Baromètre de la souveraineté : encore du chemin à parcourir pour réduire les niveaux de dépendance
Par Mehdi Arhab | Le | Consultant
Dans son Baromètre annuel sur la souveraineté des entreprises françaises, établi avec OpinionWay, le cabinet de conseil By.O Group révèle que près d’une grande entreprise sur deux estime ne pas être souveraine. Leurs niveaux de dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers augmentent de fait et il est pour elles impératif de bien décortiquer leur chaîne de valeur et de diversifier leurs sources d’approvisionnement pour réduire leurs risques. Des projets de relocalisation sont à l’étude, mais concernent avant tout l’Europe proche et non la France directement.
Comme l’affirmait Marc Debets l’année dernière déjà, « la souveraineté n’est qu’une illusion ». Et difficile de lui donner tort à la lumière des résultats du baromètre porté par By. O Group, le cabinet de conseil achats qu’il dirige, et réalisé par Opinion Way. Si un peu plus de 80 % des 506 entreprises françaises interrogées jugent être souveraines, les plus grandes voient leur niveau de souveraineté nettement chuter. « L’interdépendance est la réalité et elle s’affirme. Les grands groupes le disent, ils se sentent de plus en plus dépendants et de moins en moins souverains », commente Marc Debets. Un peu plus, seulement, d’une grande entreprise française sur deux se dit souveraine, soit moins qu’en 2021 et 2022. In fine, plus les entreprises sont grandes et plus le concept de souveraineté économique semble perdre en sens. Signe, sans doute, que la mondialisation a encore de beaux restes, pour le meilleur et pour le pire.
La trajectoire suivie par les petites et moyennes entreprises françaises est toutefois bien différente donc, laissant entrevoir un certain regain. Mais il n’est, peut-être, qu’une illusion là encore, d’autant que neuf entreprises sur dix assurent ne pas envisager de relocaliser une partie de leur activité. Néanmoins, si les petites et moyennes entreprises françaises estiment regagner en souveraineté c’est avant tout parce que leur degré d’exposition vis-à-vis des ressources venues hors de l’Hexagone est en net recul. À l’inverse, le sentiment des grandes entreprises s’explique justement du fait de leur dépendance vis-à-vis de l’étranger. Elles sont pas moins de 57 % à avouer leur dépendance sur les ressources venues de l’étranger, contre 45 % en 2021.
Le monde s’est très largement complexifié. L’intensité de risques liés aux business internationaux ne fait que s’accroître
Elles sont même 75 % à déclarer être dépendantes des ressources installées et puisées hors des frontières européennes. « Leurs supply chain n’ont pas changé, en revanche, le monde s’est très largement complexifié. L’intensité de risques liés aux business internationaux ne fait que s’accroître », explique Marc Debets. Elles n’étaient que 44 % en 2021 et 36 % en 2022 à assurer être dans ce cas. Les entreprises de taille intermédiaire suivent le même chemin, puisqu’elles sont aujourd’hui 54 % à décrire des situations de dépendance de ce type, contre seulement 8 % en 2021.
Le secteur industriel en position de dépendance
Les grandes entreprises veulent rester maîtres de leur destin, sans perdre de compétitivité, ou du moins, de manière trop importante. Elles sont à la recherche d’un nouvel équilibre
Cette dépendance, pour beaucoup d’entreprises, constitue un véritable frein à la croissance et au développement de leurs activités. En effet, 32 % des entreprises françaises interrogées affirment que leur dépendance envers l’étranger affecte leur croissance. Chez les grandes entreprises, le taux grimpe à … 100 %. « Les grandes entreprises veulent rester maîtres de leur destin, sans perdre de compétitivité, ou du moins, de manière trop importante. Elles sont à la recherche d’un nouvel équilibre et interrogent leurs supply chain à l’aune de la notion de la souveraineté, mais aussi de la durabilité ». Elles sont 71 % à s’inquiéter des effets des situations de dépendances sur leur attractivité, un taux qui s’élève en moyenne à 26 % seulement. Le sujet de la dépendance est donc avant tout celui des grandes entreprises et, plus particulièrement, des entreprises du secteur industriel. Leur indice de souveraineté a d’ailleurs baissé de six points, s’établissant à 75 % contre 81 % en 2022.
L’Europe de l’Est constitue une sorte d’intermédiaire, en termes de coûts et de risques. Elle est une zone sécurisante pour les grandes entreprises
Pour elles, la relocalisation devient non pas un vœu pieu, mais bien un impératif. Le mouvement n’est pas massif, mais il a le mérite d’exister et il pointe peu à peu le bout de son nez. Elles sont 28 % à avoir engagé une démarche en la matière (contre 3 % en 2022) et 43 % assurent y réfléchir. « C’est un changement fort. La courbe s’inverse petit à petit », note Marc Debets. Un taux qui dégringole (très) significativement si l’on prend l’ensemble des répondants, s’établissant à seulement 5 %. Preuve, évidemment, que le sujet ne revêt pas la même importance selon la taille de l’entreprise. Par ailleurs, il est important de noter que ces projets de relocalisation d’éléments les plus critiques concernent avant tout l’Europe et non la France directement ; les freins étant nombreux, comme le coût de la main d’œuvre. « L’Europe de l’Est constitue une sorte d’intermédiaire, en termes de coûts et de risques. Elle est une zone sécurisante pour les grandes entreprises », expose Marc Debets. La compétitivité prix est donc évidemment un obstacle à ne pas négliger. Pourtant, il faudra peut-être bien l’accepter certaines fois, tant l’accès aux matières premières, aux biens nécessaires à la production ou encore à la R&D à l’étranger n’est pas toujours simple et représentent pour les (grandes) entreprises de véritables sources d’inquiétude.
En effet, la totalité des grandes entreprises françaises interrogées considèrent que les matières premières sont un enjeu important, soit deux fois plus qu’en 2021. Pour ce qui est de l’accès à la R&D, elles sont 57 %, contre 30 % précédemment, à juger qu’elle est un enjeu de premier ordre. Même chose pour ce qui a trait aux approvisionnements de biens et de produits semi-finis (87 % contre 57 % précédemment). Pour elles, le plus important réside dans le fait de mieux comprendre leurs filières et de pousser dans le sens de l’innovation au sein leur chaîne de valeur pour désensibiliser certaines dépendances. Et le rôle des Achats ici n’est pas des moindres. « Les directions des achats sont les mieux placées pour gérer les fournisseurs. Néanmoins, elles doivent encore monter en cadence s’agissant de leur niveau de connaissance sur l’ensemble de la chaîne de valeur, les concurrents à l’achats… Elles n’ont pas encore développé de stratégies filières plus robustes », analyse Marc Debets.
Les problèmes liés aux énergies n’arrangent rien
À tout ces constats viennent se greffer les effets de la tendance haussière qui frappent les cours de l’énergie. Pas moins de sept entreprises sur dix estiment que la crise énergétique va bouleverser encore leur coût de fonctionnement ou leur capacité à assurer la production. Là encore, ce sont les grandes entreprises qui se montrent les moins confiantes, puisque quatre entreprises de ce type sur dix qui ont été interrogées estiment que cela nuira à ces deux aspects. Un autre sujet se révèle être un élément critique, pouvant menacer la capacité de croissance des entreprises : la data. Au moins une entreprise sur deux considère le sujet comme étant majeur. Pour autant, alors que peu d’acteurs français ou européens s’affirment sur le secteur des données, une entreprise française sur six estime être en situation de dépendance. Un décalage qui interroge, évidemment et qui montre que les sociétés françaises ne sont peut-être pas encore assez attentives sur la criticité de cet élément.