Il y a loin de la (re)localisation industrielle à la (re)localisation d’achats
Par Guillaume Trecan | Le | Ha inclusif
A l’occasion du colloque Re-localiser, la ministre déléguée chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, a présenté une nouvelle liste de projets de relocalisation soutenus par l’Etat. L’occasion de faire le point sur les enjeux de souveraineté industrielle et leur incidence sur les chaines d’approvisionnement.
Conformément à la stratégie définie par le gouvernement, les 58 nouveaux projets lauréats des appels à projet de relocalisation - ou plutôt localisation - de productions ciblent des secteurs critiques : santé, électronique, agroalimentaire, intrants industriels (chimie, matières premières, métaux) et 5G. Ces nouveaux lauréats concentrent 320 millions d’euros d’investissements et portent à 624 le nombre de projets accompagnés dans le cadre du plan France Relance.
En présentant ces projets dans le cadre du colloque Re-localiser, Agnès Pannier-Runacher a rappelé l’objectif affiché par le gouvernement dans cette politique de soutien à l’offre : « réparer l’erreur historique du laisser-faire français en matière de délocalisation ». Une dérive qui s’est soldée par plus d’un million d’emplois détruits dans l’industrie entre 2000 et 2016 et par un état de dépendance de nombreux industriels à des sourcing lointains. Les principes actifs des médicaments sont ainsi produits à 80 % hors d’Europe, plus de la moitié des protéines végétales nécessaires à l’élevage sont importées et seuls 14 % des composants du marché mondial de l’électronique sont produits en Europe.
Dépendant de quelques pays et quelques entreprises
Une situation de dépendance désormais bien documentée, comme l’a rappelé l’économiste Philippe Aghion citant une étude de Xavier Jaravel et Isabelle Méjean pour le Conseil d’analyse économique. « Nous avons beaucoup de produits importés et beaucoup de produits dépendant essentiellement d’importations extra-européennes, parmi lesquelles des produits concentrés vis-à-vis d’un faible nombre de pays fournisseurs et, dans ces pays, concentrés dans un faible nombre d’entreprises fournisseurs. »
De même qu’elle a mis en avant ces situations de dépendance, la crise a également permis de mettre en exergue l’importance de la gestion des risques dans les politiques de sourcing. « Les risques sur les chaines d’approvisionnement doivent pousser les entreprises à mettre en place des stratégies de sécurisation avec une meilleure connaissance de leur chaîne d’approvisionnement. Nous avons constaté qu’au-delà des sous-traitants de rang 2, il y a parfois une difficulté à bien connaître ses chaines de sous-traitance dans certaines industries », explique ainsi la ministre déléguée à l’industrie.
Malheureusement, en ce qui concerne les solutions à ce problème, elle en reste à des basiques qui ne risquent pas de bouleverser les politiques achats : « une diversification des fournisseurs et a minima des doubles sources d’approvisionnement. »
« Peut-être par facilité, ou parfois par absence d’analyse, nous nous sommes mis à acheter à l’étranger pour quelques centimes de moins »
Les leviers principaux listés par le président de France Industrie et PDG de Haulotte Group, Alexandre Saubot restent le soutien de l’Etat aux industries stratégiques, l’innovation et, côté politique d’achats « un travail de bénédictin commencé à France Industrie avec le Conseil national des Achats et quelques cabinets de conseil pour identifier les petits endroits où, peut-être par facilité, ou parfois par absence d’analyse, nous nous sommes mis à acheter à l’étranger pour quelques centimes de moins sans identifier les externalités, la dépendance », explique Alexandre Saubot.
Relocaliser le sourcing quand l’écart de prix le permet
« Quand le rapport est de un à deux, il ne faut pas rêver, malgré les coûts logistiques, nous n’arriverons pas à remplacer des produits à bas coûts par une production française », recadre le président de France Industrie, qui poursuit : « en regardant dans le détail, il y a quelques endroits où l’écart est de quelques pourcents, cinq à dix pourcents d’écart. »
Un écart de prix que l’Etat pourrait d’ailleurs aider à combler. Même si Agnès Pannier-Runacher se défend de toute velléité protectionniste, elle annonce néanmoins : « si des entreprises ou des Etats pipent les règles du jeu, s’ils exportent vers nous leurs émissions de CO2 sans en payer le prix, s’ils pratiquent du dumping sur les prix, alors il nous revient de compenser ce déséquilibre en protégeant notre marché. » « Ces constats, nous les partageons avec nos partenaires européens », précise-t-elle.
Si l’Etat peut faciliter peut aider les acheteurs privés à prendre en compte les externalités négatives des produits à bas coûts en les taxant en conséquence, il peut aussi agir au niveau de l’achat public. Ce qu’il fait notamment dans sa politique de fixation des prix du médicament, comme l’a rappelé la directrice des relations gouvernementales de Sanofi, Clotilde Jolivet, qui travaille à l’élaboration de clauses qui reconnaissent la valeur des investissements dans les prix des médicaments.