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Bouygues Construction, première entreprise du BTP à obtenir le Label RFAR

Par Mehdi Arhab | Le | Éthique et conformité

Première entreprise du BTP à conquérir le label RFAR, Bouygues Construction a déployé une politique achats responsables très ambitieuse. Marine Allaire, cheffe de projet RSE de la filière achats et Sébastien Ravily, directeur des achats de Bouygues Travaux Publics et directeur achats responsable du groupe, reviennent pour nous sur le chemin emprunté par l’entreprise pour obtenir cette reconnaissance.

Pierre Pelouzet, Marine Allaire, Sébastien Ravily & Patrizia Gatti Gregori, directrice environnement - © D.R.
Pierre Pelouzet, Marine Allaire, Sébastien Ravily & Patrizia Gatti Gregori, directrice environnement - © D.R.

Comme quelques autres entreprises, Bouygues Construction a rejoint en 2024 le cercle fermé (pour l’instant) des entreprises détentrices du label RFAR - pour Relation Fournisseurs et Achats Responsables. Et la symbolique de cette labellisation est forte. En effet, le géant du BTP est le premier acteur de son secteur à s’être vu décerner cette distinction de taille attribuée par le Médiateur des entreprises et le Conseil National des Achats (CNA), qui récompense des pratiques exemplaires en matière de relations fournisseurs. Pour l’obtenir, Bouygues Construction a longtemps cravaché.

C’est sous l’impulsion de Marine Allaire, cheffe de projet RSE de la filière achats et de Sébastien Ravily, directeur des achats de Bouygues Travaux Publics et directeur achats responsable du groupe, mais aussi de son PDG, Pascal Minault ainsi que d’Éric Bouret, directeur achats groupe, que Bouygues Construction est parti à la conquête du label RFAR. La filière achats, qui regroupe un peu plus de 500 personnes et qui a adressé quelque 6,5 milliards d’euros de dépenses en 2023, n’a eu de cesse de gagner en maturité et de développer ses processus qui sont aujourd’hui reconnus. « Nous avons dépensé beaucoup d’énergie pour améliorer nos pratiques. Nous sommes fiers qu’elles soient aujourd’hui reconnues, d’autant plus que nous voulions vraiment que nos efforts soient matérialisés par l’obtention du label RFAR », se félicite Sébastien Ravily.

Cela n’avait rien d’évident en 2017 d’initier une politique d’achats responsables

Bouygues Construction (et le groupe Bouygues dans son ensemble) a fait du développement durable et, plus globalement, de tous les éléments de la RSE, une exigence à satisfaire. La direction des achats a en ce sens commencé à développer sa démarche achats responsables en 2017, au point d’en faire aujourd’hui un quotidien. « Cela n’avait rien d’évident en 2017 d’initier une politique d’achats responsables, d’autant plus dans notre secteur d’activité. Mais, en nous lançant, nous avons vu le champ des possibles », se remémore Sébastien Ravily. Les sujets sur lesquels l’entreprise s’est positionnée sont nombreux : la décarbonation, bien sûr, l’emploi de matière recyclées et recyclables, le réemploi ou encore l’inclusion des personnes éloignées de l’emploi. Et à chaque fois, la fonction achats a joué un rôle central dans les différentes actions menées par Bouygues Construction à ces sujets. « Les achats responsables sont au cœur du plan stratégique Greenlight du groupe et notre PDG a souhaité en faire un axe différenciant », assure Sébastien Ravily.

« Faire de la RSE un quotidien »

Pour embarquer tout son monde, la filière achats de Bouygues Construction avait conçu divers programmes de formation et des parcours d’intégration qui incluent notamment la Fresque du Climat. Au menu : transition environnementale, analyse de cycle de vie, économie circulaire, inclusion … Des démarches intéressées et intéressantes pour le groupe. « Cela nous a permis d’embarquer et de sensibiliser beaucoup de monde. Par la suite, nous avons pu adapter nos processus achats pour y intégrer des critères RSE dans les phases de consultation et d’analyse des offres. Les acheteurs ont aujourd’hui une boîte à outils très complète pour faire de la RSE un quotidien », expose Marine Allaire.

La feuille de route achats responsables de Bouygues Construction s’articule autour de quatre grands axes : l’environnement, le développement économique social et local, le développement de partenariats durables et équilibrés, ainsi que le respect des droits humains. En substance, la direction des achats de Bouygues Construction veille ainsi à bien évaluer et maîtriser le poids carbone des produits achetés et à favoriser des solutions d’économie circulaire. Elle s’emploie également à nouer des relations fortes avec des EA et ESAT, mais aussi des PME et TPE basées non loin des chantiers de Bouygues Construction. Et cette envie de former des partenariats robustes ne s’arrête pas aux EA, ESAT, PME et TPE, bien au contraire.

Nous ne pouvons être proches de chacun de nos fournisseurs, mais avec nos 400 fournisseurs les plus stratégiques, nous avons décidé de nous inscrire dans des partenariats et non plus dans de simple relation transactionnelle

« Nous comptons 47 000 tiers fournisseurs actifs dans le monde. Nous ne pouvons être proches de chacun, mais avec nos 400 fournisseurs les plus stratégiques, nous avons décidé de nous inscrire dans des partenariats et non plus dans de simple relation transactionnelle », explique Marine Allaire. « C’est assez rare dans la construction d’opérer ainsi. Contrairement à des industriels qui peuvent avoir de la visibilité à long terme, nous, nous dépendons des commandes qui nous sont faites. Notre culture est liée à nos chantiers et notre production n’est de fait pas linéaire. Nous travaillons beaucoup avec les bassins d’emplois locaux et il est parfois difficile de donner de la visibilité sur nos plans de charge. Mais nous avons besoin de nos fournisseurs et sous-traitants pour initier des projets innovants et gagner en compétitivité. Avec les plus importants d’entre eux, nous avons donc fait le pari d’assouplir nos relations contractuelles et de leur donner davantage de visibilité en leur garantissant des volumes », complète le directeur des achats responsables du groupe Bouygues Construction.

Bouygues Travaux Publics, au sein d’un consortium avec Saipem et Boskalis, a réalisé un exploit majeur en construisant et en installant en un temps record les fondations des 71 éoliennes du parc éolien en mer de Fécamp, en Normandie - © BASILE Jacques
Bouygues Travaux Publics, au sein d’un consortium avec Saipem et Boskalis, a réalisé un exploit majeur en construisant et en installant en un temps record les fondations des 71 éoliennes du parc éolien en mer de Fécamp, en Normandie - © BASILE Jacques

Une supply chain qui se doit d’être exemplaire

Cette volonté de grandir et de faire grandir, la direction des achats du groupe la cultive chaque jour un peu plus. Une grande partie du contenu pédagogique édité par la direction des achats sur les achats responsables a été partagée aux fournisseurs et sous-traitants les plus importants du groupe. Une convention fournisseurs, lors de laquelle 600 d’entre eux étaient invités, a été organisée en 2022 pour leur présenter les challenges auxquels Bouygues Construction doit répondre, le plan de marche de l’entreprise et les objectifs fixés. « Nous nous employons pour leur montrer que nous voulons construire avec eux des liens profonds », affirme Marine Allaire.

Nous multiplions les audits sociaux externes pour nous assurer que les droits humains soient respectés par nos fournisseurs et sous-traitants

De fait, la direction des achats attend derrière de ses tiers fournisseurs une attitude exemplaire, d’autant que le renforcement de la réglementation publique, locale, européenne et internationale, à l’instar de la Directive Européenne sur le Devoir de vigilance, rappellent aux premiers donneurs d’ordre leurs obligations. « Nous multiplions les audits sociaux externes pour nous assurer que les droits humains soient respectés par nos fournisseurs et sous-traitants. Nous sommes accompagnés par la société SGS depuis près de dix ans. Les audits sont commandés selon trois critères : la criticité du pays, la criticité des achats effectués - métallurgie et main d’œuvre notamment - ainsi que le montant du contrat. Les trois critères cumulés déclenchent forcément l’audit », indique Sébastien Ravily. Si les résultats de l’audit ne sont pas concluants, Bouygues Construction demande que des mesures d’améliorations concrètes soient mises en œuvre sur les non-conformités sensibles recueillies. Un contre-audit est alors commandé et si les améliorations ne se font pas ressentir, le groupe se donne le droit d’infliger une sanction commerciale à son tiers pouvant aller jusqu’à l’arrêt de son activité avec ledit fournisseur ou sous-traitant.

Il est difficile d’avoir de la visibilité sur les rangs 2 et au-delà. Nous travaillons d’arrache-pied pour mettre en place des mesures d’atténuation des risques

Mais limiter les abus se révèle parfois difficile parce qu’il n’est en rien évident de remonter toute la chaîne. « Il est difficile d’avoir de la visibilité sur les rangs 2 et au-delà. Nous travaillons d’arrache-pied pour mettre en place des mesures d’atténuation des risques. Nous ne pouvons cautionner des situations où les travailleurs sont sous-rémunérés ou, pire, d’esclavage moderne. Il est question d’éthique, d’image et de crédibilité », rappelle Marine Allaire. « C’est un sujet qui fait écho dans les pays dits à risque, mais qui sonne également en France », assure Sébastien Ravily.

Un projet d’entreprise qui casse les silos

Convaincue d’être dans le vrai, la direction des achats n’a jamais trahi ses principes, même dans les plus grands moments de doute. « Nous avons parfois tiré la langue, mais nous avons tenu bon. Nous n’avons jamais changé nos pratiques et nous avons tâché de grandir et de faire grandir nos partenaires », précise Sébastien Ravily.

Pour façonner leur démarche en matière de responsabilité environnementale et sociale, les Achats n’ont pas avancé seuls. Ils se sont dès le départ rapprochés de toutes les parties prenantes - Travaux, Finance, Conformité, Commerce … - et ont mis sur pied un « comité achats responsables » au sein duquel les ambassadeurs RSE des différents métiers du groupe siègent. « Il était important de se rapprocher de nos collègues pour avoir une vue d’ensemble et maîtriser les enjeux qui sont les leurs », synthétise Marine Allaire. Les relations entretenues par la direction des achats de Bouygues Construction avec son panel fournisseurs ne sont donc pas les seules à avoir gagné en consistance. « Nous communiquons bien mieux avec les autres fonctions. Il en ressort une meilleure maîtrise des risques d’ailleurs », commente la cheffe de projet RSE de la fonction achats du groupe.

C’est forcément une fierté d’être le premier groupe du BTP à obtenir le label RFAR

La RSE est aujourd’hui l’affaire de tous dans l’entreprise et chacun des acheteurs est objectivé sur le sujet pour ce qui concerne leur part de rémunération variable. Pour la gouvernance de la filière achats, c’est une manière de maintenir une forme de cohérence entre les objectifs achats et la vision de l’entreprise. Si TF1 était jusqu’ici la seule structure de la sphère Bouygues à avoir obtenu le label RFAR, Bouygues Construction pourrait donner quelques idées à ses entreprises sœurs mais aussi aux autres grands acteurs français du BTP. « C’est forcément une fierté d’être le premier groupe du BTP à obtenir le label RFAR », se réjouit Sébastien Ravily.

La fonction achats a, de son côté, beaucoup gagné. Elle est aujourd’hui bien mieux positionnée au sein du groupe et reconnue non plus comme une adepte de la pratique du cost killing mais comme tout bonnement stratégique. « La première récompense est interne », confirment d’une voix Marine Allaire et Sébastien Ravily. La direction des achats joue par exemple un rôle de premier plan dans le plan de réduction des émissions directes et indirectes de Bouygues Construction d’ici à 2030 par rapport à 2021 (-40 % en absolu sur les scopes 1 et 2, -30 % et -20 % sur le scope 3 en bâtiment et en travaux publics respectivement).

La direction des achats entend désormais avancer sur son plan d’action, qui regroupe une cinquantaine de points, avant d’internationaliser complètement sa politique d’achats responsables. « Nos pratiques sont les mêmes, mais les niveaux de maturité très différents. Nous voulons nous aligner partout où nous sommes présents sur ce que nous faisons en France et en Europe. Les enjeux sont nombreux, les démarches sectorielles se développent. Mais il ne faut pas aller plus vite que la musique. Les changements ne se feront pas en un jour, notamment sur nos segments d’achats les plus stratégiques et à risque. Sur la métallurgie et la cimenterie par exemple, les nouvelles solutions industrielles pour décarboner nécessitent des centaines de millions d’euros d’investissements. Si la demande n’augmente pas, les fournisseurs ne se mettront pas en ordre de marche », prévient Sébastien Ravily.