Les délais de paiement occupent toujours plus les esprits des institutionnels
Par Mehdi Arhab | Le | Éthique et conformité
La neuvième édition des assises des délais de paiement a réuni, le 10 novembre dernier au siège du Medef, divers acteurs du secteur privé et public, afin d’apporter des réponses concrètes aux grands enjeux du moment des acteurs économiques. Ils en ont profité pour dresser un état des lieux des comportements en la matière.
Face à une conjoncture économique capricieuse, induite par la crise sanitaire, les tensions sur la supply chain, la hausse des coûts des matières premières et de l’énergie, certaines entreprises ont été tentées lors de la pandémie de se servir des délais de paiement comme une variable d’ajustement pour préserver leur trésorerie. Certains grands groupes notamment ; une impression de déjà-vu finalement, ou presque, qui rappelle quelques mauvais souvenirs. « Une situation hallucinante » pour Pierre Pelouzet, le médiateur des entreprises et ancien patron des achats de la SNCF.
Comme souvent, ce sont les PME qui se distinguent et sont les plus vertueuses dans leurs comportements de paiement, tandis que les mastodontes de l’économie française y attachent moins d’importance. Cela alors que, selon la Figec et l’AFDCC, neuf entreprises sur dix en retard de paiement sont solvables. Un chiffre qui interpelle, d’autant que « les retards de paiement accélèrent de 25 % les faillites d’entreprises », assure Charles Battista, président de la Figec. Une preuve aussi peut-être que l’immense majorité d’entre-elles ne respecte pas les délais légaux par simple calcul stratégique ou par faute d’une mauvaise organisation interne. « Il faut être vigilants pour ce qui est des grandes structures. Les délais de paiement sont plus longs les concernant. Or, il n’y a pas de sujet de trésorerie, sauf quelques petites exceptions », insiste Nicolas Flouriou, président de l’AFDCC. La réussite de la reprise économique des entreprises françaises passera pourtant par la consolidation de leur trésorerie et notamment le respect des délais de paiement.
« Une cause nationale »
Néanmoins, il n’est pas non plus question de faire montre d’un alarmisme exacerbé. L’Observatoire des délais de paiement et Altares avaient constaté une baisse notable du délai moyen de paiement ; avec un retard d’un peu plus de 11 jours en moyenne. Un niveau conséquent en comparaison des voisins bataves et allemands (5 et 6 jours en moyenne respectivement), mais sensiblement identique à celui de la période avant Covid. Une situation au demeurant rassurante, tout de même, qui s’explique notamment par « l’impact des mesures de soutien public prises pour accompagner les entreprises », complète Jeanne-Marie Prost, présidente de l’Observatoire des délais de paiement.
À cela s’ajoute la bonne santé au global des PME du pays, dont « la croissance du chiffre d’affaires est supérieure à 10 % », rappelle Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, invitée d’honneur de cette matinale. Pour cette dernière, la question des délais de paiement constitue « une cause nationale » et un sujet de la plus haute importance pour les pouvoirs publics, dont le problème de fond est bien plus structurel que conjoncturel.
Si les choses venaient à déraper, le Politique prendrait ses responsabilités. La loi reste une arme
Regrettant que « certains acteurs se prêtent encore à un jeu dangereux », elle se veut malgré tout rassurante. « Je ne suis pas là pour dire que cela va mieux, mais plutôt que cela avance lentement. Les délais de paiements sont un thermomètre de notre économie et les retards sont un véritable fléau pour nos petites entreprises. Dans les cas les plus graves, les délais de paiement excessifs et non maîtrisés peuvent conduire à la défaillance d’entreprises pourtant viables. Les grands donneurs d’ordres ont encore trop souvent des comportements irresponsables à l’endroit de la chaîne de valeur. Mais ne doutez pas que, si les choses venaient à déraper, le Politique prendrait ses responsabilités. La loi reste une arme ». Pour rappel, le délai de paiement est fixé au 30ème jour suivant la réception des produits ou l’exécution de la prestation. Mais ce délai peut aller au-delà des 30 jours, sans dépasser 60 jours à partir de la facturation.
Une histoire de process … ou de mauvaise volonté
Gilles Lambert, product manager d’Altares, confirme, lui aussi, la corrélation entre la taille des entreprises et les délais de paiement est bien connue. Et au-delà des considérations de certains sur leur supposée indécence, il existe également des raisons objectives aux comportements des grands groupes. « La complexité des SI des grandes entreprises et de leur fonctionnement administratif est un facteur qui peut expliquer leurs retards de paiement. Une facture incorrectement libellée générera indubitablement des retards de paiement », décrit-il.
Des raisons objectives certes, qui ne doivent néanmoins pas faire oublier l’essentiel : le fait de contenir les problématiques liées aux délais de paiement constitue un enjeu de premier ordre en temps de crise et une partie de la réponse demeure dans la main des grands groupes. L’année 2022 et celle qui suit obligent en effet les acteurs économiques à faire face à des défis majeurs, les obligeant à repenser l’ensemble de leur activité ainsi que leur organisation et leurs relations avec leurs tiers fournisseurs.
Un manque à gagner gigantesque et des relations à consolider
Il n’y a pas de survie et d’avenir des grandes entreprises sans les PME. La collaboration entre celles-ci et les grands groupes est capitale
D’ailleurs, selon une simulation de l’Observatoire des délais de paiement, si les entreprises étaient ordonnées au mieux en matière de délais de paiement, les PME récupéreraient pas moins 12 Milliards d’euros de trésorerie et les ETI quelque 4 milliards d’euros. Sur la somme cumulée, les grandes entreprises apporteraient près de 9 milliards d’euros à leurs partenaires de plus petite taille. Or, la réalité est tout autre et les impayés ont une nouvelle fois dépassé les 50 milliards d’euros. Des chiffres qui doivent attirer l’attention sur l’importance d’avoir des relations client-fournisseurs - plus particulièrement grands groupes/PME - équilibrées et fluides. « Il n’y a pas de survie et d’avenir des grandes entreprises sans les PME. La collaboration entre celles-ci et les grands groupes est capitale », clame Philippe Luscan, président de Pacte PME.
Des outils, tels que l’affacturage inversé, promu par la Médiation des entreprises, offrent aux donneurs d’ordres un moyen de soutenir la trésorerie de leurs fournisseurs. Ce dispositif leur permet de leur faire bénéficier d’un paiement anticipé de leur facture à un taux faible. S’il constitue l’un des moyens permettant de résister à la crise, il peine encore à décoller, suscitant les craintes de certains fournisseurs, qui redoutent l’image qu’ils renverraient auprès du donneur d’ordres et des banques. Néanmoins, depuis quelques années, le recours à cette solution augmente.
« Le nombre de fournisseurs qui s’intègrent dans ces programmes croît de 30 % », se félicite Céline Ansquer, directrice générale de BNP Paribas factoring. En outre, à l’heure où la France s’apprête à déployer la facturation électronique, les résultats italiens paraissent décevants. La problématique des retards de paiement freine l’effort de dématérialisation déployé́ dans la Botte, où l’obligation d’échange des factures sous format électronique concerne l’ensemble des entreprises et est effective depuis le 1er janvier 2019.