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Assises des délais de paiement 2024 : des inquiétudes, quelques espoirs

Par Mehdi Arhab | Le | Éthique et conformité

Lors de la onzième édition des Assises des délais de paiement, le gouverneur de la Banque de France, le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, ou encore les dirigeants de la Figec et de l’AFDCC ont tiré la sonnette d’alarme. La situation, bien que pas alarmante pour le moment, s’assombrit. Et comme toujours, ce sont les PME qui pâtissent des mauvaises pratiques en matière de paiement.

Assises des délais de paiement 2024 : des inquiétudes, quelques espoirs
Assises des délais de paiement 2024 : des inquiétudes, quelques espoirs

Les questions liées aux délais de paiement pourraient bien être résolues avec un peu de bonne volonté, un changement d’approche, de culture, mais il n’en est (pour l’instant) rien. D’ailleurs, en introduction des onzièmes Assises des délais de paiement, qui se tenaient une nouvelle fois au sein de l’auditorium de la Banque de France (Paris) le 17 octobre dernier, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque centrale du pays a, comme en 2023, sonné l’alerte, dénonçant une nouvelle fois les manquements de certains acteurs économiques en la matière. « La maîtrise des délais de paiement est un enjeu majeur pour les entreprises. Or, les comportements en la matière se dégradent depuis le début de l’année 2023. Cette situation n’est pas acceptable. Il semblerait d’ailleurs que l’augmentation effective des retards de paiement en 2023 se soit poursuivi au cours du premier semestre de l’année 2024 », a-t-il regretté. La France, qui enregistrait une moyenne de 11,7 jours de retard en moyenne en 2022, a vu en effet au cours de l’année 2023 les délais s’allonger considérablement, à près de 13 jours en moyenne (12,6 jours en 2023, 12,9 jours en juin 2024). Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises, a confessé qu’il en devenait inquiétant, presque inacceptable, que les mêmes choses se répètent chaque année. « C’est un peu triste et les chiffres enregistrés sont inacceptables, il faut bien l’avouer. Mais l’équipe de France de la lutte contre les retards de paiement est toujours et s’agrandit », s’est-il réjoui quelque peu.

Les comportements en la matière se dégradent depuis le début de l’année 2023. Cette situation n’est pas acceptable

Après deux années consécutives de baisse, les délais de paiement fournisseurs se sont désormais stabilisés en France à 51 jours en 2022 et 2023. « Ceci témoigne d’un coup d’arrêt dans la baisse des délais de paiement observée post crise sanitaire », a déploré le gouverneur de la Banque de France. Le sujet revient chaque année sur le devant de la scène et il est, à la lecture de ces quelques statistiques, assez facile de comprendre pourquoi. D’ailleurs, comme chaque année, les constats sont plus ou moins les mêmes. Si leurs pratiques s’améliorent sensiblement sur le 2e trimestre de l’année (-1 jour ; environ 18 jours de moyenne enregistrés), les plus grandes entreprises du pays concentrent toujours les plus gros retards. Comme souvent, les délais de paiement observés chez les plus grandes structures ne sont guère satisfaisants. Dans l’absolu et comme constaté depuis de nombreuses années, plus la structure est grande, moins bien elle paye.

Il reste que 44 % des grandes entreprises et ETI françaises payent leurs fournisseurs en retard, bien après le délai légal de 60 jours

Et au-delà des considérations de certains sur la supposée indécence des grands groupes en la matière, il existe bien sûr des raisons objectives à leurs comportements des grands groupes. Leur complexité - sur tous les plans, notamment en matière de process, de SI et de fonctionnement administratif - est un facteur qui peut expliquer leurs absences sur le sujet. Des raisons objectives certes, qui ne doivent toutefois pas faire oublier l’essentiel : le fait de contenir les problématiques liées aux délais de paiement n’est en rien acceptable et une (grande) partie de la réponse repose sur ces mêmes grandes entreprises. D’ailleurs, la loi ne voit pas dans ces arguments des justifications recevables à des comportements nocifs. « Il reste que 44 % des grandes entreprises et ETI françaises payent leurs fournisseurs en retard, bien après le délai légal de 60 jours », assure François Villeroy de Galhau. Or dans le même temps, moins de 30 % des plus petites structures payent leurs fournisseurs en retard.

Mobilisation nécessaire pour accélérer la mise en place de bonnes pratiques

Dans le secteur public, le gouverneur de la Banque de France observe des efforts de bon nombre de ministères et acteurs de l’État. Néanmoins, certaines collectivités locales (régions et départements, et les établissements de santé affichent des retards pour le moins « préoccupants ». Eux aussi sont pointés du doigt et doivent remonter la pente. Cette situation affecte d’ailleurs toujours la même population : les plus petites entreprises du pays, qui souffrent, selon les études menées par la Banque de France et l’Observatoire des délais de paiement, d’un déficit de trésorerie de quelque 15 milliards d’euros en raison des retards de paiement. Et pourtant, elles sont souvent derrière les meilleurs payeurs. « À l’écoute de ce chiffre, nous ne pouvons évidemment pas cacher notre inquiétude », a avoué de son côté Charles Battista, président de la Figec.

Une telle somme doit évidemment attirer l’attention et rappeler l’importance d’avoir des relations client-fournisseurs - plus particulièrement grands groupes et collectivités/PME - équilibrées et fluides. À la vue de cet ensemble, le gouverneur de la Banque de France en appelle à la responsabilité de chacun. Ce dernier n’a pas exclu que les sanctions financières à l’égard des mauvais payeurs soient largement revues à la hausse. « Probablement faut-il être bien plus exigeants, en prononçant des sanctions en pourcent du chiffre d’affaires afin de responsabiliser les grandes acteurs économiques qui seraient des mauvais payeurs », a-t-il clamé. Depuis le début d’année 2022, la Banque de France a pris des mesures pour prendre en compte les délais de paiement dans la cotation des ETI et grandes entreprises. Ainsi, en 2023, plus de 800 grands groupes et ETI ont vu leur cote être dégradée par la Banque centrale du pays. « Nous poursuivrons en ce sens et nous amplifierons autant que de besoin pour inverser la tendance », a-t-il prévenu.

« Du fait de l’augmentation des délais de paiement, la situation n’est pas glorieuse. Or, la trésorerie, c’est le sang des entreprises. Si une partie du tissu économique ne joue pas le jeu et ne se sent pas concerné, pour différentes raisons, c’est tout un tas de sociétés qui sont mises en danger. Et le plus inquiétant est que certaines grandes sociétés sanctionnées et prises la main dans le sac ne semblent pas encore comprendre de quoi il est question », a regretté de son côté Nicolas Flouriou, président de l’AFDCC. Celui-ci a par ailleurs de nouveau dénoncé, comme l’an dernier, le fait que de nombreuses grandes sociétés bien portantes décalent leurs paiements fournisseurs pour gagner de la trésorerie. Un comportement plus que limite et franchement plein de soi. « Beaucoup de donneurs d’ordre de très haut niveau sont à côté de la plaque et engendrent des problèmes de trésorerie sur le tissu fournisseurs, qui peuvent provoquer jusqu’à la défaillance de certaines entités ». Pierre Pelouzet a quant à lui indiqué que, par « effet cascade », certains bons payeurs, notamment des PME, enregistraient désormais des retards anormalement élevés. « N’ayant pas été payés par leurs clients, nous avons observées que des PME qui avaient pour habitude de payer dans les temps ne parviennent même plus à payer leurs fournisseurs. Quand les entreprises sont mal payées, elles n’ont tout simplement plus de trésorerie ».

Comment changer la donne ?

Si Virginie Beaumeunier, présidente de l’Observatoire des délais de paiement, rappelle que la situation n’est pas dramatique, elle insiste sur le fait que la France ne peut se satisfaire de tels comportements. « La situation est un peu préoccupante et n’est pas normale. Le respect des délais de paiement est avant tout le respect d’un délai contractuel. Les accrocs sont très nombreux, et en observant la chose de plus près, il apparaît que les retards ne sont pas uniquement imputables aux difficultés financières des acteurs économiques », confirme-t-elle. Que faire alors pour améliorer concrètement la situation et ne pas détériorer la confiance entre donneurs et preneurs d’ordre ? L’Observatoire des délais de paiement prévoit très prochainement de publier un guide de quelques pages, lequel recense les bonnes pratiques à adopter sur les marchés entre entreprises.

L’année dernière, de l’avis des pouvoirs publics, comme le rappelait l’ancienne ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, Olivia Grégoire, la sanction financière n’apparaissait pas comme assez efficace, notamment sur les grandes entreprises qui ont de la trésorerie. Ainsi, pour tenter d’en finir avec les mauvaises pratiques en matière de paiement, la puissance publique avait décidé d’agiter la menace du name and shame. En désignant publiquement les groupes qui agissent de manière fautive, l’État espérait bien changer la donne. Mais force est de constater que les choses n’ont pour l’instant pas évolué dans le bon sens. Pour rappel, en plus de la publication sur le site de la DGCCRF des noms des entreprises mauvais payeurs et du montant des amendes qui leur ont été infligées - prévue depuis la loi Pacte de 2019 -, l’exécutif veille désormais à ce que les mêmes éléments soient publiés sur le site du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc).

Le délai convenu entre les parties qui ne peut dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture pourrait-il être revu et amené à 30 jours ? Dans les faits, oui, mais au regard de la situation, pas sûr que les entreprises mauvais payeurs ne changent leur manière de faire. Cela d’autant qu’un délai aussi court pourrait, comme l’a expliqué Virginie Beaumeunier, avoir un effet quelque peu délicat en matière de transfert de trésorerie pour certaines entreprises et secteurs d’activité. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’aujourd’hui la crise sanitaire est derrière nous, que les tensions sur la supply chain sont moins marquées, tout comme la hausse des coûts des matières premières et de l’énergie ; même si les prix demeurent évidemment élevés et ne retrouveront sans doute pas leur niveau d’avant crise. Aux entreprises et collectivités donc de se remettre à niveau. Et des outils pour inverser la tendance, tels que l’affacturage inversé, promu par la Médiation des entreprises, les entreprises en disposent. Celui-ci leur offre par exemple un moyen de soutenir la trésorerie de leurs fournisseurs. Pour rappel, le dispositif leur permet de leur faire bénéficier d’un paiement anticipé de leur facture à un taux faible. Et s’il constitue un des moyens permettant de changer la donne, il n’est pas encore assez adopté.