Pour en finir avec les retards de paiement excessifs, l’exécutif mise sur le name and shame
Par Mehdi Arhab | Le | Éthique et conformité
Lors de la dixième édition des Assises des délais de paiement, le gouvernement, par la voix d’Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, a annoncé qu’il allait renforcer ses sanctions à l’égard des mauvais payeurs. L’objectif affiché : en finir avec les comportements déviants.
En introduction des Assises des délais de paiement, qui se tenaient au sein de l’auditorium de la Banque de France (Paris), le 9 novembre dernier, pour la dixième fois, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a dénoncé avec vigueur les manquements de certains acteurs économiques en matière de décaissement. Ce dernier n’y est pas allé par quatre chemins, au risque de ne pas se faire que des amis.
« La situation économique conjoncturelle, qui dans un ralentissement général incontestable, ne justifie en rien, et je le répète, en rien, que certaines entreprises s’imaginent en droit de dégrader leurs comportements de paiement au détriment de leurs partenaires commerciaux. Il n’y a pas d’alerte globale sur la trésorerie des entreprises qui justifie une telle attitude. Et ce que je viens de dire vaut en particulier pour les grandes entreprises. Malheureusement, et tout le monde le sait, elles paient moins bien que les petites et moyennes entreprises », a-t-il asséné.
Une manière de poser le cadre, mais de rappeler également une réalité : celle qu’il a énoncé. Cela d’autant qu’il a fait état d’une « diminution des difficultés d’approvisionnement », d’un « maintien en moyenne des marges » et de « niveaux de trésorerie observés plutôt satisfaisants ».
Pourtant, avec 12 jours de retard en moyenne, les entreprises françaises conservent des pratiques de qualité. De quoi leur permettre de se positionner comme l’un des bons élèves du continent européen, bien loin toutefois des entreprises allemandes, néerlandaises et belges qui les distancent très largement. Comme souvent, ce sont les PME qui sont les plus vertueuses quand il s’agit de rétribuer leurs fournisseurs en temps et en heure, tandis que les grands noms de l’économie française sont bien moins prompts à le faire. Pour rappel, l’écrasante majorité des entreprises en retard de paiement sont en réalité bel et bien solvables. « Une société bien portante qui viendrait à décaler ses paiements fournisseurs pour gagner de la trésorerie, c’est de la délinquance financière », a lâché Nicolas Flouriou, président de l’AFDCC. Et s’il peut exister quelques tensions individuelles sur les trésoreries, ce qui peut bien évidemment arriver, François Villeroy de Galhau a tenu de son côté à rappeler qu’il y avait « bien d’autres manières de la traiter ».
Gilles Lambert, product manager d’Altares, a d’ailleurs témoigné du fait que les grandes entreprises mettaient en moyenne 6 jours de plus que les petites entreprises à payer leurs fournisseurs. Pour la Figec et l’AFDCC, co-organisateurs de l’événement, les entreprises qui ne respectent pas les délais légaux sont généralement coupables de petits calculs stratégiques ou alors victime de leur mauvaise organisation interne. « Ce n’est pas un problème de trésorerie, mais un problème de désorganisation comptable », a confirmé Nicolas Flouriou. Au-delà de l’indécence, réelle ou supposée, des grands donneurs d’ordre, de leur appréhension légère du principe de coresponsabilité aussi, il existe donc des raisons objectives aux comportements déviants des grands groupes. Mais leur trésorerie, le plus souvent, n’en est (définitivement) pas une.
Les années passent et se ressemblent
Si, comme l’indique le gouverneur de la Banque de France, 45 % des grandes entreprises payent aujourd’hui leurs tiers fournisseurs dans les temps, contre 40 % seulement en 2021, bon nombre de société de petite taille et de taille moyenne subissent de leur côté de plein fouet un manque de trésorerie criant. Les mauvais comportements en matière de paiement ont privé cette année les PME de plus de 15 milliards d’euros de trésorerie. À titre de comparaison, ces dernières années, ce niveau de flux était estimé à 12 milliards d’euros … Sur la somme cumulée, les grandes entreprises pourraient, si elles se mettaient en ordre de marche, apporter près de 10 milliards d’euros à leurs partenaires de plus petite taille.
Ces retards sont des comportements nocifs, irresponsables pour toute notre économie. Il est de notre devoir de les dénoncer
« Ces retards sont des comportements nocifs, irresponsables pour toute notre économie. Il est de notre devoir de les dénoncer », a clamé de son côté Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Elle regrettait déjà l’an dernier que « certains acteurs se prêtent à un jeu dangereux ». Et depuis un an et même, de nombreuses années en réalité, ces acteurs ne semblent pas tous avoir compris de quoi il était question. Et qu’importe pour eux s’ils dégradent de façon trop importante leurs relations de travail avec les PME qui les servent. « Elles sont, comme trop souvent, les plus pénalisées par ces mauvais comportements. Elles sont les premières à payer et les dernières à l’être », a regretté la ministre. « Les fournisseurs n’ont pas à pâtir du fonctionnement des donneurs d’ordre », a appuyé de son côté Virginie Beaumeunier, nouvelle présidente de l’Observatoire des délais de paiement.
L’année dernière, lors des l’édition nationale des Assises qui se déroulaient à la même période, Charles Battista, président de la Figec, martelait pourtant qu’en France « les retards de paiement accélèrent de 25 % les faillites d’entreprises ». Une manière de rappeler que, dans les cas les plus graves, des comportements excessifs peuvent conduire au pire pour des entreprises viables. Un cri d’alarme qui, un an plus tard, n’a que trop peu été entendu, malheureusement.
Le pratique du name and shame renforcée
Il n’y a aucune raison à ce que les cotations financières soient maintenues à des niveaux artificiellement élevés par des délais fournisseurs exagérés.
Il en va pourtant de l’intérêt général économique d’accélérer la diffusion de bonnes pratiques en matière de paiement. Depuis l’année dernière, la Banque de France n’hésite plus à dégrader la cotation financière des grandes entreprises et ETI aux comportements de paiement jugés déplorables. « Il n’y a aucune raison à ce que les cotations financières soient maintenues à des niveaux artificiellement élevés par des délais fournisseurs exagérés. Nous rétablissons ainsi une forme de vérité financière », a défendu le gouverneur de la Banque de France. Sur les 5 000 entreprises les plus importantes et solides du pays, la Banque de France a procédé à quelque 635 dégradations. En outre, depuis dix ans, pas moins de 1 800 amendes administratives pour non-respect des délais légaux de paiement ont été notifiées aux professionnels par la DGCCRF, pour un montant total de 140 millions d’euros. Au premier semestre 2023, 224 procédures ont été infligées dans le cadre de contrôles des délais de paiement menés en 2022, pour un total correspondant à 30 millions d’euros d’amendes.
Cependant, de l’avis de la ministre, la sanction financière n’est pas vraiment des plus efficaces sur les grandes entreprises qui ont de la trésorerie. Pour tenter d’en finir avec les mauvaises pratiques en matière de paiement, la puissance publique a donc décidé d’agiter une autre menace : celle du name and shame. En désignant publiquement les groupes qui agissent de manière fautive, l’État espère bien changer la donne. « La sanction financière c’est embêtant, mais quand une entreprise jouit d’une trésorerie bien remplie, ce n’est pas suffisant », a exposé Olivia Grégoire. Pour cette dernière, c’est en mettant la lumière sur les mauvais payeurs et en agissant durablement sur leur image et leur réputation que la tendance s’inversera durablement.
En plus de la publication sur le site de la DGCCRF des noms des entreprises et du montant des amendes qui leur ont été infligées - prévue depuis la loi Pacte de 2019 -, l’exécutif veille désormais à ce que les mêmes éléments soient publiés sur le site du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc). Un bandeau sur le site internet des entreprises prises la main dans le sac apparaîtra également. À voir si les choses changeront également de façon pérenne à la suite d’une proposition de règlement émise par la Commission européenne qui introduit un délai de paiement maximal unique de 30 jours pour toutes les transactions commerciales en UE, y compris les transactions B2B et les transactions entre les pouvoirs publics et les entreprises.
Mais comme l’ont rappelé certains, la suppression des dérogations sur les délais de paiement risque d’entraîner une vague de défaillances sans commune mesure …