Inclusion : des achats qui intéressent les directions générales
Par Guillaume Trecan | Le | Ha inclusif
Né au lendemain du mouvement des gilets jaunes autour de quelques grands groupes français, le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive a organisé son premier Forum des achats inclusifs, le 3 octobre au siège du groupe Accor. Un événement qui a permis de mettre en relation 56 entreprises d’insertion, des directeurs achats et de voir témoigner leurs directeurs généraux.
Baptisé un temps Collectif des 35, le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive regroupe aujourd’hui 40 entreprises qui emploient 1,5 million d’emplois directs et réalisent pas moins de 100 milliards d’euros d’achats.
Parmi ses initiatives, le Collectif a premièrement mis à son programme des actions en faveur de l’insertion professionnelle avec en 2018, l’objectif d’augmenter de 30 % le nombre d’apprentis dans les effectifs de ses membres. Objectif atteint. L’effort est maintenant tourné vers le mentorat. Deuxième catégorie d’actions : le développement de produits ou services accessibles à toutes les bourses pour contribuer à la lutte pour le pouvoir d’achat. En troisième catégorie viennent les Achats utilisés comme levier pour « faire émerger de nouveaux acteurs : à la fois servir les PME sur les territoires, servir aussi les acteurs de l’économie sociale et inclusive qui ont eux-mêmes un rôle d’insertion massif », explique Sophie Boissard DG de Korian et co-présidente du Collectif avec Thomas Buberl, DG d’AXA.
Sponsor, processus adaptés, outils de mesure
Un Collectif dont les deux co-sponsors du groupe sur les Achats sont le président du groupe Accor, Sébastien Bazin et le PDG de Transdev, Thierry Mallet, qui rappelle l’objectif du Collectif : « avoir un impact soit au niveau de nos achats, directement, soit à travers ceux de nos fournisseurs. » Pour cela, quelques règles basiques ont été établies comme par exemple avoir un sponsor sur les achats inclusifs dans chaque comex, s’interroger sur le recours au secteur de l’inclusion à l’occasion de chaque appel d’offres, simplifier les procédures en faveur des entreprises inclusives, ou encore mettre en place des outils de mesure. Des règles de fond pour une action qui prend nécessairement du temps. « Passer à l’achat inclusif cela se fait forcément sur le long terme », rappelle Thierry Mallet.
Ce qui n’empêche pas de vouloir faire du business tout de suite, d’où l’idée de ce forum auquel participaient 56 entreprises du secteur de l’inclusion.
Engie : un potentiel de 14 milliards d’euros d’achats
« Nous avons un levier de 14 milliards d’achats », rappelle la directrice générale d’Engie, Catherine Mc Greggor. Un volume d’achats qui laisse à la directrice des achats, Aurélia Tremblaye, la place pour « allier performance sociale, performance opérationnelle et performance économique. » « L’objectif est de segmenter notre portefeuille d’achats pour savoir comment et où, avec des acteurs crédibles, nous pouvons continuer à améliorer notre feuille de route achats inclusifs », poursuit Aurélia Tremblaye (voir son interview ci-dessous).
L’axe RH privilégié chez Adecco Group
L’axe achats n’est pas forcément aussi massif pour tous. Ainsi pour Alexandre Viros, le DG d’Adecco Group, la dimension RH est jusqu’ici privilégiée. Le groupe fonctionne avec 120 agences d’insertion, qui accompagnent des personnes éloignées de l’emploi, issues des quartiers prioritaires de la ville, atteintes d’un handicap, ou sous main de justice. Une entreprise à la démarche pragmatique, mais qui confesse pour l’heure un objectif pour l’heure très modeste : 1 % des achats inclusifs. Un objectif très faible, mais intégré dans la mission des acheteurs.
Transdev : 8 % d’un milliard d’euros d’achats
Chez Transdev, 8 % du milliard d’euros d’achats sont dédiés aux achats inclusifs. « Une grande partie est liée au choix de travailler avec des partenaires dans des quartiers politique de la ville ou dans des zones rurales à revitaliser. » Une dimension de fracture territoriale particulièrement chère au DG, qui rappelle que c’était un des points sensibles mis en avant par les gilets jaunes. « Nous avons un enjeu d’avoir un territoire français fort partout », explique-t-il.
Accor : des achats inclusifs partout dans le monde et locaux
Chez Accor, c’est également partout dans le monde que s’envisage la démarche achats inclusifs. Le groupe organise d’ailleurs un forum dédié aux fournisseurs d’insertion à San Francisco en novembre. Avec néanmoins des actions foncièrement locales, par exemple avec les grossistes alimentaires Pomona et Promus pour développer des achats locaux, dans un rayon de 40 kilomètres autour des hôtels. Dans le groupe hôtelier les achats inclusifs passent aussi par une attention particulière aux conditions de travail des prestataires de services. Pour éviter une pression trop forte sur les agents d’entretien, les prestations de ménages ne sont par exemple plus payés à la chambre, mais à l’heure, avec pointeuse.
AXA : l’importance du sponsoring de haut-niveau
Chez Axa, le directeur achats France, Pascal Pelon, rappelle tout l’intérêt de cette démarche du Collectif qui fixe le sujet des achats inclusifs au plus haut niveau de l’entreprise. « Cela fait des années que nous travaillons le sujet, mais nous avons beaucoup de mal à les faire avancer », regrette-t-il. Parmi les obstacles qu’a dû franchir la direction achats, le choc des temporalités entre direction informatique et services du travail protégé et adapté (STPA). « Le temps de la direction informatique est un temps court. Ils ont besoin de ressources tout de suite, tout le temps, les meilleurs du marché … Mais le temps des entreprises adaptées est un temps long », explique le directeur achats France. D’où l’idée de créer une pépinière de talents avec une entreprise adaptée, qui peuvent être disponibles pour des missions de sous-traitance au sein du groupe, voire être recrutés.
Engie : « Nous devons interroger le terrain pour comprendre quels sont ces obstacles et les lever »
Quel est l’enjeu des achats inclusifs Chez Engie
Aurélia Tremblaye : La solidarité et la responsabilité sont des valeurs qui découlent de la raison d’être d’Engie et sont traduites dans notre politique achats. Jusqu’ici nous avions une approche achats inclusifs par projet, nous avons défini une politique groupe, afin mettre en place des lignes directrices pour industrialiser notre approche. Nous travaillons maintenant sur un plan d’action.
Quel est la mission du poste de responsable des achats durables qui vient d’être créé et vous a été fixé ?
Tanguy Moulin Fournier : Ma mission comporte deux axes : la décarbonation des achats et les achats inclusifs. Je joue un rôle d’animateur sur ces sujets. Mais, in fine, ce sont les acheteurs sur le terrain qui font avancer les choses, puisque ce sont eux qui connaissent leur catégorie, leurs fournisseurs. Leur motivation en matière d’achats inclusifs est déjà très poussée, mais il nous reste à identifier les obstacles qui empêchent encore les chiffres d’être à la hauteur de leur engagement.
Avez-vous déjà une idée de la nature de ces obstacles ?
TMF : Pour avancer sur ce sujet, nous devons interroger le terrain pour comprendre quels sont ces obstacles et les lever. Les processus sont plus complets, cela demande plus de temps, plus de suivi…
AT : Notre capacité de sourcing est un élément important pour aller plus loin. Nous devons savoir quel type de société aborder et comment nous pouvons aider à les développer. Nous devons comprendre ce qu’ils attendent de nous en tant que grand donneur d’ordres.
Sur quels indicateurs chiffrés allez-vous mesurer vos progrès en matière d’achats inclusifs ?
TMF : Je ne pense pas que le pourcentage de dépenses soit le bon indicateur. C’est un indicateur intéressant d’un point de vue achats, mais un indicateur pertinent porterait plutôt sur l’impact en nombre d’emplois. Cet indicateur pourrait être spécifié par typologies d’emploi, en fonction des différentes catégories de l’insertion. Un projet d’achat inclusif c’est du sur-mesure. Et c’est précisément ce qui peut rendre ce sujet passionnant pour un acheteur qui connait bien sa catégorie.
Avez-vous identifié des prestations qui pourraient être confiées plus volontiers au secteur de l’inclusion ?
TMF : Nous avons signé un accord avec le groupement Gesat qui regroupe 2 500 Esat et EA et apporte des services aux acheteurs : accès à leur plateforme pour sourcer ou déposer des appels d’offres, réunions de networking en région. Cet accord ouvre ces prestations à l’intégralité des entités Engie en France. Nous allons inciter nos entités à utiliser ces services de bases. Si ensuite, elles veulent aller plus loin - faire un audit de leur organisation, bénéficier de journées de formation, etc. - elle demanderont une prestation supplémentaire via des conventions ad hoc avec le réseau Gesat, ce qui est le cas pour les deux-tiers de nos entités.
Dans le cadre de la construction de notre nouveau siège, le Campus, à La Garenne Colombes, nous avons également demandé au réseau Gesat, aidé par l’agence de conseil Les Petites Rivières, de passer en revue l’intégralité des marchés que nous allons conclure entre fin 2023 et 2024 pour la vie du siège. Pour chacun d’entre eux, ils doivent nous indiquer quelle ambition raisonnable de recours aux entreprises de l’ESS nous pouvons nous fixer. Ils vont définir un pourcentage et un panel fournisseur accessible à proximité du siège.