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Michelin : « Nous nous engageons dans le développement de plusieurs filières de recyclage »

Par Guillaume Trecan | Le | Environnement

Le directeur des achats groupe, Vincent Rousset-Rouvière et Hélène Vermont, directrice achats RSE Fournisseurs, qui sera grand témoin du dîner de rentrée du Club Planète Sourcing, mardi 3 septembre, détaillent les actions qui doivent permettre à l’industriel de fabriquer 100 % de ses pneus en matières premières d’origine recyclée ou biosourcée d’ici à 2050.

Vincent Rousset-Rouvière et Hélène Vermont. - © D.R.
Vincent Rousset-Rouvière et Hélène Vermont. - © D.R.

Quelles sont les initiatives du groupe Michelin en matière d’économie circulaire ?

Hélène Vermont : Nous travaillons sur un grand nombre d’actions qui concernent différents achats de fournitures et d’équipements, y compris dans les achats indirects, mais notre initiative phare en matière d’économie circulaire est liée à notre ambition de fabriquer, à l’horizon 2050, 100 % de la masse de nos pneus avec de la matière première soit d’origine recyclée, soit d’origine biosourcée. Nous sommes actuellement à 28 %, nous aurons un point d’étape à 40 % en 2030.

Vincent Rousset-Rouvière : Nous avons à la fois une approche en circuit ouvert et en circuit fermé. La démarche en circuit ouvert caractérise ce qui vient d’autre chose que du pneu ou qui transforme le pneu en autre chose. Nous utilisons par exemple du plastique provenant d’emballages ou encore du métal recyclé qui ne vient pas de pneus. Les matériaux issus d’une démarche en circuit fermé sont ceux provenant de pneus en fin de vie que nous récupérons pour en faire de nouveaux pneus.

Que parvenez-vous à recycler dans vos produits ?

HV : Nous traitons les pneus en fin de vie par une action thermique, physique et chimique pour séparer le mélange à base de caoutchouc, le métal et le textile. Selon les procédés, nous récupérons une poudre qui est réintégrée dans le pneu, ou du noir de carbone, ainsi qu’une huile ou des résines qui nous servent dans la fabrication du pneu. En parallèle, nous travaillons à réintroduire dans la filière métallurgique les fils de métal contenu dans nos pneus.

Nous avons un rôle clé de fédérateur des différents acteurs, depuis nos fournisseurs jusqu’à nos clients

Qu’est-ce qui est de la responsabilité des Achats dans les actions d’économie circulaire ?

HV : Les Achats ne travaillent pas seuls sur ces sujets mais en concertation avec d’autres directions opérationnelles du groupe, à commencer par la direction dédiée à l’économie circulaire créée par Michelin pour coordonner ces initiatives. Nous travaillons aussi avec la R&D et la direction manufacturing parce que, en introduisant ces matières issues du recyclage nous touchons aux caractéristiques même du pneumatique et nous devons parfois modifier les paramètres dans notre recette de production. Pour que de bonnes idées arrivent in fine dans notre produit, nous avons un rôle clé de fédérateur des différents acteurs, depuis nos fournisseurs jusqu’à nos clients. La RSE est un excellent sujet pour déssiloter une entreprise et fédérer toutes nos parties prenantes internes et externes.

VRR : Ces actions impliquent, aux côtés de Michelin, la présence des organismes collecteurs qui diffèrent selon les pays et les législations en vigueur. Nous travaillons ensuite avec des industriels spécialistes du métal, du plastique, de la biochimie, de la transformation des matériaux. Nous travaillons aussi avec des financiers parce que ces filières ne sont pas toujours immédiatement économiquement viables.

Quelles sont les principales difficultés à surmonter pour faire émerger ces filières de recyclage ?

VRR : Nous ne devons pas seulement mettre au point des modèles scientifiques et économiques, mais aussi des modèles économiques et de financement. La difficulté est parfois d’ordre technologique et nous devons apporter notre appui pour mettre au point un processus industriel. D’autres fois elle est plutôt liée à l’organisation économique de la filière.

HV : Quand nous travaillons sur ces filières, j’ajoute que nous sommes en compétition avec d’autres types d’industries, par exemple celle des carburants.

Qui sont vos concurrents à l’achat sur les matières recyclées ?

HV : La concurrence sur les produits en fin de vie, quels qu’ils soient, s’intensifie. Nous avons souvent face à nous de grands groupes pétroliers, du secteur de l’acier, ou encore de l’environnement. Les pneus sont en effet des produits très carbonés, ce qui en fait un déchet très intéressant comme source d’énergie. De notre côté, nous militons pour réutiliser les produits en produits d’usage, car ainsi la matière peut servir plusieurs fois au lieu d’être brûlée.

Très tôt, avec certains de nos concurrents, nous avons donc organisé les filières de collecte et nous avons aujourd’hui une politique commune de zéro pneu en fin de vie en décharge

Quels sont les atouts du groupe pour être client préférentiel de ces filières de recyclage ?

VRR : De longue date, les fabricants de pneus ont fait valoir leur responsabilité de producteurs dans la récupération des pneus en fin de vie. Cet intérêt tient aussi à la technique permettant de rechaper un pneu usagé en remplaçant la bande roulement. Très tôt, avec certains de nos concurrents, nous avons donc organisé les filières de collecte et nous avons aujourd’hui une politique commune de zéro pneu en fin de vie en décharge. En France, l’éco-organisme collecteur s’appelle Aliapur, mais il existe dans le monde sous d’autres noms en Allemagne, aux États-Unis ou encore en Chine. Cette organisation est évidemment un atout. Notre grande chance est de savoir où se trouvent nos pneus en fin de vie sur la planète puisque, dans la très grande majorité des cas, lorsqu’ils sont usés, ils sont démontés dans un garage ou dans une concession automobile.

Nous avons monté un consortium avec la société suédoise Enviro et un fonds d’investissement pour développer une usine de recyclage de pneus

Par quel moyen soutenez-vous les filières de recyclage ?

VRR : Nous concentrons beaucoup d’énergie pour faire grandir ces filières, particulièrement les filières en circuit fermé. Nous pouvons fournir la matière entrante, grâce à l’efficacité de la collecte des pneumatiques. Lorsque nous avons travaillé sur la technologie industrielle, nous pouvons aussi mettre à disposition cette technologie au service du recyclage. Enfin, nous pouvons nous engager à acheter à un prix convenu la production de cette entité et garantir un débouché au projet industriel, pendant une certaine période d’années et à un certain prix.

Nous nous engageons ainsi dans le développement de plusieurs filières de recyclage, telles que celles du noir de carbone, des élastomères, du métal, du textile… Dernièrement, nous avons par exemple monté un consortium avec la société suédoise Enviro et un fonds d’investissement pour développer une usine de recyclage de pneus.

Nous n’avons pas vocation à être un leader du noir de carbone recyclé. En revanche, nous souhaitons contribuer à l’émergence de ces filières et des technologies

A quel niveau les Achats participent-ils à la prise de décision Make or Buy ?

VRR : Nous ne voulons pas devenir des acteurs clés des business de produits recyclés, y compris sur des technologies que nous maîtrisons très bien aujourd’hui, comme celle du noir de carbone. Nous sommes un spécialiste des composites de haute technologie dont le pneu fait partie, mais nous n’avons pas vocation à être un leader du noir de carbone recyclé. En revanche, nous souhaitons contribuer à l’émergence de ces filières et des technologies. Sur cette question du Make or Buy, nous sommes un contributeur essentiel, mais nous restons en « buy ».

Quelle incidence ces initiatives de recyclage ont-elles sur l’approche TCO de vos achats de matière ?

VRR : Mettre en place ces filières prend du temps et représente parfois un coût important et nous sommes prêts à y contribuer - évidemment pas à n’importe quel prix. C’est inévitable pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé. Nous devons donc être capables d’expliquer à nos clients notre démarche et la valeur à terme de ces solutions pour intégrer ce surcoût dans notre prix de vente. Notre approche est aussi de prioriser entre les différentes solutions qui émergent. Par exemple, la filière du bio-butadiène, est aujourd’hui très chère mais celles du noir de carbone et des métaux recyclés sont devenues compétitives. Quoi qu’il en soit, le temps joue pour nous, parce que de nouvelles législations vont aider à ces changements de paradigmes et les marchés vont progressivement évoluer eux-aussi en faveur de ces produits recyclés.

HV : C’est aussi une attente de nos clients constructeurs automobile, en particulier en Europe mais pas seulement. C’est aussi une attente des investisseurs.

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