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Ministère des Armées : « Parfois, privilégier l’achat local est plus pertinent, plus performant »

Par Guillaume Trecan | Le | Direction ha

Xavier Gandiol, responsable ministériel des achats du Ministère des Armées décrit la redéfinition des stratégies d’achats du ministère qui a désormais moins souvent recours à la massification. Un moyen aussi de sécuriser certains approvisionnements. Il sera grand témoin de l’atelier-débat « Achats publics, Made in France et souveraineté économique » lors des HA Days Achats publics, les 3 et 4 décembre à Deauville.

Xavier Gandiol, RMA du Ministère des Armées. - © D.R.
Xavier Gandiol, RMA du Ministère des Armées. - © D.R.

Quels leviers actionne le service achats du ministère des Armées pour sécuriser ses approvisionnements ?

Nous rédigeons actuellement un guide sur la sécurité des approvisionnements et nous travaillons avec l’état-major des armées pour identifier les segments d’achats représentant des enjeux opérationnels très forts en cas de crise. Certains segments, qui ne présentent pas, aujourd’hui, d’enjeux opérationnels évidents, peuvent se révéler stratégiques en cas de crise. On l’a vu pendant le Covid avec les masques. Nous nous efforçons de développer des stratégies achats qui nous apportent des garanties de sécurité de nos approvisionnements en cas de crise.

Depuis deux ans nous avons lancé une démarche de révision complète de nos stratégies d’achats sous l’angle de la sécurité de nos approvisionnements. Les stratégies achats précédentes étaient surtout fondées sur l’optimisation économique, une démarche issue de la RGPP (Révision générale des politique publiques) de 2010. Cela nous amène à faire des choix différents, par exemple lorsque nous le considérons nécessaire, à sortir de ces approches de massification pour avoir des marchés peut-être plus petits mais un peu plus sécurisés.

Un des leviers de sécurisation important rejoint en effet notre volonté d’irriguer l’économie par la dépense publique

Un des leviers de sécurisation important rejoint en effet notre volonté d’irriguer l’économie par la dépense publique. Le ministère des armées est le premier acheteur de l’Etat et cela nous engage ; tous les contrats que nous passons ont un impact économique, voire social et environnemental auquel nous sommes attentifs et nous travaillons sur ces sujets avec la Direction des Achats de l’Etat (DAE).

La crise Covid a-t-elle fait office de révélateur sur ce sujet ?

Elle y a contribué, incontestablement de même que la faillite d’Hydroption, un fournisseur important d’électricité de l’Etat et du ministère des Armées. Cela nous a poussé à revoir notre stratégie d’achats en matière d’électricité en lien avec la DAE. Nous avons, en accord avec la DAE, ajusté notre stratégie d’achat, principalement au regard des enjeux de sécurisation de l’approvisionnement. Sans pour autant remettre en cause l’engagement du MINARM en matière de transition énergétique puisque nous avons également décidé la mise en place d’un PPA (Power Purchase Agreement) pour une partie significative de nos besoins.

Quel est votre approche de l’achat local ?

Le droit de la commande publique est issu du droit européen et répond à une logique de concurrence ouverte. Il n’est donc réglementairement pas possible d’insérer un critère géographique permettant de limiter la concurrence aux seules entreprises françaises. Néanmoins des exceptions existent, notamment lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité de certains approvisionnements, dans des contextes particuliers. Mais le principal levier, utilisable par tous, ne se situe pas sur le plan juridique.

L’achat local contribue de manière directe à favoriser le lien Armée Nation

Depuis plusieurs années la tendance forte est la massification, globalisation, mutualisation et standardisation des achats. Ce choix est pertinent et a permis d’améliorer la performance de l’achat public. Mais comme toute politique, des effets de bord apparaissent. Au sein du MINARM nous travaillons sur ces effets de bord avec notamment l’objectif de redonner de la marge de manœuvre aux unités locales (régiments, bases aériennes…). L’implantation territoriale du MINARM présent dans tous les départements français, constitue un levier pertinent. Il s’agit donc, sans remettre en cause les axes majeurs de notre politique achat (spécialisation des services acheteurs, mutualisation des besoins) de s’interroger sur la pertinence, pour certains segments d’achat, de contrats interministériels et même ministériels. Parfois, privilégier l’achat local est plus pertinent, plus performant. Nous avons ainsi permis récemment aux unités locales de ne pas recourir aux catalogues de centrales d’achat lorsque l’achat local était plus performant. Qui plus est l’achat local contribue de manière directe à favoriser le lien Armée Nation.

Cette réflexion a-t-elle tenu sa place dans votre démarche de labellisation RFAR ?

Nous avons obtenu le label dès 2014, donc avant de constater les effets de bord évoqué ci-dessus. Mais nous avions bien avant cela pris en compte dans notre politique achat le caractère stratégique des PME dans notre panel fournisseur. Des démarches ciblées en faveur des PME sont formalisées et structurées depuis le début des années 2010. L’amélioration de données de paiements (moins de 15 jours aujourd’hui) est une priorité, facilité l’accès des PME à nos consultations également. A titre d’exemple, nous avons rapidement pris le virage de la carte d’achat qui permet une meilleure réactivité pour répondre au besoin, qui simplifie les processus de commande, qui réduit le délai de paiement (quatre jours maximum) et favorise l’achat de proximité. Le MINARM dispose du plus grand nombre de porteur de cartes d’achat.

L’obtention puis le maintien du label RFAR est aujourd’hui une priorité, partagée par l’ensemble des acteurs de la commande publique au sein du MINARM. C’est un label qui nous conduit à une amélioration continue, dans l’intérêt des entreprises, notamment des PME mais également dans l’intérêt du MINARM lui-même.

Il ne s’agit pas de changer radicalement notre politique achats mais d’identifier les limites de la massification précédemment appliquée

Comment faites-vous en sorte de conserver la maturité achats gagné ces dernières années, tout en redonnant de l’autonomie en local ?

Il ne s’agit pas de changer radicalement notre politique achats mais d’identifier les limites de la massification précédemment appliquée. Nous étudions segment par segment ceux qui doivent être maintenus dans cette approche. Elle reste par exemple pertinente pour l’informatique, ou encore les télécoms. Mais pour d’autres segments, que ce soit pour des raisons de sécurité des approvisionnements ou simplement de performance économique nous devons envisager l’ajustement de nos stratégies d’achat. C’est là que le travail de sourcing des acheteurs est essentiel. Il nous permet d’ajuster au mieux nos stratégies d’achat, segment par segment, en fonction notamment de la typologie de l’offre.

Comment veillez-vous au respect des process achats par les personnes à qui est délégué l’acte d’achats sur le terrain ?

La filière achats ne comprend pas seulement des acheteurs, mais aussi des juristes spécialisés achats et des approvisionneurs. En l’occurrence ce sont les approvisionneurs qui sont au contact de l’offre locale. Nous avons donc créé une filière métier dédiée aux approvisionneurs et contrôleurs de prestation. Avec un parcours de formation adapté, mais également des parcours de carrière qui permettent d’envisager une évolution au sein de la famille professionnelle achat, composée d’environ 2 700 postes pour l’ensemble du MINARM, domaine armement compris. Les approvisionneurs sont donc formés et disposent des compétences nécessaires pour adapter leur approche en fonction du type d’achats et de la typologie des fournisseurs avec lesquels ils travaillent.

Apportez-vous une visibilité à moyen, long terme sur vos achats à vos écosystèmes fournisseurs ?

Appuyés par nos délégués régionaux basés dans les préfectures, les services acheteurs organisent des rencontres en région, au plus près des PME et TPE, afin de leur présenter la diversité de nos achats, les services acheteurs spécialisés, présents localement mais également la programmation de nos achats. Le nombre de rencontres organisées entre d’ailleurs dans les objectifs fixés aux acheteurs et plus généralement du plan d’actions du MINARM en faveur des ETI, PME, TPE et start-ups. Ainsi le MINARM organise régulièrement, dans le cadre notamment de la French Tech des rencontres permettant d’identifier des entreprises innovantes. Les entreprises, notamment les PME et TPE, ont besoin d’identifier un interlocuteur facilement accessible. C’est le cas lors de ces rencontres.

De manière plus générale, le MINARM vient de désigner un « délégué aux PME » (au sens large, puisque l’instruction qui le désigne concerne les ETI, PME, TPE et start-ups), Nicolas Grangier, qui porte l’ensemble des actions en faveur de ces entreprises.

Ces rencontres avec les entreprises ont aussi, surtout, pour objectif de faire tomber des idées reçues sur la commande publique. Beaucoup d’entreprises, notamment les PME et TPE, considèrent que les marchés de la défense ne sont pas accessibles car ils imposent une habilitation. Si c’est dans le cas pour certaines consultations, la très grande majorité de nos consultations sont ouvertes à toutes les entreprises. C’est ce qui explique que nous recensons à ce jour près de 28 000 fournisseurs dont une très grande majorité de PME. Dans ces rencontres, nous allons jusqu’à prendre la main de ces entreprises pour les inscrire sur PLACE et leur montrer comment créer des filtres pour recevoir des informations sur les marchés correspondant à leur offre.

Toutes nos consultations, sur les quatre ans à venir, sont rendues accessibles via notamment le site www.achats.defense.gouv.fr.

Programme complet des HA Days Achats publics