Marc Debets : « La souveraineté est une illusion »
Par Guillaume Trecan | Le | Consultant
Le cabinet de conseil By.O Group publie pour la deuxième année consécutive son Baromètre de la souveraineté des entreprises françaises réalisé avec Opinion Way. Il révèle une montée du sentiment de dépendance et une prise en compte croissante de la criticité des approvisionnements.
Lors de la première édition de ce Baromètre réalisée au lendemain de la crise du Covid, les entreprises interrogées affichaient encore malgré tout une confiance assez importante dans leur souveraineté en matière d’approvisionnement. L’indice de souveraineté était alors de 82 %. Mais, entre-temps, les tensions n’ont cessé de se multiplier, en particulier sous l’effet de la guerre en Ukraine et l’indice de souveraineté a chuté de près de 10 points pour atteindre à présent les 74 %. En plus de raisons objectives, cette tendance est aussi le fruit d’une place plus grande du sujet dans l’actualité politique et économique. « Les dirigeants prennent à la fois conscience de la criticité et de leur dépendance », constate Marc Debets, président du cabinet By.O. L’indice de souveraineté qu’il a conçu est en effet le résultat de la combinaison d’un indice de criticité des approvisionnements, en hausse de 16 points à 64 % et d’un indice de dépendance vis-à-vis de l’étranger, en hausse de vingt et un points, à 41 %.
Ce débat sur la dépendance se diffuse au sein de l’économie, notamment auprès des dirigeants des petites entreprises
Preuve que cette question fait tache d’huile dans la société : le ressenti de manque de souveraineté concerne toutes les tailles d’entreprises. « Ce débat sur la dépendance se diffuse au sein de l’économie, notamment auprès des dirigeants des petites entreprises », confirme Marc Debets. De fait, même dans les entreprises de moins de cinquante salariés, la souveraineté à baissé, passant de 82 % à 75 %. Marqués par les ruptures brutales sur certains produits de grande consommation, consécutives à la guerre en Ukraine, le secteur du commerce en particulier découvre sa dépendance. La perception de la criticité des ressources y est passée de 39 % à 69 % en un an et l’indice de dépendance, de 32 % à 52 %.
De par leur taille, les grands groupes restent naturellement les plus exposés. « Plus une entreprise est grande, moins elle est souveraine. C’est normal, elle est très exposée internationalement, sa supply chain est très internationale, elle a beaucoup de composants critiques », explique le président de By.O.
Des solutions déployées dans l’industrie
En détaillant par secteur d’activité, on constate toutefois que l’industrie affiche une relative confiance dans la maîtrise de ses approvisionnements, avec un indice de souveraineté de 81 % contre 74 % précédemment. Cette amélioration résulte d’une baisse de l’indice de dépendance vis-à-vis de l’étranger passé de 31 % à 45 %. « Les industriels, notamment sur les matières premières et les composants, ont été dans les premiers touchés », rappelle Marc Debets, qui estime qu’ils ont su se mobiliser : « ils ont pris des mesures pour pallier ces dépendances et ils ont le sentiment d’être un peu plus en maîtrise. »
Dans un monde d’interdépendance, la question est de savoir comment manager les interdépendances et c’est là que la fonction achats a un rôle hyper important
La place de choix qu’occupent les Achats dans l’industrie n’est sans doute par pour rien dans ce sentiment de maîtrise un peu plus grand. « La souveraineté est une illusion. Dans un monde d’interdépendance, la question est de savoir comment manager les interdépendances et c’est là que la fonction achats a un rôle hyper important », martèle le patron du cabinet By.O. Il se réjouit d’ailleurs de constater que « les recrutements en Achats font partie des rares qui n’ont pas été gelés ».
Dans la palette des solutions déployés, la relocalisation n’est pas encore une tendance de fond. « Il n’y a pas de mouvement massif de relocalisation », regrette Marc Debets. Pour 90 % des répondants, ce n’est pas à l’ordre du jour… même pas un frémissement par rapport à 2021 où cette réponse était celle de 91 % du panel.
Des tensions sur la R&D et les équipements
La dépendance des entreprises s’est accrue en particulier sur deux catégories : les ressources de R&D et les biens d’équipement. « Dans notre précédent baromètre, post sortie du Covid, les entreprises n’avaient pas encore repris leurs investissements d’avenir, des investissements qui demandent de la R&D et des biens d’équipement pour produire » Interrogés à l’automne 2022, beaucoup d’entreprises avaient relancé leurs investissements dans leur appareil de production, d’où le sentiment de dépendance très marqué qu’elles affirment ressentir, en particulier dans leurs achats de R&D, avec un indice de souveraineté passé de 95 % à 75 % et dans leurs achats de biens d’équipement et de production 77 % contre 90 %.
Il est en revanche une catégorie critique sur lequel la prise de conscience des questions de souveraineté souffre de dangereux retards, c’est celle de la data. Seules 45 % des entreprises reconnaissent un caractère de criticité à leurs données et pas plus de 20 % se sentent dépendantes de l’étranger. « Aujourd’hui, des entreprises qui réalisent 10 %, 20 %, voire 30 % de leur chiffre d’affaires qui dépend de plateformes e-commerce dont ils n’ont pas clefs », s’alarme Marc Debets.
Autre signal préoccupant dans un contexte de tensions croissantes entre les Etats-Unis et la Chine, l’Europe n’apport pas pour autant un sentiment de sécurité parfait pour le sourcing. Les entreprises interrogées s’affichent dépendantes de pays européens à 58 %, contre 47 % l’an dernier. « Autrefois, l’étranger risqué c’était hors Europe et aujourd’hui même l’Europe est considérée comme un territoire de sourcing et de production sur lequel les choses peuvent être compliquées », admet Marc Debts. Le Brexit et la guerre en Ukraine sont en effet passés par là.
Un panel représentatif de la structure économique des entreprises françaises
504 directeurs de production, directeurs achats, DG, DAF ont été interrogés du 17 septembre au 26 octobre 2022. Un échantillon représentatif de l’économie française, avec seulement 15 % d’entreprises réalisant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires. « Notre volonté était de comprendre quel est le fond de pensée des dirigeants économiques, d’avoir une vision profonde du tissu économique et pas seulement l’avis de décideurs économiques et de grands groupes », précise Marc Debets.