La filière de l’ameublement français fait sa révolution
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
L’Ameublement français, organisation professionnelle qui rassemble les 380 principales entreprises d’ameublement, a présenté en cours d’une conférence de presse son projet sectoriel 2022-2027. La filière souhaite ardemment réduire ses émissions de gaz à effet de serre, tout en créant des emplois de valeur sur le territoire français, après avoir tant souffert de la désindustrialisation
Alors que la réindustrialisation occupe les esprits des décideurs publics, constituant en effet un enjeu de souveraineté économique et de protection d’emplois, la filière fabrication de l’ameublement français a récemment présenté son projet sectoriel 2022-2027. Après avoir généré quelque 3,6 milliards d’euros de valeur ajoutée directe en 2021, elle entreprend aujourd’hui une initiative réfléchie pour apporter sa pierre à l’édifice dans la poursuite des objectifs de décarbonation de l’économie française.
Pour ce faire, l’Ameublement français, organisation professionnelle qui rassemble les 380 principales entreprises d’ameublement, ainsi que près de 20 000 structures de toute taille maillant le territoire métropolitain et l’Outre-mer, a mandaté le cabinet EY afin de mesurer les dynamiques sociales, environnementales et économiques de la filière. Et pour celle-ci, l’enjeu principal reste de concilier la notion de décarbonation et le souhait de réindustrialiser, porté également par les chefs d’entreprise. « Les politiques publiques sur la réindustrialisation sont volontaristes depuis la sortie du Covid », analyse Yannick Cabrol, senior manager du cabinet de conseils EY, chargé du rapport baptisé « l’Ameublement français, une filière au cœur des transitions ».
Un ancrage territorial incontestable
Soutenant plus de 60 000 emplois directs, ainsi que 112 000 emplois au total (en prenant en compte les emplois indirects et induits), la filière représente moins de 1 % du PIB français. Dans le même temps, elle pèse pour 5 % du déficit commercial du pays. L’ameublement français est donc un poste particulièrement déficitaire ; 52 % des meubles achetés en France étant importés. Par ailleurs, le degré d’internationalisation des entreprises tricolores du secteur s’avère extrêmement bas ; 15 % de leur chiffre d’affaires étant réalisé à l’export en 2020.
Cet ancrage dans les territoires procure une valeur ajoutée immense et contribue à équilibrer ces zones géographiques
En outre, depuis 2009, la filière a également perdu 27 % de ses emplois salariés. Autant de données et de chiffres qui lui imposent de relancer « le fabriqué en France ». Et la filière de l’ameublement peut s’adosser sur des motifs d’espoir solides. Elle représente 2 % de l’activité industrielle du territoire de certains bassins et plus de 9 % de l’activité industrielle de certains territoires ultra-marins. Les ¾ des près de 20 000 établissements de la filière sont établis dans la France périphérique, à l’extérieur des métropoles. « Cet ancrage dans les territoires procure une valeur ajoutée immense et contribue à équilibrer ces zones géographiques », soutient Yannick Cabrol.
Une filière vertueuse et qui aspire à l’être encore plus
Émettant plus de 2 millions de tonnes de CO2 chaque année, générées à 70 % par les postes « matières premières et approvisionnement » et à 20 % par le poste « transport », la filière dispose de nombreux leviers pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Au demeurant, l’empreinte environnementale d’un meuble fabriqué en France est (déjà) au moins deux fois inférieure à celle d’un meuble fabriqué en Asie, puis importé sur le territoire. Autre raison de se satisfaire : le bois, matériau peu émissif, représente 85 % du poids total des matériaux utilisés pour la fabrication d’un meuble. « Le plus souvent, ce n’est pas du bois massif qui est utilisé, mais des panneaux issus du recyclage », remarque Yannick Cabrol. « Ces panneaux intègrent jusqu’à 40 % de bois recyclés », poursuit Philippe Moreau, président de l’Ameublement français.
En s’insérant dans une logique d’économie circulaire, la filière concourt à une exploitation beaucoup plus raisonnée et réfléchie de cette ressource et, indirectement, au maintien des forêts, qui constituent les meilleurs puits à carbone qui soit. Le secteur est en ce sens particulièrement exemplaire sur la gestion du cycle de vie de ses produits, puisque 92 % des déchets liés à ses produits finaux sont revalorisés - les 2/3 en recyclage matière et 1/3 en énergie. Soit une économie non négligeable de 25 % d’émissions supplémentaires.
Des efforts à consentir
La décarbonation et le développement économique de la filière vont donc de pair, d’autant que l’incidence sur l’environnement des importations des meubles consommés en France est éminemment élevée. L’importation de meubles produits à l’étranger génère en effet 3,4 millions de tonnes de CO2. « L’impact carbone de ce qui est importé est supérieur à ce qui est produit en France. Cela a des conséquences désastreuses sur les plans économique, social et environnemental », alerte Yannick Cabrol. Pour les TPE, PME et ETI du secteur, le défi est immense, à plus forte raison que leur taux de marge est deux fois inférieur à celui de leurs semblables de la filière du textile.
Pour autant, sans plan d’action, la désindustrialisation de la filière se poursuivra au profit d’importations créatrices d’émissions carbones. Selon les projections de l’Insee, la production française baisserait ainsi de plus de 10 % entre 2020 et 2030, s’accompagnant d’une destruction de près de 10 % des emplois et d’une hausse des émissions carbones des produits importés de 25 %. Un scénario catastrophe, peu souhaitable sur le plan économique et social, avec une baisse du chiffre d’affaires des entreprises du secteur de 11 %. Or, en tablant sur la réindustrialisation, la filière parviendrait à réduire de 11 % son empreinte environnementale, tout en créant plus de 10 000 emplois. Cela tout en réduisant son déficit commercial de plus de 30 %.
Un plan de transformation ambitieux autour de 80 actions
Ce scénario de réindustrialisation est le fruit d’un travail approfondi mené par les chefs d’entreprises de la filière. Un plan de transformation a été imaginé et se fonde sur l’hypothèse d’un doublement du chiffre d’affaires des entreprises de l’ameublement à l’international entre 2020 et 2030, passant ainsi à 3 milliards d’euros dans huit ans. Pour ce faire, la filière engage de nombreux chantiers. Elle mettra l’accent sur une utilisation encore renforcée des matières recyclées, emploiera davantage de matériaux issus d’exploitations durables ou biosourcées, privilégiera des circuits courts et des sources d’approvisionnement en proche import.
« Il est tout de même difficile d’évaluer précisément la chose. Les entreprises sourcent autour d’elles, mais certains types de produits ne se trouvent pas en France, comme les lattes de sommier et ressorts de matelas », rappelle cependant Cathy Dufour, déléguée générale de l’Ameublement français. La filière peut néanmoins compter sur un capital naturel majeur : la surface forestière française qui a doublé entre 1850 et 2019, s’élevant à 16,9 millions d’hectares, soit 31 % de la surface du pays. La production biologique s’élève chaque année à 100 milliards m3 de bois ; et sur ce total, 60 % en sont prélevés.
Outre le besoin de travailler sur le mix modal, nous devons travailler le poids des meubles
La logistique est également axe privilégié de la roadmap, avec la réduction de la distance de transport et donc du temps de transport. La mutualisation et la multimodalité constituent des priorités de premier ordre ; le ferroviaire et le transport fluvial en tête, en alternative au camion. « Le recours à des modes de transports alternatifs plus propres est évidemment envisagé. Outre le besoin de travailler sur le mix modal, nous devons travailler sur le poids des meubles », évoque la déléguée générale de l’organisation professionnelle. En moyenne, un meuble produit en France parcourt 916 km en camion ; un meuble importé sur le marché français parcourt 1600 km en camion et plus de 2000 km en bateau.
La fabrication, autre élément clé
Autre levier de réduction des émissions CO2 de la filière à horizon 2030 : le processus de fabrication des produits qui est également une piste de réflexion. L’Ameublement français incite ses entreprises à s’approvisionner en énergie verte, à électrifier leurs processus de fabrication et à dépoussiérer leurs lignes de production, en s’orientant sur des équipements économes et moins énergivores. « Les investissements enclenchés s’orientent sur le concept d’usine 4.0, avec intégration de machines numériques reliées à la conception du produit », explique Philippe Moreau.
Notre enjeu est d’allonger la durée de vie des meubles et de réduire les ressources utilisées, pour produire moins de meubles
Dans le même sens, la filière voit dans l’émergence du design d’usage et de l’économie de la fonctionnalité des solutions bénéfiques en matière de décarbonation de ses opérations. Dès lors, elle promet de travailler sur le mix produits et d’enrichir l’offre avec des produits à plus forte valeur ajoutée, tout en allongeant leur durée de vie. « Notre enjeu est d’allonger la durée de vie des meubles et de réduire les ressources utilisées, pour produire moins de meubles », clame Cathy Dufour. Un modèle louable qui réclame toutefois une plus grande structuration du marché de la seconde main, aussi bien sur le segment BtoC que BtoB.