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Emmanuelle Ledoux : « les acheteurs sont encore soumis à des injonctions contradictoires »

Par Mehdi Arhab | Le | Environnement

Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’institut national de l’économie circulaire, juge que les direction achats ont un rôle essentiel dans la mise en place d’initiatives circulaires, notamment dans l’accompagnement des filières. Un témoignage exclusif, en avant phase du dîner du Club des Managers Achats du 17 mai. 

Emmanuelle Ledoux, la directrice générale de l’institut national de l’économie circulaire - © D.R.
Emmanuelle Ledoux, la directrice générale de l’institut national de l’économie circulaire - © D.R.

Que représente l’économie circulaire en termes de valeur économique et sociétale ?

Nous devons passer du modèle actuel - extraction, production et consommation - à un modèle de boucle continue. Pendant longtemps, cela a été une question d’ordre environnemental et d’information du consommateur ; mentionnant l’obsolescence programmée, la provenance des produits, les contraintes traçabilité…

La pandémie, les blocages logistiques mondiaux, la question de la sécurisation des approvisionnements ont mis à mal les modèles économiques

L’économie circulaire est désormais moins traitée du point de vue environnemental, envahissant tous les autres ponts de nos vies. La pandémie, les blocages logistiques mondiaux, la question de la sécurisation des approvisionnements ont mis à mal les modèles économiques et provoqué la pénurie de matériaux de construction et de composants électroniques. La guerre en Ukraine et la crise géopolitique qui s’ensuit renforcent la criticité de nombreux matériaux et nous amènent à se poser des questions sur les politiques à mener en matière d’approvisionnement en énergie ou encore de relocalisations de certaines activités productives. 

Quelles sont les raisons qui pourraient motiver les Achats à mener des initiatives en ce sens ?

Cela peut être un facteur d’engagement et c’est aussi l’occasion de lancer un cercle vertueux, en participant à la vie de différents territoires. Chacun dans son espace a moyen d’agir de façon significative pour préserver la planète. Avoir la capacité de sourcer des fournisseurs qui contribuent à l’économie circulaire représente par ailleurs un impératif. La question des approvisionnements reste à mon sens celle qui occupe le plus les esprits des directions achats. Il y a encore beaucoup à faire sur le sujet et c’est l’une des grandes motivations des services achats, car il est question de stratégie industrielle. Par ailleurs, ce qui peut les motiver, c’est le rapport extra financier, car lorsque nous nous intéressons à l’empreinte environnementale dans l’industrie, l’appareil productif ne correspond en moyenne qu’à 5 % du total.

De nombreux efforts ont été faits, mais sur l’amont des dispositions peuvent encore être prises. Sur les achats de fournitures et de flotte électronique par exemple, les produits reconditionnés sont souvent d’excellente qualité. À court terme, il est cependant difficile de faire des économies. Mais en l’état, nous ne pouvons pas toujours mettre en avant l’intérêt économique sur ces questions ; la portée du débat est ailleurs.  

Au regard du nombre croissant de donneurs d’ordres réclamant des solutions de ce type, l’instauration de filières s’accélère

Comment pallier le manque de filières ?

Cela dépendra aussi des capacités des directions achats à se mobiliser. Néanmoins, de nombreuses initiatives sont en train de se mettre en place. Au regard du nombre croissant de donneurs d’ordres réclamant des solutions de ce type, l’instauration de filières s’accélère. Nous sommes dans un moment d’ajustement, dans lequel une ambition claire émerge, notamment sur le plastique, avec l’élimination du plastique à usage unique à l’horizon 2040, mais aussi sur les matériaux de bâtiments, les fournitures et mobiliers de bureau. L’autre besoin porte désormais sur les flottes électroniques. Des filières sont davantage accompagnées pour renforcer leur transformation, voire changer leur mode de fonctionnement et produire une offre alternative. De fait, l’offre se constitue. De leur côté, les donneurs d’ordres augmentent leur demande. Plus nous irons sur des produits durables et plus nous nous inscrirons dans des modèles pérennes. Reste à généraliser les offres.

Les achats peuvent donc jouer un rôle important dans l’éclosion de l’économie circulaire … 

Le rôle des achats peut être massif. Travailler sur l’offre circulaire est important, mais la demande doit suivre. Nous avons peut-être longuement attendu que la demande s’amplifie, sans que l’offre n’augmente. En compagnie du Conseil national de l’économie circulaire, créé il y a un peu moins d’un an, nous travaillons beaucoup sur la commande publique. En effet, l’article 58 de la loi AGEC, promulguée avant la pandémie en février 2020, impose à l’acheteur public d’intégrer, en fonction de différentes familles de produits, entre 20 et 40 % produits recyclés et réemployés.

Bien que les choses avancent rapidement, cela reste encore difficile à mettre en œuvre. Cette loi reste par ailleurs, à mon sens, trop focalisée sur l’information du consommateur. Il faut plutôt repenser l’organisation territoriale derrière, pour que celle-ci soit à la hauteur, en formant du personnel notamment. 

Les bonnes réponses sont différentes selon le secteur, l’entreprise

Quel rôle jouez-vous auprès des organisations professionnelles que vous accompagnez ? 

Nous menons un programme opérationnel d’accompagnement, avec différents acteurs, notamment l’Obsar et la métropole du Grand Paris. Celui-ci vise à appuyer différentes entreprises vers la mise en place d’achats circulaires. Pour la grande majorité, ce sont nos adhérents. Nous travaillons par famille de produits pour dégager plus de circularité. Nous leur donnons des exemples de clauses à intégrer dans leurs marchés. Nous les amenons à se poser les bonnes questions, mais les bonnes réponses sont différentes selon le secteur, l’entreprise. La question est d’adapter au mieux le produit aux besoins en matière de politique d’achats du groupe qui réclame des solutions. Quand cela est nécessaire, nous les renvoyons aussi vers des acteurs qui peuvent leur apporter l’aide escomptée, au sujet de la question assurantielle notamment, sur laquelle il y a encore quelques zones grises. Nous tâchons de répondre aux plus frileux. Les réticences portent le plus souvent sur le prix et la disponibilité des produits.

Les acheteurs sont encore soumis à des injonctions contradictoires, aussi bien dans le public que dans le privé. Ils doivent toujours faire au mieux, tout en tirant de la performance économique. Les critères qui leur sont imposés sont parfois discordants. Ils ont avant tout besoin de clarté. Certains produits coûteront un peu plus chers, certes, demandant donc plus d’investissement. Pour autant, nous considérons que ces modèles permettront de s’y retrouver d’ici cinq à dix ans. Mais pour cela, les décisions doivent être prises au sommet. Il faut repenser la chaîne de valeur. 

Comment percevez-vous l’avenir ? 

Il faut le faire et ne pas attendre, pour que l’économie circulaire évolue et influence. Nous devons accélérer, par le biais de la législation, des décrets. La question de la préservation des ressources doit être centrale dans les politiques économiques, sans cela, les achats et nous autres ne pourront pas faire grand-chose. Il faut une prise de conscience, non pas individuelle, parce qu’elle existe, mais industrielle et économique pour être en adéquation avec les ressources que la planète nous fournit.