Compass : « Nos achats doivent être un atout de commercialisation »
Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha
Edouard Albertini, directeur achats et logistique France du groupe de restauration collective, veut affronter l’inflation sans réduire les ambitions de valeur du groupe. Une approche résolument orientée business pour un profil venu de la direction générale et des ventes, qui entend contribuer au développement des filières agricoles.
A quelles préoccupations stratégiques du groupe la direction achats et logistique de Compass répond-elle ?
Ces dernières années, notre métier s’est complètement transformé. Historiquement la restauration sur site était considérée comme une commodité, essentiellement pilotée par les coûts, dans le respect d’un cadre hygiène, santé, sécurité alimentaire. Aujourd’hui, nos clients ont conscience que cela peut être un service à valeur ajoutée cumulant des enjeux sociétaux, pédagogiques, de santé et expérientiels. Alors que nos Achats avaient toujours joué un rôle essentiellement centré sur la recherche de performance économique, nous passons maintenant à un modèle plus serviciel et nous jouons un rôle stratégique pour accompagner cette transformation au sein de l’entreprise.
Nous devons recréer du lien entre le monde agricole et nos clients en leur apportant des informations qui leur permettent de faire les bons choix
Comment déclinez-vous ce changement de paradigme métier dans votre feuille de route ?
Le premier axe de notre feuille de route est aligné sur le programme Compass Le Pacte, qui induit une approche responsable de notre industrie et intègre des enjeux d’inclusion et de régénération des filières. Nous voulons être net 0 à l’horizon 2040 en intégrant le scope 3, qui représente 86 % de notre bilan carbone. Nous devons aussi recréer du lien entre le monde agricole et nos clients en leur apportant des informations qui leur permettent de faire les bons choix.
Notre deuxième axe de travail est lié à l’ambition de croissance du groupe. Nos achats doivent être un atout de commercialisation auprès de nos clients. Nous devons répondre à leurs attentes en termes de produits, de performance et de différenciation… La digitalisation est le dernier pilier de notre politique achats. Nous aspirons à une meilleure gestion de la donnée et à passer à un modèle orienté vers la création de valeur et le service aux clients internes.
Concrètement, quels sont vos projets d’adoption SI achat ?
Nous disposons aujourd’hui d’un data warehouse de qualité et d’un grand nombre d’outils, mais ils doivent être modernisés et nous devons faire le lien entre eux pour que la donnée remonte facilement et avec fiabilité. Ces sujets ont un impact important en termes de conduite du changement. Avant de nous lancer, nous devons donc bien réfléchir à nos priorités et identifier les process à adapter pour être en phase avec les outils du marché.
Nous avons pour objectif de fournir en temps réel de meilleures informations à nos clients et aux opérationnels
Nous avons pour objectif de fournir en temps réel de meilleures informations à nos clients et aux opérationnels : éléments constitutifs d’une fiche technique, origine des produits, traçabilité, allergènes, nutri-score, etc. La digitalisation vise également à simplifier la vie des équipes achats. Le pilotage de nos appels d’offres, la contractualisation, le suivi du pipeline de nos dépenses et le monitoring de notre performance doivent être digitalisés.
Vos deux premiers leviers traduisent une volonté de montée en valeur. Comment combinez-vous cette ambition avec le contexte inflationniste ?
L’écart est en train de se réduire entre le prix des produits labellisés ou issus de l’agriculture biologique et celui des produits conventionnels, qui sont plus exposés à la hausse des coûts. Dans certains cas, cela peut être l’occasion de réorienter nos choix, ce qui va d’ailleurs dans le sens de la loi Egalim. Cette situation nous incite à penser différemment.
Nous ne sommes pas seulement confrontés à l’inflation, mais aussi à des pénuries de matières. Dans ce contexte, la seule solution pour construire des accords sains passe par l’établissement de partenariats. Une dynamique partenariale avec nos fournisseurs intègre l’idée d’engagements sur les volumes, susceptibles d’apporter des nouveaux leviers pour limiter l’impact de l’inflation sur nos clients.
L’exemple du bœuf illustre bien cette situation. Auparavant nous n’achetions que les pièces dont nous avions besoin. Or aujourd’hui pour acheter du bœuf au bon prix, il faut le prendre dans son intégralité. Cette évolution illustre aussi la nécessite de diversifier nos achats, car, historiquement, 80 % de nos consommations étaient concentrées sur 10 % de nos références.
Nous aidons à construire des filières qualitatives répondant à la loi Egalim, notamment sur les produits à haute valeur environnementale
Comment vous positionnez-vous par rapport aux défis environnementaux et sociaux que doit relever l’agriculture française ?
Le terroir français est très riche, mais doit effectivement faire face à des défis de taille tels que le départ à la retraite programmé d’un tiers des agriculteurs dans les années à venir. Même si nous ne disposons pas des volumes de la grande distribution, nous avons un rôle à jouer, d’autant que nous sommes un relais d’image pour valoriser certains produits dans nos restaurants. Nous aidons à construire des filières qualitatives répondant à la loi Egalim, notamment sur les produits à haute valeur environnementale (HVE). Nous pouvons les aider dans le montage du cahier des charges, leur faire rencontrer nos clients et leur garantir que si elles se lancent, nous leur commanderons les volumes nécessaires. Nous nous engageons aussi auprès de filières très peu développées comme celle des légumineuses en les aidant à se structurer avec certains de nos partenaires historiques.
Comment utilisez-vous la logistique comme levier de performance économique ?
Avoir la logistique dans le périmètre des Achats apporte de la transparence sur notre modèle économique, en éclairant la part du coût réel du produit, celle de sa logistique et celle de son transport, qui sont deux leviers supplémentaires d’optimisation de nos coûts.
Nous pouvons jouer sur différentes options : pratiquer le flux tendu, stocker, être livré en direct par certains industriels producteurs ou nous appuyer à 100 % sur notre partenaire logistique. Quant au transport, il représente une part non négligeable de nos dépenses. Nous travaillons sur l’optimisation du nombre de livraisons et du poids moyen livré.
Cette approche nous permet de mettre notre réseau logistique à la disposition de certains industriels, producteurs, ou éleveurs, en leur proposant de s’appuyer sur nos plateformes pour livrer tous nos établissements.
Etes-vous dans une logique d’intégration de votre logistique ?
Nous n’avons ni plateforme, ni camion en propre, nous fonctionnons avec un partenaire qui gère toute notre logistique. Nous sommes d’ailleurs en plein appel d’offres sur la logistique. Nous prendrons notre décision mi 2023, pour un contrat qui prendra effet en mars 2024.
La limitation de nos consommations de protéines animales est un enjeu important. A lui seul, le bœuf représente 15 % de notre bilan carbone.
Comment faites-vous avancer l’objectif de réduction de l’empreinte carbone ?
Nous avons été accompagnés par la société Traace qui a évalué notre empreinte carbone catégorie par catégorie. Les leviers d’optimisation ne concernent pas seulement les Achats, mais aussi les clients à travers leurs choix. Le premier consiste à limiter l’import et concentrer nos achats sur la France. La limitation de nos consommations de protéines animales est également un enjeu important. A lui seul, le bœuf représente 15 % de notre bilan carbone. Nous devons donc d’une part concentrer nos achats sur le bœuf français et d’autre ouvrir à de nouvelles filières de protéines végétales pour proposer des alternatives. Nous avons aussi de sérieuses pistes d’optimisation au niveau du transport et de la logistique.
Avez-vous intégré des critères de motorisation verte dans votre appel d’offres transport ?
Pour l’instant nous en sommes plutôt à sonder le marché pour faire remonter des idées. C’est la raison pour laquelle notre appel d’offres s’étire sur un délai relativement long. Il y a un travail de fond à entreprendre avec les logisticiens, sur le transport, l’emballage et le stockage - en particulier lorsque l’on stocke du frais et du surgelé.
Pour la ville d’Issy-les-Moulineaux dont nous venons de signer le contrat, nous allons par exemple basculer 100 % de la flotte en électrique
Avez-vous envisagé de développer des approches collectives avec d’autres acteurs de la restauration collective sur ces sujets pour amortir les risques ?
Nous sommes dans un environnement assez concurrentiel, ce qui limite ces approches. En revanche, ce sont des réflexions que nous pouvons avoir avec nos clients, dont les directions achats nous challengent de plus en plus sur ces points. Nous sommes leur scope 3, ils ont donc tout intérêt à mener ces démarches à nos côtés. Utiliser des consignes, ou d’autres modes d’approvisionnement implique qu’ils opèrent à nos côtés et participent à cette dynamique, en mettant à notre disposition des espaces de stockage, par exemple pour permettre de garder des déchets à revaloriser. Aujourd’hui nous savons faire des restaurants à zéro plastique, ce qui n’est pas encore le cas de nos logisticiens. Pour la ville d’Issy-les-Moulineaux dont nous venons de signer le contrat, nous allons par exemple basculer 100 % de la flotte en électrique.
La direction achats est-elle présente dans certaines soutenances d’appels d’offres pour valoriser ces éléments ?
Nous sommes de plus en plus sollicités pour des soutenances commerciales, pas encore sur ces sujets transport mais sur les sujets d’inflation. Nous avons très intérêt à jouer ce rôle d’intermédiaire entre le monde agricole et nos clients. Il est aussi de notre responsabilité d’assurer un travail de pédagogie. Nos clients nous demandent de nous engager trois mois à l’avance sur des menus et nous infligent des pénalités si nous ne les respectons pas… Pourtant, lorsque la sécheresse sévit comme c’est le cas en ce moment, il est bien difficile de prévoir précisément la date à laquelle nous aurons des framboises.
Portrait
Edouard Albertini est directeur achats et logistique France de Compass depuis octobre 2021. Il couvre les Achats, la Supply chain, les données financières et la catégorie développement. Il reporte au président France de Compass et siège au comex France. Preuve de l’ambition placée par le groupe dans les fonctions achats et logistique, Edouard Albertini était précédemment directeur général délégué de Compass France.n « J’ai rejoint les Achats parce qu’il s’y joue des enjeux de transformation. Nous fabriquons un million de repas par jour, nous avons un impact sur les questions de souveraineté alimentaire et nos acheteurs ont une véritable passion pour leurs sujets », explique le transfuge.
Les achats de Compass France en chiffres
Montant des achats : 500 M d’€
Effectif achats et logistique : 45 personnes, dont 15 acheteurs, une dizaine de personnes sur la logistique, cinq personnes sur le catégorie développement et une quinzaine de personnes sur la finance et la data.