ICTSI : « Les terminaux du groupe ont bien compris les avantages à travailler avec les Achats »
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Afin de professionnaliser sa fonction achats et en faire un vecteur de performance, le groupe International Container Terminal Services Inc., un opérateur portuaire philippin, a recruté en mai 2022 Damien Huppert. Et cet ancien d’Imerys n’a pas chômé pour faire des Achats un acteur de premier plan. En effet, en 18 mois, le CPO a mené de nombreux chantiers avec succès. Mais d’autres pointent le bout de leur nez. Entretien :
Quelle est l’activité d’ICTSI ?
ICTSI est un opérateur portuaire philippin, né à Manille il y a une trentaine d’années. Le groupe, spécialisé dans la manutention de containers, a commencé son histoire en gérant le port de la ville et s’est fait petit à petit un nom en s’étendant à l’international au fil des années. Il réalise aujourd’hui 2,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires, emploie 11 000 salariés et manutentionne plus de 12 millions d’EVP. La société est présente dans 19 pays et gère 32 terminaux, de tailles diverses, situés principalement dans des pays émergents d’Amérique du Sud et Centrale (Mexique, Honduras, Équateur, Colombie, Brésil, Argentine) ; d’Afrique (Nigéria, Cameroun, Congo et Madagascar) ou encore d’Asie et d’Océanie (Indonésie et Papouasie-Nouvelle-Guinée).
Nous opérons également un port en Croatie, un en Pologne et un autre en Australie, qui constituent les marchés les plus matures de notre portefeuille. Si le groupe a crû au gré de différentes opérations de croissance externe, il intervient également par le biais d’investissements greenfield dans des contrées où, souvent, les autres acteurs de notre secteur ne sont pas encore présents. Il n’en demeure pas moins qu’ICTSI est pénétré par une très grande culture entrepreneuriale locale.
Pour quelles raisons ICTSI a-t-il fait appel à vos services ? La fonction achats existait-elle ?
L’enjeu premier de mon mandat a été de professionnaliser la fonction et est désormais de la globaliser
Les Achats étaient historiquement une fonction locale, qui s’appuyait sur une équipe basée au siège, à Manille. Elle devait, jusqu’à mon arrivée, administrer les achats du port de Manille et apporter une assistance sur le plan des achats aux autres terminaux philippins dans lequel opère le groupe. L’enjeu premier de mon mandat a été de professionnaliser la fonction et est désormais de la globaliser. Mon rôle est de veiller à ce que les Achats deviennent une fonction support génératrice de performance pour offrir à l’entreprise de nouvelles opportunités de développement, ce qui n’était pas vraiment le cas jusqu’à présent.
La direction des achats rapporte aujourd’hui à la direction générale et a voix directement au comex. Cela traduit la volonté du groupe de faire monter en puissance son service achats, tout comme elle l’avait fait auparavant avec la fonction Finance, puis l’IT. Il était plus qu’important de structurer au préalable la DSI, car nous opérons dans un secteur critique dans lequel les sujets liés à la cybersécurité sont prédominants.
Le choix a été fait de s’appuyer sur une plateforme informatique unique extrêmement robuste. En parallèle, tous les sujets d’ingénierie ont été revus pour répondre aux enjeux des flottes d’équipements sur lesquels nous œuvrons.
Quelles ont été vos premières actions ?
Après avoir effectué un état des lieux, je me suis appliqué à constituer mon équipe, agencer l’offre de services que nous allions mettre à disposition de nos terminaux et proposer du support ad hoc en fonction des situations qui se présentent à eux (renégociation de contrats, projets d’achats). Cette première étape a été franchie avec succès. Reste maintenant à engager tous les terminaux, dont les niveaux de maturité diffèrent, dans une démarche de mesure de performance, de création de valeur et d’amélioration continue pour mettre en œuvre les plans de réduction des coûts pensés à l’échelle locale.
Quelles sont vos catégories d’achat principales ?
Dans notre cas, les achats se décomposent en opex et capex. Les premières représentent 200 millions de dollars de dépenses, tandis que les deuxièmes en représentent 400 millions. Les catégories couvertes sont très standards ; la principale étant l’énergie, appréhendée au niveau local. Au niveau global, les sujets d’infrastructure en génie civil sont parmi les plus stratégiques pour notre direction. Dans le cadre des concessions portuaires que nous remportons, il nous appartient, la plupart du temps, soit d’entretenir, soit de développer le génie civil.
Cela va de la construction de quais à l’aménagement de terrain, en passant par des opérations de travaux des fondations des plus nécessaires au regard du poids des charges soulevées dans un port. Arrivent ensuite les achats d’équipements, comme les grues, le matériel de levage, le matériel roulant, sans oublier la dimension MRO qui va avec. La dernière catégorie la plus significative est l’IT, considérée comme une famille d’achat direct, car liée au service que nous rendons à nos clients.
Comment est dimensionnée l’organisation que vous pilotez ? Avez-vous eu le temps de la façonner comme vous le vouliez ?
Chacune des équipes sur site est calibrée selon la taille des terminaux que nous opérons et dispose des mêmes outils et d’une structure informatique standardisée
En tout et pour tout, 100 personnes travaillent sur les sujets achats. Une équipe de 20 personnes, toutes au siège, m’est rattachée hiérarchiquement, tandis que le reste des effectifs est réparti sur nos différents terminaux. Dans chaque pays où nous opérons, les acheteurs sont des locaux. Chacune des équipes sur site est calibrée selon la taille des terminaux que nous opérons et dispose des mêmes outils et d’une structure informatique standardisée, avec SAP ECC sur la partie transactionnelle. Cela permet de dimensionner au mieux notre action, notre niveau d’investissement et de ne pas discriminer nos concessions les moins importantes, qui restent des points d’entrée et de sortie majeurs pour les pays dans lesquels nous sommes installés.
Pour le reste, mon approche n’avait rien d’exceptionnelle. Mon parti pris a été de bâtir les Achats autour d’une équipe plus intégrée, avec du category management et un back office, dont la vocation ne se limite pas au simple aspect transactionnel. Quand bien même cette forme d’organisation ne sort pas des sentiers battus, la direction des achats n’était pas pensée de la sorte avant mon arrivée. La transformation de la fonction a par ailleurs été doublée par la mise en place d’un PMO, afin de gérer les changements comme il se doit.
Sur le plan de la digitalisation, est-ce réellement un avantage de s’appuyer sur une plateforme unique à tout le groupe ?
Je considère que c’est une chance, d’autant que la structure d’ICTSI est fondamentalement décentralisée. Cette forme d’organisation pousse à la créativité et à l’excellence. Au sein du groupe, les patrons des terminaux sont par exemple garants de la bonne santé du compte de résultat de leur site. Ils sont responsables de leur interface clients, de la gestion de leurs coûts, doivent décrocher des marchés et gérer leur opérationnalisation. Le module SAP ECC est sans doute un peu daté, mais reste fonctionnel.
Du reste, SAP Ariba a été implanté pour nos activités aux Philippines, couvrant l’amont, à savoir l’accréditation fournisseurs et gestion des appels d’offres, ainsi que la partie achats indirects. Plutôt que de forcer nos autres terminaux à adopter ce mode de fonctionnement, nous leur proposons une offre de services. Nous fonctionnons sur la base du volontariat et avons modelé une action « Procurement-as-a-Service ». Pour ce qui concerne l’accréditation fournisseurs et la gestion des appels d’offres, nous dispensons aux terminaux les plus intéressés des formations et gérons auprès d’eux, avec des équipes dédiées, le roll-out d’Ariba.
Les plus importants souhaitent prendre le plus souvent les commandes de l’outil, tandis que les plus petits nous en laissent généralement la gestion à travers le back office installé à Manille, avec un modèle de centre de services partagés et de mise à disposition de ressources mutualisées en central pour les servir. Nous n’avons pas pour objectif de couvrir tous nos terminaux avec le module. Cela porte ses fruits, car, de la sorte, nous sommes parvenus à leur donner envie de travailler avec nous et à faire appel à nos services. Ils ne peuvent généralement pas justifier un recrutement supplémentaire ou se former à un outil qu’ils n’utilisent pas quotidiennement. Cette flexibilité n’est pas dérangeante et est même un atout important pour les Achats. Les terminaux du groupe ont bien compris les avantages à travailler avec des acheteurs professionnels et à mettre des processus à leurs appels d’offres.
Comment ICTSI appréhende la dimension RSE dans sa stratégie ?
Compte tenu de nos activités en Union Européenne, la compliance est un sujet que nous ne prenons pas à la légère. De plus, notre société est cotée à la bourse de Manille et nos actionnaires restent très attentifs sur ces questions. Dès mon arrivée, nous avons travaillé à la mise en place d’un code de bonne conduite à destination de nos fournisseurs et l’avons déployé.
Nos fournisseurs ont l’obligation de le respecter, afin d’éviter toute forme de conflit d’intérêt. Nos collaborateurs doivent mettre aussi au jour les situations qui pourraient être perçues comme telles. C’est pour l’entreprise et ses fournisseurs un changement de culture important. Est-ce suffisant ? Probablement pas. Nous sommes seulement au début de l’histoire et n’avons pas encore les moyens de conduire des audits sur ces sujets.
Le groupe va par ailleurs communiquer ses objectifs de décarbonation d’ici la fin de l’année. Cela concernera dans un premier temps le scope 1 et le scope 2. Nous réfléchissons à la manière d’adresser le scope 3. Le sujet est pris très au sérieux par la direction générale, compte tenu du niveau de pollution aux Philippines et de ses retombées sur la biodiversité. Nous y sommes très sensibles et si nous pouvons faire quelque chose, nous le faisons, notamment par le biais de notre Fondation. Cela ne sera jamais qu’une goutte d’eau, mais cela a du bon. Si nos deux terminaux que nous opérons au Mexique et en Équateur ont déjà atteint la neutralité carbone, le reste prendra du temps.
De quelle manière allez-vous décliner cet enjeu aux achats ?
Cela ne sera pas simple. Pour prendre le sujet le plus emblématique, l’énergie, nous n’avons à mon plus grand regret pas accès à de l’électricité décarbonée, ni même à des biocarburants, sur les marchés dans lesquels nous opérons. Nous n’avons sous la main que des sources d’électricité par charbon ou des groupes électrogènes diesel. Il arrive même que certains de nos terminaux ne soient pas reliés au réseau. Or certains de nos équipements sont électrifiés, tandis que les autres fonctionnent au diesel. Voilà notre réalité.
Il est fort probable que le solaire soit un jour pour nous une solution
Nous sommes à l’affût et lançons des pilotes sur l’utilisation d’équipements. Désormais, nous nous procurons uniquement des grues encadrantes en forme de U hybrides. Nous faisons ce que nous pouvons, avec ce que nous avons. Mais nous voulons bien évidemment trouver des solutions et changer la donne. Pour cela, nous multiplions les échanges avec nos fournisseurs d’énergie et attendons de savoir quand ils seront en mesure de mettre en ligne des sources d’énergie verte. Nous ne prenons aucun engagement sur le long terme avec nos fournisseurs actuels, de sorte, quand le moment viendra, de basculer vers des fournisseurs d’électricité verte ou du moins décarbonée. Il est fort probable que le solaire soit pour nous, un jour, une solution.
Il nous est en revanche impossible de recourir à l’autoconsommation avec des parcs photovoltaïques, pour des questions d’emprise foncière notamment. Au-delà de cela, les charges que nous soulevons réclament une intensité énergétique extrêmement forte. Avant de répondre aux besoins d’un terminal dans son ensemble, le photovoltaïque a encore beaucoup de chemin à parcourir.