La guerre en Ukraine fait trembler les chaînes d’approvisionnement
Par Mehdi Arhab | Le | Direction ha
Quelques jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, s’est entretenue avec les filières industrielles pour faire un point sur la situation afin d’identifier les besoins de chacune d’elles.
Alors que les angoisses générées par la récente invasion de l’Ukraine par la Russie ne cessent de s’amplifier, Agnès Pannier-Runacher a reçu dans l’après-midi du mercredi 2 mars les comités stratégiques des filières industrielles. Il s’est ensuivi une réunion avec les 19 filières industrielles qui composent le Conseil national de l’industrie. Au fil de ces différents rendez-vous, les filières aéronautique, automobile, agroalimentaire, mine et métallurgie ont remonté bon nombre de leurs interrogations et inquiétudes. Outre le contexte géopolitique volcanique, les sanctions à venir visant l’État russe pourraient effectivement entraîner des pénuries en fournitures essentielles. « La situation est inédite et les questionnements sont légitimes ; en particulier les questionnements des PME et des entreprises de taille intermédiaire qui n’ont pas toujours accès à l’information. Mais nous devons collectivement garder notre sang froid », a notamment déclaré la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Nous regardons les niveaux de stocks disponibles, quels fournisseurs sont susceptibles de se substituer aux courants d’approvisionnement auxquels ces entreprises étaient habituées
La ministre déléguée chargée de l’industrie a affirmé la volonté de l’Etat de soutenir les entreprises qui ne manqueront pas de subir les conséquences du conflit en termes de surcoûts, de difficultés logistiques et de ruptures d’approvisionnement. Un premier recensement est en cours. « Lors de nos échanges, nous avons balayé les possibles conséquences du conflit pour nos entreprises industrielles, au premier chef les sujets d’approvisionnement (…) Sur cette base, nous regardons également quels sont les niveaux de stocks disponibles, quels fournisseurs sont susceptibles de se substituer aux courants d’approvisionnement auxquels ces entreprises étaient habituées », a expliqué Agnès Pannier-Runacher.
Une redéfinition de la géographie du sourcing à venir
Si les importations de gaz russe sont relativement faibles pour la France (17 %) au contraire de nombreux pays d’Europe de l’Est et même de l’Union Européenne, la suspension des livraisons de certains minerais russes et la pénurie de composants produits en zone de guerre pourraient en revanche grandement peser dans certains secteurs stratégiques de l’industrie hexagonale. Un spectre qui presse particulièrement les filières aéronautique et automobile, lesquelles pourraient bien être tenues d’interrompre une partie de leur production.
Une étude menée par le spécialiste de l’information BtoB Dun & Bradstreet a d’ailleurs révélé que 390 entreprises dans le monde s’appuient sur des fournisseurs critiques en Russie, tandis que 210 entreprises ont des fournisseurs critiques en Ukraine. Ainsi, par exemple, Renault devra faire sans ses sources de palladium, nécessaires à la fabrication de pots catalytiques et extraits en grande partie des sols russes. Airbus devra de son côté se priver de ses habituelles importations russes de titane. Bercy reconnait d’ailleurs sur ce point une « attention particulière de la filière aéronautique ».
400 000 entreprises dépendantes de fournisseurs russes
Du reste, la même étude note que près de 400 000 entreprises dans le monde sont fortement dépendantes de fournisseurs russes, ainsi que près de 250 000 le sont avec des fournisseurs ukrainiens. 90 % d’entre elles sont néanmoins basées aux États-Unis. La Chine, le Canada, l’Australie et le Brésil seront aussi en proie à de multiples complications.
Alors que la Russie et l’Ukraine ne représentent respectivement que 1,9 % et 0,3 % de la valeur totale des exportations mondiales de marchandises, ces deux pays restent les plus grands exportateurs mondiaux de certaines matières, comme l’huile de tournesol (59 % des exportations mondiales) et l’acier non allié (36 %). Le blé russe et ukrainien, dont 25 pays sont sous forte dépendance, constitue également une matière en tension. D’autre part, 24 pays restent fortement dépendants du charbon russe, 16 autres le sont sur le gaz et les hydrocarbures et 10 pays le sont sur le pétrole brut.
Philippe Varin missionné
Bercy n’a pas encore évoqué d’aides financières. « Nous ne sommes pas du tout à ce niveau de discussion (…) Avant de parler d’accompagnement, commençons par gérer les sujets de logistiques et d’approvisionnement des matières et de suivi des difficultés que nous pourrions connaître sur des flux d’approvisionnement », avance d’ailleurs une source du ministère chargé de l’industrie.
« Nous avons, je crois, déjà fait la preuve de notre capacité à être aux côtés des entreprises en temps de crise. Nous faisons preuve, cette fois-là̀ encore, de la même écoute, de la même vigilance et de la même disponibilité (…) J’ai demandé́ à Philippe Varin d’étendre le travail qu’il a mené́ depuis six mois sur les métaux critiques et l’approvisionnement en métaux critiques », rassure Agnès Pannier-Runacher.
Elle a par ailleurs rappelé aux différents écosystèmes la nécessité et l’impératif de faire corps. « Je sais pouvoir compter sur nos industriels. Je leur ai demandé également d’être extraordinairement solidaires au sein de chaque filière et entre filières et notamment entre donneurs d’ordre et sous-traitants », a-t-elle affirmé en conclusion de son propos. Une manière de rappeler que cela pourrait bien constituer un support de fer sur lequel les entreprises pourront s’arc-bouter.