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Imerys : « Nous travaillons à ce que notre mix modal inclut davantage de ferroviaire et maritime »

Par Mehdi Arhab | Le | Supply chain

Clotilde Vassault, directrice des achats de la BU Réfractaires, Abrasifs & Construction d’Imerys veille à mettre en œuvre une politique de décarbonation de ses transports ambitieuse, en jouant notamment sur le mix modal. Un défi de taille, plus ou moins lié avec ses achats de matières premières. Elle sera Grand Témoin de l’atelier « transport : comment embarquer vos prestataires dans la décarbonation », lors des HA ! Days Indirects et Sauvages des 7 et 8 octobre à Deauville.

Clotilde Vassault - © D.R.
Clotilde Vassault - © D.R.

Comment se répartit votre portefeuille d’achats et quelle place occupe le transport dans votre périmètre ?

La branche sur laquelle j’officie, « Réfractaires, Abrasifs & Construction », compte pour principaux clients des industriels de l’automobile, de la sidérurgie et de la construction. Les dépenses adressées pour le compte de la division pèsent pour 800 millions d’euros. Les matières premières représentent 40 % des achats de la branche, l’énergie en représente 30 % et suivent juste derrière la logistique et le transport qui représentent pour 15 % de nos achats.

Réfractaires, Abrasifs & Construction est constitué d’une quarantaine de sites industriels répartis sur l’ensemble du globe, notamment en Chine, en Inde, en Afrique du Sud, au Brésil, aux États-Unis et en Europe. La branche a réalisé 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires et compte 4 000 collaborateurs. Le groupe dans son ensemble emploie près de 14 000 personnes et son chiffre d’affaires sur le dernier exercice fiscal s’élève à 3,8 milliards d’euros. Au niveau du groupe, les achats de logistique et de transport pèsent pour 30 % des dépenses. L’énergie et les matières premières constituent bien évidemment, là aussi, des postes de dépenses stratégiques et importants.

Qu’est-ce qui rend votre tâche particulière ?

Du fait de notre activité et de la répartition de certaines ressources, nous ne pouvons décider d’un seul coup, contrairement à d’autres entreprises, de switcher l’achat d’un produit en l’achetant ailleurs

Les matières premières sont achetées dans le monde entier. Du fait de notre activité et de la répartition de certaines ressources, nous ne pouvons décider d’un seul coup, contrairement à d’autres entreprises, de switcher l’achat d’un produit en l’achetant ailleurs. Selon la disponibilité des matières, nous devons aussi bien acheter en Europe, qu’en Chine, en Afrique du Sud, ou aux États-Unis par exemple. Une matière achetée en Europe peut servir à nos sites asiatiques ou américains ; une matière achetée en Chine peut aussi bien servir à nos sites européens et à nos sites américains et ainsi de suite …

Comment appréhendez-vous l’achat de transport à cet effet ?

Nous travaillons main dans la main avec le directeur achats logistique et transport du groupe, Joost van Moorsel. Nos équipes d’acheteurs de matière première, de transport vrac et transport en container collaborent avec son équipe pour répondre au mieux aux enjeux de la branche et du groupe, qui a fait de l’orientation client un pivot de sa réussite. Le client final et la vente guident toutes nos démarches et initiatives. Le rôle que joue la Supply Chain, et les Achats en amont bien sûr, est donc fondamental. Pour ce qui concerne le transport de vrac, la supply chain de la branche profite des contrats groupe négociés et mis à disposition par l’équipe de Joost van Moorsel.

Pour ce qui est du transport routier, nous comptons une équipe d’experts locaux. Tous sont répartis dans nos principales régions et mettent à disposition de la direction supply chain différents contrats qui lui permettent de couvrir ses besoins locaux en matière de transport routier.

Comment se répartit votre mix modal ?

Nous n’avons presque aucun flux aérien et ce parce que la valeur des produits ne les justifie pas. Nous avons tout de même une segmentation de produits assez différente, certains coûtant seulement quelques centaines d’euros la tonne, quand d’autres en coûtent plusieurs milliers d’euros la tonne. Au demeurant, du fait que la relation client d’Imerys est exclusivement BtoB et qu’elle ne s’inscrit pas vraiment dans une logique de leadtime, rien ne nous force à recourir à des flux aériens.

Nous comptons de fait beaucoup de flux maritimes et routiers. En fonction des sites et de leur organisation, le routier peut représenter l’immense majorité de nos flux, tandis que le maritime représente le reste

Nous comptons de fait beaucoup de flux maritimes et routiers. En fonction des sites et de leur organisation, le routier peut représenter l’immense majorité de nos flux, tandis que le maritime représente le reste. Les transports en containers et en bateau vrac (NDLR : les marchandises ne sont pas conditionnées dans des boîtes ou sur des palettes) sont bien plus adaptés à la typologie de nos produits que ne l’est le transport aérien.

Quels sont les enjeux qui entourent cette catégorie d’achat et quels défis en découlent pour vous ?

En matière d’achats de transport, le coût et les délais de livraisons restent nos principaux enjeux, d’autant plus depuis les événements qui se sont déroulés en mer rouge au début de l’année 2024. Les foyers de tensions, de plus en plus nombreux, exacerbés, jouent grandement sur notre manière de conduire nos achats de transports en containers.

Outre ces deux enjeux, la décarbonation de notre transport est devenue un sujet de premier ordre depuis de nombreuses années. Le groupe a de fortes ambitions en la matière et déploie de nombreux moyens pour satisfaire sa trajectoire de décarbonation. Le transport n’y échappe bien évidemment pas.

Imerys est reconnu pour ses ambitions en matière de décarbonation, comment appréhendez-vous ce sujet pour vos achats de transport ?

Notre programme, SustainAgility, intègre de nombreux axes de travail avec un objectif de réduction de 42 % d’émissions de CO2 à horizon 2030. Pour atteindre cet objectif, nous devons travailler à réduire de 25 % nos émissions sur le scope 3. Le transport est évidemment une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. Comme je vous l’expliquais, nous achetons des produits dans certaines contrées lesquels servent nos sites du monde entier. Les transporter génère forcément des émissions importantes de gaz à effet de serre. Il nous faut agir et sortir de notre zone de confort pour réduire notre empreinte carbone à ce niveau. Et c’est un immense défi car il ne s’agit pas simplement de repenser nos achats de transport, mais bien de repenser aussi nos achats de matière première dans le monde entier. C’est comme cela aussi que nous pourrons réduire le nombre de kilomètres parcourus.

Le transport routier demeure notre principal émetteur de carbone. La bonne nouvelle étant que beaucoup d’acteurs du secteur s’imposent des objectifs de réduction de leur empreinte sur leur scope 1 et 2. La pression mise sur l’écosystème par la réglementation nous est favorable.

Nous affichons à terme un objectif : réduire drastiquement la part du transport routier longue distance au profit du rail et des barges

Nous affichons à terme un objectif : réduire drastiquement la part du transport routier longue distance au profit du rail et des barges

Nous affichons à terme un objectif : réduire drastiquement la part du transport routier longue distance au profit du rail et des barges. Miser sur le flux ferroviaire au regard de nos objectifs fait tout à fait sens. Imerys déploie de nombreux moyens pour satisfaire notre trajectoire de décarbonation. Aux États-Unis et dans certaines autres régions du monde où nous opérons, nous recourons à ce type de transport pour déplacer nos matières. Et nous menons actuellement une réflexion pour créer de nouvelles lignes de transport de ce type. Nous travaillons de sorte que notre mix modal inclut davantage de transport ferroviaire et maritime dès que le modèle économique le permet.

Depuis le 1er juillet par exemple, certains minéraux - perlite, bentonite, kaolin - sont transportés vers nos clients par barges du terminal Imerys au port d’Anvers-Bruges.

Et pour vos autres familles d’achats ?

Concernant nos achats de matières premières, nous travaillons essentiellement sur des matières recyclables. Imerys a établi une feuille de route pour le moins stricte. Nous voulons agir en entreprise responsable. Près de 80 % des nouveaux produits développés par Imerys sont évalués comme des solutions de notre label et programme SustainAgility et plus de la moitié de notre portefeuille de produits compris dans notre chiffre d’affaires est évalué sur la base de critères de durabilité.

Nous travaillons également avec des fournisseurs qui s’engagent à réduire leurs propres émissions carbones. Deux de nos partenaires clés, fournisseurs d’alumine, exploitée industriellement pour obtenir de l’aluminium dont la production émet le plus de gaz à effet de serre, ont opéré récemment un changement industriel d’envergure qui implique une méthode de transformation de la matière. Plusieurs étapes du processus nécessitent de faire réagir les composés à hautes températures et ces hautes températures sont atteintes principalement par combustion de fioul. Nos fournisseurs utilisent désormais des procédés qui introduisent du gaz plutôt que du fioul de manière à réduire drastiquement leur empreinte carbone.

Nous avons aussi développé des partenariats avec des aciéries, à qui nous achetons leurs déchets de production notamment pour les intégrer dans certaines de nos productions. Par ailleurs, pour ce qui concerne la catégorie énergie, nous achetons de la biomasse. Cette énergie permet de fabriquer de l’électricité grâce à la chaleur dégagée par la combustion de matières (bois, végétaux, déchets agricoles, ordures ménagères organiques). Cela nous force également à revoir certains de nos outils de production pour qu’ils soient adaptés à ce type d’énergie. Aux États-Unis par exemple, nos fours de calcination qui fonctionnent au gaz ont été adaptés de façon à être alimentés par la combustion de déchets liés à la production de beurre de cacahuètes. Tous les brûleurs d’une de notre usine ont été mis à jour pour utiliser la combustion de coques d’arachide. Cette seule action permettra de réduire de 4 % les émissions carbones du groupe !

Le sujet de l’énergie est aussi pris sous l’angle des Power Purchasing Agreement (PPA), car ils sont pour nous un important moyen de contribuer à réduire notre empreinte CO2. Nous en avons déjà lancé quelques-uns.

Parvenez-vous à instiller de la performance économique ou votre vision dépasse largement cet aspect ?

Sur le transport, recourir à des flottes électrifiées ou qui fonctionnent avec des biocarburants est plus cher

Pour ce qui concerne les PPA, nous profitons de prix relativement stables sur toute la durée de notre contrat, ce qui est appréciable. En revanche, nous devons évidemment absorber des surcoûts, mais nous sommes prêts, lorsque le modèle le permet, à le faire. Le coût de la décarbonation n’est pas neutre et il faut l’accepter. Sur le transport, recourir à des flottes électrifiées ou qui fonctionnent avec des biocarburants est plus cher. S’engager dans des démarches écoresponsables implique bien évidemment de lourds investissements pour les transporteurs, qui doivent s’équiper en conséquence et intégrer également les prix plus élevés des molécules alternatives. À cela s’ajoute un problème de disponibilité, aussi bien sur le transport que sur les matières premières.

Les déchets ont aujourd’hui une valeur sur le marché et c’est une composante à inclure dans nos actions

Je parlais des graines de cacahuètes précédemment, mais c’est un exemple parmi tant d’autres. Nous achetons en France des silures de bois et cette matière rencontre un franc succès. La concurrence à l’achat est exacerbée, alors qu’il y a quelques années en arrière, des industriels nous contactaient pour qu’on les en débarrasse … Les déchets ont aujourd’hui une valeur sur le marché et c’est une composante à inclure dans nos actions.

Certains de vos transporteurs montrent-ils des signes d’inquiétude quant au coût de ces changements que vous espérez ?

D’ici à 2025, 75 % de nos dépenses seront adressés à des entreprises qui ont souscrit auprès d’EcoVadis. S’Ils ne travaillent pas sur un plan d’actions pour améliorer leur propre empreinte carbone, leur note en sera dégradée. Nous sommes parfaitement conscients des efforts qu’ils doivent consentir et nous sommes prêts, comme je le disais, à faire notre part du chemin en absorbant le surcoût qui doit l’être. Nous ouvrons avec eux des discussions pour savoir comment nous pouvons les aider à développer un plan d’actions écoresponsables. C’est un pari que nous faisons. Nos ambitions et objectifs relèvent également l’exigence que nous avons avec eux.

Il est aujourd’hui difficile de dégager des gains de performance économique. Mais nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre notre marche vers la décarbonation

Il est aujourd’hui difficile de dégager des gains de performance économique. Mais nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre notre marche vers la décarbonation. Des engagements ont été pris et il n’est bien entendu pas question pour le groupe de faire volte-face en niant la réalité du réchauffement de la planète. Ce qu’il faut, c’est aider nos fournisseurs à trouver les bonnes formules pour réduire leur empreinte carbone sans trop y perdre, et à terme, y gagner. Cela peut passer par la formation de partenariats locaux.

Comment vous assurez-vous que vos fournisseurs travaillent dans le même sens que vous ?

Tous nos fournisseurs, transporteurs compris, sont audités par une entreprise externe spécialisée ou par une de nos équipes achats. Une partie de ces audits est évidemment déléguée, mais nous nous imposons d’en conduire un minimum chaque année, d’une part pour s’assurer de la qualité de ces audits.

Du fait de notre activité et cœur de métier, nous sommes confrontés à certains risques réputationnels qu’il nous faut anticiper et couvrir. Nous achetons des minéraux liés à la géologie des sols et certains d’entre eux ne peuvent être trouvés et extraits que dans certaines régions. Nous n’avons donc, comme je l’expliquais, pas le choix de la géographie d’origine du produit. Nous veillons à rester vigilants sur les endroits dans lesquels nos fournisseurs s’approvisionnent. Pour cela, nous essayons de travailler au maximum en direct, afin d’avoir la main.

Nous comptons en ce sens une équipe dédiée qui est chargée d’alerter l’entreprise sur les différentes lois et réglementations en vigueur ou à venir que nous devons respecter en tant que donneur d’ordres. Il faut s’assurer avec qui nous travaillons pour rassurer les autorités et autres.

Quels sont les défis de demain ?

Les défis de demain sont ceux d’aujourd’hui, à savoir comment acheter plus proprement nos minerais, matières premières et notre transport. Les ressources mondiales ne sont pas inépuisables. Si je prends l’exemple de la bauxite, ce minerai n’est comme beaucoup pas disponible à l’infini et s’épuise. Les ressources ne sont pas illimitées et nous ne devons pas l’oublier. L’économie circulaire est un potentiel levier d’action et doit faire partie de l’équation pour ralentir l’extraction de certains minerais. Certains métaux représentent le premier secteur du recyclage et il sera toujours possible de recycler certains métaux à des taux élevés. Beaucoup de progrès ont été faits à ce sujet ces dernières années. Toutefois, une fois qu’ils le sont, la question de leur transport se posera toujours. Un produit qui sera recyclé devra toujours être transporté. Entre en jeu donc encore la composante gaz à effet de serre qui est quasi impossible à sortir de la danse.

Une acheteuse au sein de mon équipe travaille sur cette question et collabore avec nos centres techniques ainsi que nos usines pour savoir comment introduire ces métaux recyclés dans nos produits finis. Car avant de penser à le transporter, faut-il encore que l’on ait la capacité de l’utiliser.

Globalement, les marchés des matières premières se tendent. La demande est bien plus importante que l’offre. Il se dessine donc une hausse des prix, parfois importante et il faudra faire avec.

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