interview exclusive à retrouver dans nos colonnes. « Les effets de la crise Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie nous ont poussé à revoir notre approche et à nous demander de quelle façon nous devions adresser les risques liés à la supply chain », retrace-t-il en introduction du débat.
En plus d’une procédure déjà existante sur l’évaluation des risques fournisseurs, la direction des achats du groupe Air Liquide a mis sur pied un Framework partagé auprès de toutes les antennes de l’entreprise dans le monde, soit dans près de 80 pays. L’objectif : renforcer la supply chain de façon pérenne et se prémunir au maximum des risques de rupture. En somme, ce travail a été effectué pour apporter davantage de visibilité sur l’intégralité de la supply chain du groupe, introduire un minimum d’agilité, renforcer la collaboration avec les Opérations et disposer d’un système de contrôle plus fin. Air Liquide, qui a enregistré près de 30 milliards de chiffre d’affaires sur son dernier exercice fiscal, compte au moins un site de production dans chaque pays dans lequel il est implanté. S’il existe des flux multi-pays, la supply chain d’Air Liquide est essentiellement locale.
La relocalisation, une solution à tous les problèmes ?
La solidité de la supply chain est essentielle du point de vue des Achats.
À l’instar d’Air Liquide, nombre de convives ont rappelé à quel point leur entreprise ont été sujettes à des accrocs quasi-inédits. « Nous avons rencontré des problèmes pour nous approvisionner comme jamais auparavant », indique par exemple un directeur des achats. « La solidité de la supply chain est essentielle du point de vue des Achats. La gestion des risques fournisseurs est de fait un point fondamental de notre travail », rebondit de son côté l’une des convives. Devant cette situation, la relocalisation des achats est apparue pour beaucoup d’acteurs comme une solution toute trouvée face aux tracas du quotidien.
La volonté de (re)développer certaines filières et de faire rejaillir certains savoir-faire est toujours plus prégnante. « Le fait d’éloigner certaines de nos sources peut générer des risques importants et réduire notre visibilité », estime l’une des convives. Reste à savoir si la chose est désormais réalisable … Or, pour certains, cela semble tout bonnement impossible. Comment se détacher de la Chine et de Taïwan quand on achète divers composants électroniques ? Vaste sujet … « Nous avons veillé à professionnaliser notre manière de gérer les risques liés à la supply chain », témoigne l’un des convives, confronté à cette problématique.
Se réorganiser pour mieux piloter la gestion des risques fournisseurs
Si quelques outils existent pour adresser ce sujet, comme Sourcemap, l’un des sponsors de la soirée aux côtés de SAP, KPMG, Handiprint ou encore EcoVadis, beaucoup de directions achats ont cravaché sans rien. Chez Air Liquide, comme d’autres donc, tout ce travail a été fait à la main. Un « mal » nécessaire, d’autant que c’est aux Achats de s’assurer que les fournisseurs soient en mesure « de délivrer dans la durée et de garantir la disponibilité des produits, en temps et en heure, et en quantité suffisante, dans des contextes de pénurie », rappelle l’une des convives.
Pour mener à bien son travail, Rémi Charachon s’est appuyé sur les données dont la directions des achats disposait, cela dans un contexte où, depuis le début d’année 2022, elle était parvenue à visualiser plus adroitement les dépenses adressées au sein du groupe. « Nous bénéficions désormais d’une excellente visibilité de notre spend. » Pour implémenter ce long travail de l’ombre, la direction des achats a décidé de mener un POC, construit avec Air Liquide Indonésie par une équipe de jeunes cadres du groupe intégrés dans un dispositif de formation interne pour les hauts potentiels d’une durée de six mois. Ce test grandeur nature a ainsi permis d’identifier les fragilités sur les approvisionnements de certains éléments faisant partie des chaînes de gaz conditionnés en bouteille. « Avec ce travail, nous revenons finalement aux basiques du travail des Achats », fait savoir Rémi Charachon, pour qui il est primordial d’identifier les situations de mono-sourcing pour agir ensuite en conséquence. Reste désormais pour la direction des achats d’Air Liquide à déployer ce processus auprès de chaque filiale afin « de traiter le risque fournisseur de la manière la plus homogène qui soit ».
Le fait d’avoir des stocks en quantité est un gage de sécurité en cas de rupture inattendue de la chaîne d’approvisionnement
Et comment opérer justement une fois tout ce travail fait ? Certains ont décidé, contrairement à ce qui se faisait auparavant, de développer des partenariats autour de contrats plus longs. « Nos contrats avec certains fournisseurs peuvent s’étaler sur huit, voire dix ans », expose l’un des invités. D’autres ont décrété qu’il était impératif d’augmenter les stocks et de travailler (encore plus) au long cours. Des dispositions presque révolutionnaires dans certaines entreprises pour lesquelles travaillent les participants du soir. « Depuis trois ans, nous avons engagé un travail de fond qui visait à cartographier puis à classifier nos achats stratégiques et ceux qui le sont moins. Le fait d’avoir des stocks en quantité est un gage de sécurité en cas de rupture inattendue de la chaîne d’approvisionnement », explique l’une des convives.
D’autres ont opté pour une réorganisation profonde. L’un des patrons achats convié indique par exemple que, dans son entreprise, une partie de la R&D a été rattachée à la direction des achats groupe « afin de travailler sur le sujet du risque fournisseur ». À la manière de ce qui se fait dans l’industrie automobile ou de l’aéronautique, une participante a créé une nouvelle fonction au sein de sa direction, celle de supplier performance manager. Ces nouvelles ressources ont pour mission d’évaluer la performance industrielle des fournisseurs, de s’assurer que les tiers fournisseurs disposent des capacités nécessaires pour absorber la croissance prévisionnelle de leur entreprise et qu’ils gèrent comme il se doit leurs approvisionnements. « Nous avons adressé en priorité les fournisseurs qui nous livraient le moins bien et ceux auprès de qui nous dépensions le plus », explique-t-elle. Les visites d’usine se sont dès lors multipliées pour identifier les faiblesses majeures ; le taux de service, lui, a de fait augmenté. Un pilotage resserré de la relation fournisseur qui semble donc avoir porté ses fruits.