Imerys : « Nous achetons moins et, de fait, nous produisons aussi moins de CO2 »
Par Mehdi Arhab | Le | Environnement
Olivier Brunet, directeur des achats du groupe Imerys, spécialisé dans la transformation de minéraux industriels, fait le point sur son programme achats responsables lancé depuis deux ans. Résolument porté par la question écologique, il salue grandement les progrès de sa structure, ne taisant pas cependant son désir de presser le pas.
En quoi était-ce important pour votre organisation de lancer un programme achats responsables ?
Nous nous sommes lancés sur cette voie il y a maintenant deux ans. Nous avions auparavant une organisation achats extrêmement décentralisée et, de fait, nous avions une connaissance relativement faible de nos fournisseurs. Nous devions consolider notre base de données les concernant. Au même moment que la globalisation des achats, nous avons lancé ce programme afin de mieux les connaître, notamment sur tous les aspects RSE.
Nous nous sommes engagés en ce sens pour différentes raisons, notamment parce que la législation nous l’impose, comme la loi Sapin 2 en France et d’autres équivalentes aux États-Unis. Ensuite, nos clients, divers et variés, ainsi que certains secteurs d’activité avaient des demandes pressantes. De la même façon que nous interrogeons nos fournisseurs, eux nous interrogent. Nous avons alors eu le sentiment que cela pouvait constituer un différenciateur vis-à-vis de la concurrence.
Que faites-vous en ce sens ?
Nous réalisons un screening continu de la chaîne de valeurs et des audits auprès de nos fournisseurs, pour en connaître sur leur propre chaîne d’approvisionnement. Nous opérons aussi en fonction de différents critères : matières, pays à risque.
Nous avons réalisé ces deux dernières années du Data management. Nous entrons désormais dans des discussions sur les cibles à atteindre. Nous accompagnons nos fournisseurs dans leurs démarches, en leur faisant remplir des questionnaires. Nous avons récupéré des ratings EcoVadis qui nous permettent d’identifier d’éventuels problèmes dans leurs actions.
Nous achetons des minéraux liés à la géologie des sols et certains d’entre eux ne peuvent être trouvés et extraits que dans certaines régions
À quels risques et, plus globalement, à quelles difficultés êtes-vous confrontés ?
Nous sommes principalement confrontés à un risque réputationnel. Pour prendre un exemple d’actualité, nous ne pouvons décider d’un seul coup, contrairement à d’autres entreprises, de switcher l’achat d’un produit de Russie en l’achetant ailleurs. Nous achetons des minéraux liés à la géologie des sols et certains d’entre eux ne peuvent être trouvés et extraits que dans certaines régions. Nous n’avons donc pas le choix de la géographie d’origine du produit. Il faut alors s’assurer avec qui nous travaillons. Certains gisements s’établissent dans plusieurs pays et certains ne souhaitent pas nous voir opérer sur leur territoire. De fait, nous devons rester vigilants sur les endroits dans lesquels nos fournisseurs s’approvisionnent. Pour cela, nous essayons de travailler au maximum en direct, afin d’avoir la main. Mais nous ne pouvons pas être toujours présents partout.
Sur quels aspects mettez-vous l’accent désormais ?
Le CO2 est un point qui me tient particulièrement à cœur et notre groupe s’engage à ce propos. Nous avons réellement accéléré le mouvement ces derniers temps. Nous sommes, à mes yeux, plutôt en avance sur le sujet. Nous travaillons vigoureusement sur notre Scope 1, notre Scope 2 et la question de l’efficacité énergétique dans sa globalité. Côté fournisseurs, nous avons lancé sur le Scope 3 deux programmes. Le premier : Science Base Target, avec une vérification de tous nos fournisseurs, lesquels doivent tenir des engagements de réduction d’émissions carbones. Le deuxième est un programme de Saving CO2. Notre groupe a signé les accords de Paris et nous tenons des engagements climats. En outre, en anticipation de ce qui se passera à l’avenir, les Achats auront davantage d’attentes sur les sujets environnementaux relatifs aux chaînes de nos fournisseurs.
Quelles sont vos principales actions ?
En interne pour commencer, nous achetons par exemple des sacs avec un grammage de papier plus léger, afin de réduire notre consommation en la matière. Nous achetons également du Soda Ash, un composé chimique humide qui doit être séché. Pour réaliser cette étape, nous pouvons le placer dans un four à gaz ou le sécher grâce vent. En qualifiant le produit séché par le vent, nous émettons beaucoup moins d’émissions carbone. Tout cela engendre des réductions de CO2, lesquelles se comptent en tonnes. Ce n’est pas négligeable. Concernant l’aspect relatif à nos fournisseurs, nous devons encore agir. Il faut y aller calmement, par étape, pour convaincre les autres. L’année prochaine, nous favoriserons ceux qui ont un plan en opposition à ceux qui n’en n’ont pas.
Cela passe-t-il nécessairement par une augmentation des coûts ?
Bien au contraire. Cela s’accompagne quasi systématiquement d’une réduction des prix, compte tenu des changements dans notre manière d’acheter et de nos leviers, type réduction de consommation. Notre politique achats marche bien de ce point de vue. En effet, nous achetons moins et, de fait, nous produisons aussi moins de CO2. En séchant notre Soda Ash via le vent, nous engendrons de grosses économies compte tenu des prix actuels du gaz. Ceci est extrêmement vertueux et bénéfique. Nous en tirons donc de la performance achats. En revanche, sur la question de l’électricité, recourir aujourd’hui à des certificats d’énergie verte nous oblige à absorber un surcoût. Cela nous revient 10 à 15 % plus cher.
Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
Nous allons nous assurer que nos fournisseurs ont pris des engagements et ont un plan établi afin de réduire leurs émissions carbones. Pour le moment, nous n’avons fait que collecter les informations. Nous avons connaissance des fournisseurs qui ont aménagé un plan et qui ne l’ont pas fait. Un quart d’entre eux en ont un et notre travail cette année sera de convaincre un autre quart d’en posséder un. Nous avons pour ambition prochaine d’arriver à 45 % de notre volume d’achats avec des fournisseurs ayant des objectifs et cibles clairs de réduction de CO2. Il faut en ce sens les convaincre et leur expliquer comment faire, afin de les aider au mieux à piloter leurs futurs objectifs. Ce sont, le plus généralement, des sociétés de petite ou moyenne taille. Ensuite, nous avons pour objectif d’acheter des produits dont l’empreinte carbone est moindre. Pour cela, nous nous appuierons sur la structure de notre projet d’amélioration continue ; avec du project management, des routines à acquérir et un Stage Gate Proces. Nous allons utiliser notre structure prévue à des fins de réduction de coûts afin de la translater en réduction de tonnes de CO2.
Cette année, nous avons l’objectif de voir 50 % de nos fournisseurs évalués dans EcoVadis.
Quel bilan tirez-vous depuis deux ans désormais ?
Je suis satisfait de ce que nous avons réalisé, car nous sommes partis de rien. Nous avons beaucoup progressé et très vite. J’observe une réelle différence dans nos actions. Mais je ne peux être totalement satisfait de l’état dans lequel nous sommes encore. Pour le moment, nous n’avons simplement fait que rattraper notre retard. Nous avons réalisé beaucoup de screening, via EcoVadis notamment pour l’aspect sustainability. Mais ce sont des choses que de nombreuses d’entreprises font depuis une dizaine d’années. Nos attentes se concentrent désormais sur des projets plus concrets et nous devons les mener à bien. Nous nous posons encore des questions sur les critères RSE et les ratings EcoVadis à mettre en œuvre. Cette année, nous avons l’objectif de voir 50 % de nos fournisseurs évalués dans EcoVadis. Lorsqu’un de nos partenaires importants ne sera pas au niveau attendu sur les sujets qui nous tiennent à cœur, nous devrons nous demander ce que nous devons faire. Devons-nous l’attendre et faire en sorte qu’il s’améliore ou devons-nous le remplacer ? Notre engagement en la matière est nécessaire, car ce sont des sujets importants pour notre groupe. Ceci reste une réflexion personnelle, mais je pense que beaucoup d’entreprises étaient dans le simple respect des lois, sans pour autant aller plus loin. Il ne faut plus être superficiel, il faut agir, quitte à payer plus cher. Nous sommes prêts à le faire, nos clients aussi. Tout se joue maintenant et tout reste encore à faire.
La fonction achats d’Imerys en quelques informations :
Rattaché au Chief Industrial Officer, le patron des opérations du groupe - lui-même relié au CEO -, Olivier Brunet est à la tête d’une équipe de 200 personnes et de près de trois milliards d’euros d’achats. À son arrivée, il a créé un poste, baptisé Purchasing Excellence, qui prendra bientôt le nom de responsable sustainable purchasing. Celui-ci s’attache à contrôler le panel fournisseurs sur tous les enjeux RSE et les questions relatives à la réduction de leur empreinte carbone.