Les achats, source intarissable de données pour Elior
Par Guillaume Trecan | Le | Si ha
Parti d’un travail sur Power BI entre le directeur achats groupe et un Data Analyst, le projet Link de reporting des données achats (mais pas seulement) se décline désormais en cinq applications réunies sur un portail dédié, accessible à un nombre de plus en plus grand d’opérationnels métiers qui y trouvent des clefs d’action.
Depuis un peu plus d’un an, l’ensemble de l’entreprise a le regard tourné vers les données produites par la direction achats groupe d’Elior ; des métriques pour élaborer les stratégies achats et piloter les relations fournisseurs bien sûr, mais aussi les relations clients, les stratégies marketing, les objectifs RSE… la liste des bénéficiaires s’étend chaque jour. Ce succès, consacré par une médaille d’or aux trophées des achats 2021, est le résultat d’un travail mêlant harmonisation des datas achats et développement informatique, mené en binôme par le directeur achats directs, Pascal Thos et Alain Bernardeschi, Business Analyst qui a rejoint la direction achats groupe en septembre 2019.
A ce jour cinq applications de reporting des données achats ont été développées à partir d’une base baptisée Link acronyme de « Leading by Ideas Nuturing by Knowledge » : Link Seasonality, Link Chemicals, Link Numeric Distribution, Link Carbon Foot Print et Link Nutritive Ingredient. La suite ce sera un portail intranet Link regroupant les différentes applications et permettant d’accroître le nombre d’utilisateurs au-delà de la centaine connectée sur les premières déclinaisons de Link. Deux nouvelles applications sont déjà dans les tuyaux pour 2022 : Link Packaging et Link Local.
Un projet d’intrapreneuriat
La première pierre de ce projet d’intrapreneuriat, a été posée en 2018, à l’arrivée de Ruxandra Ispas, à la tête de la direction achats groupe, avec un questionnement sur la récupération des données achats et l’envie d’utiliser Power BI pour les faire parler. « Nous pouvions capturer les données achats de l’ensemble des pays, mais le fait que les hiérarchies de catégories achats différaient d’un pays à l’autre risquait de nous poser des problèmes. Nous avons donc au préalable créé une hiérarchie groupe pour les achats directs et indirects », explique Pascal Thos.
Après quatre mois de travail, cet effort d’harmonisation débouche sur une arborescence de catégories achats à cinq niveaux : de deux au premier niveau (directs et indirects), jusqu’à 500 familles d’achats directs et 150 indirects au cinquième niveau. L’ensemble représentant un montant annuel d’un peu plus de 1,3 milliard d’euros d’achats directs et 570 millions d’euros d’achats indirects (exercice 2019).
Alain Bernardeschi intervient ensuite pour retraiter les données récupérées de chaque système source et les placer dans un service cloud de big data (Azur). « C’est le plus dur à gérer parce que suivant les pays, vous n’avez pas la même qualité de données, pas la même profondeur de données », note le Business Analyst.
Un fonctionnement en mode startup
A partir de cette base de données achats alimentée chaque mois de manière automatisée, commence alors un travail en mode agile de développement de tableaux de bord paramétrables. Alain Bernardeschi : « nous nous réunissions dans une salle, Pascal Thos me disait quel KPI il voulait, en dix minutes je le programmai et avec sa connaissance du métier il savait évaluer tout de suite la justesse du KPI ». Pascal Thos : « nous n’avions pas de fiche de mission, nous avons découvert ce que nous pouvions faire tout en développant ». Tous les deux saluent la liberté dont ils ont bénéficié qui leur a permis de « fonctionner comme une startup ».
Entré dans le groupe il y a plus de vingt ans comme responsable clientèle avant de gravir les échelons de la direction achats, Pascal Thos apporte sa vision achats et métiers, Alain Bernardeschi son expérience des datas achats et sa capacité à coder des programmes en langage informatique et à développer des algorithmes.
Un travail qui prenait une ou deux semaines nous prend maintenant dix minutes
Très rapidement, le tableau de bord des dépenses groupe devient déclinable par pays et peut produire des analyses par filtres : fournisseurs, fabricants, distributeurs, dates, codes produit, prix, volume… Pour obtenir ces informations, il fallait auparavant aller les chercher auprès de plusieurs sources en interne voire les demander aux fournisseurs. « Un travail qui prenait une ou deux semaines nous prend maintenant dix minutes », se réjouit Alain Bernardeschi.
Présentation au comex
Fin décembre 2019, Pascal Thos et Alain Bernardeschi sont invités à faire une présentation au comex du groupe. Peu de temps après le DG d’Elior, Philippe Guillemot leur soumet une question qui initie la première déclinaison de Link : « peut-on connaître la saisonnalité de la tomate ? » En réponse, le binôme conçoit Link Seasonality qui croise les données achats avec les données de saisonnalité des fruits et légumes des interprofessions (Interfel en France). « Nous fournissons ainsi un outil très visuel avec peu de chiffres. Chaque année, les données achats représentent 30 millions de lignes. Nous devons en ressortir la quintessence pour qu’elles soient interprétables en un coup d’œil par des opérationnels pour composer leurs menus et guider nos clients dans leurs choix », note Pascal Thos.
Et le résultat ne se fait pas attendre : dès 2020, le seul fait d’afficher cet indice a permis de faire passer les achats hors saison de 34 % à 28 % par rapport à 2019. « Cela a un impact économique et un impact en termes de RSE », précise Pascal Thos.
Le rapport aide à la fois les Achats pour le pilotage des catégories et des appels d’offres, mais aussi les opérationnels
Après Link Seasonality, Link Chemicals met le focus sur des données achats sur les produits lessiviels et d’entretien, couplés à des données d’un autre département de l’entreprise sur les nombres de repas par client. L’outil permet de faire ressortir le coût lessiviel par client, par repas et par site. « Le rapport aide à la fois les Achats pour le pilotage des catégories et des appels d’offres, mais aussi les opérationnels, par exemple quand ils doivent argumenter auprès d’un client pour qu’il investisse dans un nouveau lave-vaisselle », explique Pacal Thos.
Les données décloisonnées par la confiance acquise
Les premiers succès de Link font sauter quelques barrières en interne et contribuent à faire évoluer la culture de l’entreprise au regard de la gestion des datas. « C’est un cercle vertueux, plus nous parlons data, plus nous en montrons l’intérêt et plus les différents départements de l’entreprise nous ouvrent leurs données », analyse Pascal Thos. « Au début, le fait que je sois rattaché aux Achats faisait que je n’avais pas accès à l’IT. Au fur et à mesure des mois, la confiance s’est instaurée et je me suis mis à travailler à 50 % à l’IT pour les Achats et à 50 % aux Achats pour l’IT », explique Alain Bernardeschi.
Après le développement de Link Distribution numérique qui permet d’analyser les consommations par sites et par marques (Nestlé Waters, Unilever, Mc Cain, Coca Cola, Danone…), les deux dernières applications sorties fin septembre illustrent bien ce décloisonnement des données de l’entreprise. Link Carbon Foot Print croise les données achats avec celles fournies par le gouvernement et des organismes externes en Open Data sur l’empreinte carbone des produits alimentaires sur 22 000 produits. Des indices qui permettront de piloter les objectifs du groupe de baisser de 12 %, l’empreinte carbone du groupe. Cette application servira notamment à communiquer des données précises dans le prochain rapport développement durable du groupe. Quant à Link Nutritive Ingredient, elle permettra de piloter des plans de progrès pour augmenter la qualité nutritionnelle de l’offre.
La qualité des données achats, une discipline quotidienne
Alain Bernardeschi et Pascal Thos veillent au quotidien au respect des règles qui garantissent le maintien de la qualité des données. « Les pays n’ont pas le droit de créer des hiérarchies sans notre autorisation. C’est de la bonne gestion, de l’intelligence humaine, on en discute ensemble et on arrive toujours à trouver le bon compromis », explique Pascal Thos. Chez Elior, les achats passés en dehors des SI achats n’excèdent pas 3 %. Un chiffre qui a un peu augmenté pendant le confinement, montant jusqu’à 4 à 5 %. « Le taux d’achats Non Compliant est un KPI suivi tous les mois en réunion avec les directeurs achats pays. Mais personne ne peut commander sans demander un code aux Achats », précise Pascal Thos.