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Nexans : « Les fournisseurs doivent aussi changer notre façon de voir le monde »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Interview croisée du directeur achats, Jérôme Chiquet, du directeur de l’innovation, Jérôme Fournier et du directeur du développement durable de Nexans, Olivier Chevreau, sur les attentes du groupe vis-à-vis de ses fournisseurs. Des attentes centrées sur une performance multi-critères avec un intérêt particulier pour la combinaison entre innovation et développement durable.

Jérome Chiquet (achats), Jérôme Fournier, (innovation) et Olivier Chevreau (développement durable). - © D.R.
Jérome Chiquet (achats), Jérôme Fournier, (innovation) et Olivier Chevreau (développement durable). - © D.R.

Quel était le programme de la convention fournisseurs que vous avez organisée en septembre ?

Jérôme Chiquet : Il s’agissait d’une deuxième édition après celle de juin 2021. Nous avons réuni 80 fournisseurs sur place et 200 autres invités en webcast. Sont notamment intervenus notre CEO Christopher Guérin, Jérôme Fournier pour l’innovation, Olivier Chevreau pour le développement durable et le COO du groupe, Vincent Dessale. Cet événement nous a permis de faire le point sur l’état d’avancement de notre plan stratégique 2021-2024 ; où nous en sommes en matière de développement durable, d’innovation ; où nous en sommes avec nos fournisseurs par rapport à la feuille de route définie il y a 18 mois. Nous avons remis cinq récompenses dans des catégories en lien avec cette feuille de route : continuité du business ; compétitivité durable en TCO ; innovation, développement durable et RSE ; et partenariat 3E. Notre feuille de route est en effet structurée sur trois axes : Economique, Environnemental et Engagement.

Nous représentons moins de 1 % du chiffre d’affaires de la plupart de nos fournisseurs. Mais le segment de l’électrification durable sur lequel Nexans s’est recentré est très porteur

A quoi sert un tel événement ?

JC : Il a une utilité en termes d’attractivité. Nous représentons moins de 1 % du chiffre d’affaires de la plupart de nos fournisseurs. Mais le segment de l’électrification durable sur lequel Nexans s’est recentré est très porteur, c’est un vecteur de croissance et de stabilité tant les besoins sont nombreux, aussi bien en matière de renouvellement d’infrastructures existantes que de nouveaux projets. Cet événement est aussi une occasion de remettre l’accent sur les différents axes de notre feuille de route. Enfin c’est une occasion de célébrer nos fournisseurs stratégiques. C’est important à l’heure où nous essayons de nous positionner sur la valeur et sur le long terme avec eux.

Pouvez-vous détailler les attentes de Nexans vis-à-vis de ses fournisseurs ?

JC : Le recentrage du groupe sur l’électrification, va de pair avec une volonté d’aller chercher de la valeur plus que du volume. Cette stratégie, qui a pour ambition de combiner performances économique, environnementale et engagement - notre modèle 3E - répond aussi à la manière dont le monde a évolué. Nous ne parlons plus seulement de TCO. Nous mesurons la performance sous différents angles à la fois. De même, le volet économique de notre feuille de route ne se limite pas à programmer des savings, il intègre la gestion du risque et fixe l’objectif de faire mieux que le marché. Les enjeux de réduction de la complexité, d’innovation et de différenciation complètent cette feuille de route, avec le volet RSE et environnemental.

Nous avons un premier indicateur de réussite économique, l’Ebitda, qui passe de 250 à 590 millions d’euros. Les Achats sont contributeurs

Quels sont vos principaux KPI de réussite de ce plan 2021-2024 ?

JC : Nous avons un premier indicateur de réussite économique, l’Ebitda, qui passe de 250 à 590 millions d’euros. Les Achats sont contributeurs. Nous mesurons d’autres KPIs, en ligne avec notre roadmap 3E, en particulier relatifs à nos engagements RSE mais aussi le nombre d’accords de long terme conclus, le nombre de projets d’innovations avec nos fournisseurs, etc.

Nous devons contribuer à l’augmentation des puissances, en construisant les autoroutes de l’électricité

Sur quels domaines attendez-vous des innovations de la part de vos fournisseurs ?

Jérôme Fournier : Le groupe Nexans a choisi de se recentrer sur l’électrification, fort de la conviction qu’il s’agit d’un levier essentiel pour décarboner. Or un euro investi dans la génération d’électricité décarbonée nécessite un euro investi dans l’infrastructure. Pour accélérer la transition nous avons défini quatre domaines d’innovation privilégiés. Le premier concerne la fourniture électrique. En 2030, la demande en électricité aura crû de 20 % ; en 2040, de 40 %. Nous devons contribuer à l’augmentation des puissances, en construisant les autoroutes de l’électricité. Le deuxième domaine porte sur la fiabilité du réseau électrique. Les réseaux électriques ont entre 45 ans et 55 ans et ne sont plus aussi linéaires qu’avant. Pour cela nous devons mettre en place des capteurs pour mesurer l’échauffement du réseau, la tension, travailler sur la supraconductivité pour faire des doubles liaisons… Le troisième domaine d’innovation concerne la compétitivité, ce qui nous amène par exemple à nous intéresser à des solutions d’asset management, des matériaux alternatifs, etc.

Le quatrième domaine d’innovation porte sur le développement durable. Notre raison d’être est claire - « participer à la trajectoire climat de la planète » - donc l’ensemble de nos produits et nos solutions seront durables.

Qu’attendez-vous des Achats dans cette recherche d’innovation externe ?

JF : Nous attendons d’eux qu’ils nous aident dans le passage à l’échelle. Ils doivent aussi nous aider à enrichir nos offres, notamment avec des solutions plug&play. Ils peuvent nous aider à choisir le partenaire, contractualiser, accompagner leur déploiement sur l’ensemble de la surface du groupe. Enfin, les fournisseurs doivent aussi changer notre façon de voir le monde et remettre en cause les biais d’ancrage hérités de nos 120 ans d’histoire. S’ouvrir les chakras avec des fournisseurs innovants qui voient le monde différemment est essentiel.

L’innovation fournisseur est indispensable à la réalisation de nos objectifs de développement durable

Comment les sujets du développement durable et d’innovation fournisseurs se rencontrent-ils ?

Olivier Chevreau : Nous avons plusieurs engagements forts en termes d’empreinte carbone, de ressources, de biodiversité et c’est avec tout notre écosystème que nous atteindrons nos objectifs : employés, clients et bien sûr fournisseurs. Ils doivent nous accompagner en nous apportant des idées, des solutions, des services, des produits plus vertueux en termes d’impact carbone ou ressources. Nous avons par exemple des enjeux d’intégration de produits bas carbone ou recyclés très importants dans nos fournitures de métal. Nos fournisseurs ne vont pas seulement nous aider à proposer de meilleurs produits à nos clients, mais aussi à nous décarboner. Nous devons baisser de 46 % en 2030 les scopes 1 et 2 et de 24 % le scope 3. L’innovation fournisseur est indispensable à la réalisation de nos objectifs de développement durable.

Nous avons de véritables mines urbaines de câbles à récupérer chez certains de nos grands clients

Pouvez-vous citer quelques exemples d’innovations fournisseurs au service du développement durable ?

JF : Nous avons développé un jumeau numérique avec la société Cosmotec qui permet de simuler un réseau électrique. Grâce à cette solution nous pouvons estimer l’impact d’une décision sur un réseau électrique sur dix ans en termes d’opex, de capex et de carbone. Sur un parc éolien, pour lequel il existe une centaine de façons de raccorder l’ensemble des générateurs d’électricité, elle permet par exemple de proposer des solutions plutôt orientées capex, opex ou carbone. En ce qui concerne les ressources, nous avons aussi mis en place un service de désinstallation des câbles. Nous venons les chercher, nous les broyons et nous les réintégrons dans nos coulées continues. Nous avons de véritables mines urbaines de câbles à récupérer chez certains de nos grands clients.

OC : Nous pouvons aussi citer l’exemple de certains de nos fournisseurs de transport qui se sont engagés contractuellement sur trois ans à nous livrer avec des flottes à 100 % biodiesel. Nos fournisseurs de tourets s’engagent également dans leur collecte, leur réparation et leur recyclage. Pour les tourets de câbles moyenne tension, qui coûtent en moyenne 20 000 euros, nous avons adopté une solution avec de l’IOT, afin de pouvoir en permanence géolocaliser cet actif susceptible de passer d’un sous-traitant à l’autre.

Sur une tonne de cuivre, nous avons par exemple en notre main 100 tonnes de CO2, contre 3 000 à 4 000 tonnes pour des fournisseurs de cuivre

Sur quels sujets la direction du développement durable collabore-t-elle le plus avec les Achats ?

OC : En plus des sujets que nous venons d’évoquer, nous travaillons beaucoup avec la direction des achats sur les données environnementales de nos produits. Nous avons besoin des informations en provenance des fournisseurs et la direction des achats nous aide à les collecter pour pouvoir apporter le message le plus fiable et sérieux possible à nos clients. Sur une tonne de cuivre, nous avons par exemple en notre main 100 tonnes de CO2, contre 3 000 à 4 000 tonnes pour des fournisseurs de cuivre. En outre, nous travaillons avec le département achats pour le devoir de vigilance, nous devons nous assurer de la conformité de nos fournisseurs avec les réglementations sur les droits humains, les minéraux de conflit.

La conjoncture actuelle marquée par des pénuries et un mot d’ordre de sobriété énergétique vous semble-t-elle une opportunité ou un frein ?

JF : C’est enthousiasmant dans la mesure où cela change notre vision du monde. Innover cela signifie porter un regard différent sur les choses que l’on croyait acquises. D’un seul coup, l’importance de l’électricité, cette énergie absolument extraordinaire, nous saute aux yeux et il nous revient de trouver des innovations pour permettre d’augmenter la puissance électrique. Dans la seule baie de New York, il y a par exemple actuellement 50 gigawatts de projets pour l’Amérique du Nord-Ouest.

JC : Cette crise énergétique induit bien sûr des risques à court terme. Aux Achats, nous avons déjà commencé à nous y préparer, notamment avec le programme Shift sur les matières premières qui prévoit d’avoir un maximum de grades communs entre chaque usine et s’assurer des plans B. Nous avons également engagé des actions plus long terme comme des Power Purchase Agreement ou encore des projets sur les opex. La crise va probablement accélérer ces projets et nous faire revoir leur ROI.

Nous avons engagé des actions long terme comme des Power Purchase Agreement ou encore des projets sur les opex. La crise va probablement accélérer ces projets et nous faire revoir leur ROI

OC : C’est indéniablement une opportunité, d’autant que nous nous focalisons sur la valeur et pas le volume. Les initiatives les plus importantes - les contrats d’achat de d’énergie verte à long terme et les audits d’efficacité énergétique - ont déjà été lancées. La situation ne va faire que les accélérer. Le prix du carbone a déjà augmenté, ce qui va accélérer le retour sur investissement. Dans un contexte où plus personne n’est indifférent à ces questions, les fournisseurs sont des partenaires privilégiés pour nous apporter des idées nouvelles, et des propositions d’innovation pour décarboner et pour réduire notre consommation énergétique.